Le milieu de la santé se prépare depuis trois ans à accorder l’aide médicale à mourir pour trouble mental incurable, comme le font déjà quatre petits pays européens⁠1. Une psychiatre et une bioéthicienne de l’Université de Montréal (UdeM) décortiquent cette pratique qui s’annonce complexe.

1. C’est le tribunal, et non le gouvernement, qui a fait élargir l’aide médicale à mourir (AMM) aux gens qui sont très souffrants, mais loin de la mort

Pendant sept ans, de 2014 à 2021, seuls les Québécois en fin de vie pouvaient demander l’AMM. Les gens atteints de maladies non fatales, mais incurables et graves, ont dû s’adresser à la Cour supérieure pour obtenir eux aussi le droit d’avoir « une mort digne et sereine ». Leur souffrance, leur dignité et leur autonomie doivent être reconnues « à égale mesure », pour ne pas brimer leur droit à la liberté et à la sécurité, dit le jugement. Un groupe pancanadien d’experts présidé par la Dre Mona Gupta, psychiatre au CHUM, a ensuite aidé Ottawa à établir la façon d’encadrer cette pratique élargie.

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Nicole Gladu et Jean Truchon ont contesté avec succès les dispositions limitant l’accès à l’aide médicale à mourir en 2019.

2. La souffrance engendrée par certaines maladies mentales est parfois aussi inapaisable que la souffrance physique

« Un trouble sévère et grave, peu importe qu’il soit physique ou mental, peut causer beaucoup de symptômes et des souffrances quasi continues, malgré de nombreux traitements », indique la Dre Gupta. Mais pour laisser le milieu de la santé se préparer à la grande complexité des demandes d’AMM pour trouble mental, seules les personnes physiquement malades ont bénéficié jusqu’ici de l’élargissement ordonné par la Cour.

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La psychiatre Mona Gupta, du CHUM, a présidé le Groupe d’experts sur l’aide médicale à mourir et la santé mentale.

3. Une personne en crise suicidaire ou en dépression passagère ne recevra pas l’AMM

Seules les personnes dont le déclin est avancé et irréversible peuvent recevoir l’AMM, précise la Dre Gupta. « Ça prend un très long parcours de soins adéquats avant de conclure que les traitements ne fonctionnent pas. On ne peut pas établir un nombre minimal d’interventions, mais les essayer vraiment bien prend des décennies. » La bioéthicienne Marie-Alexandra Gagné, chargée de cours à l’UdeM et conseillère en éthique clinique et organisationnelle dans le réseau de la santé, souligne par ailleurs que « depuis la nuit des temps, les patients demandent à mourir, sans forcément le souhaiter à proprement parler. Ça peut être une façon de dire : “Je veux arrêter de souffrir.” Il faut faire la différence », dit-elle.

4. Les demandes d’AMM pour trouble mental seront sans doute difficilement accordées

Les Pays-Bas refusent 95 % des demandes d’AMM pour maladies psychiatriques, rapporte la Dre Gupta. Au Québec, « quelques dizaines de personnes » pourraient y être admissibles chaque année, avance-t-elle. Devoir déclarer un trouble mental « incurable » peut néanmoins créer un malaise chez les professionnels de la santé, observe Mme Gagné, qui s’intéresse à leurs préoccupations dans le cadre de son doctorat. Les nouveaux cas « accroîtront encore plus l’ambiguïté, les questionnements et les difficultés sur le terrain », dit-elle. D’après le Collège des médecins, plusieurs médecins craignent que la Commission sur les soins de fin de vie leur reproche d’avoir pris une mauvaise décision et que cela entraîne des représailles disciplinaires.

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La bioéthicienne Marie-Alexandra Gagné est en train de réaliser un doctorat sur les facteurs qui favorisent ou entravent la participation des professionnels de la santé dans le processus d’administration de l’aide médicale à mourir au Québec.

5. Les trous dans le filet social complexifient l’octroi de l’AMM

« Quand la demande d’AMM provient d’une personne défavorisée d’un point de vue socio-économique – qui n’a pas forcément accès aux meilleurs soins –, ça peut rendre les professionnels très mal à l’aise et engendrer des hésitations, constate aussi Mme Gagné. En même temps, cette personne souffre et ne pourra peut-être pas sortir de cette réalité sous-optimale de son vivant. » L’enchevêtrement de facteurs complique donc l’analyse. Et alimente parfois la controverse. Des Canadiens ont par exemple sollicité l’aide à mourir pour échapper à de graves maladies en déclarant que le manque de services à domicile ou un transfert d’établissement avait rendu leur sort encore plus invivable.

1. Belgique, Suisse, Pays-Bas, Luxembourg

Exigences requises pour qu’un malade reçoive l’aide médicale à mourir

  • Être majeur
  • Être apte à consentir aux soins
  • Être atteint d’une maladie grave et incurable
  • Avoir une situation médicale qui se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités
  • Éprouver des souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’il juge tolérables

Source : ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec

En savoir plus
  • 5 %
    Proportion de gens qui n’étaient pas sur une trajectoire de mort prévisible parmi les Québécois ayant obtenu l’AMM en 2022-2023
    Source : Commission sur les soins de fin de vie – Québec
    19
    Nombre total d’actes d’AMM ayant été jugés non conformes parce que la personne n’était pas atteinte d’une maladie physique grave et incurable
    Source : Commission sur les soins de fin de vie – Québec
  • 0,5 %
    Proportion de demandes d’AMM ayant été acceptées au Québec sans respecter toutes les exigences légales en 2022-2023
    Source : Commission sur les soins de fin de vie – Québec