Au Québec, la demande d’aide médicale à mourir anticipée a un visage : celui de Sandra Demontigny.

Au cours des dernières années, cette femme courageuse atteinte d’une forme d’alzheimer précoce n’a pas ménagé ses énergies pour sensibiliser la population à sa réalité.

Son histoire a touché la population. Elle a fait comprendre de l’intérieur la réalité des gens qui savent qu’ils vont perdre leurs capacités cognitives, et qui souhaitent partir dans la dignité.

Dans son récent rapport, déposé le 8 décembre dernier, la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie abonde dans le sens de Mme Demontigny et recommande que la possibilité de faire une demande anticipée soit accordée aux Québécois. Cette recommandation est justifiée. Rappelons qu’en 2019, la Cour supérieure du Québec a reconnu le caractère discriminatoire du critère de fin de vie imminente lorsqu’il est question d’aide médicale à mourir (AMM).

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Sandra Demontigny

La Commission fait plusieurs recommandations pour bien encadrer ce type de demandes : il faut être atteint d’une maladie grave et incurable qui sera accompagnée d’un déclin avancé et irréversible de nos capacités ; il faut que notre état entraîne des souffrances physiques ou psychiques, « y compris existentielles, constantes, insupportables » qui ne peuvent être apaisées dans des conditions jugées tolérables. Il faut que ces souffrances soient observées et validées par un médecin.

La Commission propose aussi qu’on confie à un tiers la responsabilité de demander l’AMM dans l’éventualité où on n’en serait plus capable. Ce point est particulièrement délicat et devra être très bien balisé.

Enfin, la Commission estime, comme plusieurs organisations, dont le Collège des médecins, qu’il faut permettre aux infirmières praticiennes spécialisées d’administrer l’AMM. Cela la rendra plus accessible dans des régions où les médecins sont plus rares.

Les 11 membres de la Commission avaient à répondre à une autre question difficile : devrait-on permettre le recours à l’aide médicale à mourir aux personnes dont le seul problème médical est un trouble mental ? Ici, la glace sur laquelle évoluait la Commission était beaucoup plus mince. L’Association des médecins psychiatres du Québec et le Collège des médecins sont en faveur de cet élargissement. Ils représentent des professionnels qui, dans leur pratique, sont confrontés à des cas exceptionnels où la maladie mentale provoque une souffrance constante et insoutenable. Des cas très rares, ont-ils précisé.

Mais les membres de la Commission n’ont pas eu le choix que de prêter l’oreille aux inquiétudes d’autres membres de la société civile, dont l’Association québécoise de prévention du suicide.

Cette dernière a fait valoir, très justement, qu’une telle décision aurait un impact terrible chez les gens aux prises avec des troubles de santé mentale qui ont des pensées suicidaires.

Elle craint même « une modification de la norme sociale québécoise relative au suicide, l’amenant vers plus d’acceptabilité, voire une certaine banalisation ».

Devant une situation remplie de zones grises, où les avis divergent beaucoup, où la notion de maladie incurable n’est pas claire parmi les spécialistes, la Commission a donc fait preuve de prudence. Elle ne nie pas la souffrance que peuvent ressentir ces grands malades, mais ne recommande pas pour autant de leur permettre de demander l’aide médicale à mourir. La Commission a raison de ne pas vouloir ouvrir cette porte pour l’instant. Nous saluons sa prudence et prions le ministre de la Santé, Christian Dubé, d’y être sensible lorsqu’il modifiera la loi.

C’est un aspect admirable de cette Commission transpartisane qui ne devance pas la société québécoise, mais s’y colle. Elle reflète la réflexion collective, attentive à ne pas bousculer les valeurs des Québécois et des Québécoises.

Dans ses recommandations à propos de l’élargissement de la loi, le Collège des médecins ouvre toutefois la porte à une discussion qui va beaucoup plus loin et qui s’éloigne de l’approche québécoise qui s’inscrit dans une logique de continuum de soins.

Le Collège évoque la possibilité d’autoriser l’aide médicale à mourir à ceux et celles qui éprouvent une « fatigue de vivre ». En d’autres mots, on parle ici de suicide assisté.

« Le Collège est sensible à la situation des personnes âgées qui ne sont pas à proprement parler dans un contexte de fin de vie, écrit-on, mais qui expriment clairement leur désir de mettre un terme à leur existence, n’ayant plus d’intérêt à poursuivre. Pour concrétiser leur volonté, ces personnes n’ont actuellement d’autre choix que le suicide passif par dénutrition et déshydratation volontaires. »

Aussi complexe et délicate soit-elle, cette question va se poser de plus en plus au cours des prochaines années. Avec le vieillissement de la population qui s’accélère, on peut penser que de nombreuses familles auront cette conversation difficile. Le Collège des médecins a raison de l’évoquer, même si nous estimons qu’il faut aborder cette possibilité avec beaucoup de prudence. Il ne faudrait pas que l’état actuel de notre système de santé, la pénurie de personnel et la sous-capacité de nos établissements orientent cette discussion importante.

Il est à souhaiter que la Commission soit toujours là, avec la même profondeur et la même bienveillance, pour nous accompagner dans cette réflexion.