Dans un pays qui a une politique qui se définit depuis quelques années par un clivage toujours plus marqué, ce qu’on constate aujourd’hui n’est pas particulièrement surprenant. Mais la réalité demeure : aux États-Unis, le centre – ces électeurs modérés qui peuvent se ranger d’un côté ou de l’autre – n’existe plus.

Trois éléments sont venus le prouver cette semaine.

D’abord, le président de la Chambre des représentants, Kevin McCarthy, a annoncé le début d’une enquête visant la destitution du président Joe Biden. Pour quel « crime ou délit », comme le veut la Constitution ?

« Nous allons les découvrir et nous irons là où la preuve nous mènera », a répondu M. McCarthy. Autrement dit, les républicains veulent faire un procès en destitution à Joe Biden et ils sont en ce moment à la recherche d’un crime.

Tout cela est, bien entendu, relié aux déboires du fils du président, Hunter Biden. Celui-ci a eu des problèmes de drogue et il est pas mal évident qu’il a tenté d’utiliser le nom de son père, alors vice-président, pour se vanter des contacts utiles qu’il avait à Washington.

Ce n’est ni élégant ni éthique, mais ça ne prouve aucunement que Joe Biden ait profité, financièrement ou autrement, des activités internationales de son fils.

Mais comme Hunter Biden, cette semaine, a été accusé au criminel d’avoir menti sous serment pour obtenir une arme à feu, les républicains croient qu’ils sont sur une bonne piste.

En fait, comme le disait un chroniqueur du New York Times cette semaine, Joe Biden est accusé du « crime de paternité ». En réalité, on peut voir l’ombre de Donald Trump derrière toute cette tentative de destitution du président Biden. Il s’agit de vengeance, tout simplement. Il aurait dit à des alliés : « Ils me l’ont fait, c’est notre tour. »

Une tentative de destitution devrait être une arme à deux tranchants. Si la cause n’est pas sérieuse, l’opinion publique peut facilement se tourner contre ceux qui ont voulu destituer un président sans raison valable. C’est ce qui était arrivé aux républicains quand ils ont tenté de destituer Bill Clinton pour sa liaison avec une stagiaire nommée Monica Lewinsky.

Mais les républicains ne craignent pas trop le contrecoup de leur tentative de destitution, tant ils sont convaincus que le pays est si clivé que cela ne viendra pas convaincre leurs électeurs de déserter le parti.

Pourquoi ? Parce qu’ils savent que le centre n’existe pratiquement plus et qu’ils ne perdront pas de votes.

Comme si ce n’était pas assez, la droite dure du Parti républicain veut aussi fermer le gouvernement fédéral – en refusant de voter les crédits budgétaires – parce qu’elle estime que le gouvernement dépense trop. Cela aussi, historiquement, a produit un contrecoup dans l’opinion publique. Mais encore une fois, les républicains les plus radicaux n’ont aucune crainte : leur électorat leur est acquis et le centre n’existe plus…

Il faut dire que si les républicains les plus radicaux en mènent aussi large, c’est parce que l’appui à McCarthy est si faible qu’ils peuvent lui faire subir tous les chantages. Si le président de la Chambre des représentants leur résistait, il serait mis en minorité et devrait quitter son poste.

Autre signe de la disparition prochaine du centre en politique américaine, la décision du sénateur Mitt Romney, ex-candidat républicain à la présidence, de ne pas solliciter un nouveau mandat.

Romney formait – avec le démocrate Joe Manchin et l’indépendante Kyrsten Sinema – un trio de sénateurs capables de transcender les divisions partisanes. Romney a annoncé cette semaine qu’il quittait la politique et les deux autres disent réfléchir à leur avenir.

Mais Mitt Romney n’allait pas quitter le Sénat sans régler quelques comptes avec son parti. La majorité des républicains pensent, comme lui, que Donald Trump n’a « aucune des qualités requises pour être président et il a toutes celles qui ne le sont pas ».

Il cite un de ses collègues qui lui a dit peu après son arrivée au Sénat : « Ici, il y a une vingtaine de sénateurs qui font tout le travail, les 80 autres ne font que les suivre. »

Mais ces collègues sénateurs ne veulent surtout pas froisser leurs électeurs qui appuient l’ancien président. Ils savent tous qu’il a perdu l’élection de 2020, mais ils ne le diront jamais. Tout simplement parce qu’ils n’ont qu’une seule chose en tête : se faire réélire.

Romney avait été le candidat du Parti républicain contre Barack Obama, en 2012. Le livre qui raconte le mieux cette campagne est celui du journaliste Jonathan Alter. Son titre était The Center Holds, ou le centre tient bon. Parce que c’est la capacité d’Obama de rallier les électeurs centristes qui lui aura permis de l’emporter.

Ce fut aussi la dernière campagne présidentielle avant l’ère du clivage. Et à voir comment la campagne de 2024 se présente, il ne faut pas s’attendre à ce que ce clivage s’apaise de sitôt.