Les psychiatres disposent de plus en plus d’outils pour réduire la souffrance psychologique profonde et les idées suicidaires qui pourraient pousser certaines personnes à demander l’aide médicale à mourir. À quel point les nouveaux traitements sont-ils efficaces et accessibles ?

  • Le psychiatre Paul Lespérance et des infirmières donnent les perfusions de kétamine dans cette petite salle du CHUM, où des points lumineux sont projetés au plafond, pour favoriser la relaxation. Leur équipe a commencé à former le personnel d’autres établissements.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Le psychiatre Paul Lespérance et des infirmières donnent les perfusions de kétamine dans cette petite salle du CHUM, où des points lumineux sont projetés au plafond, pour favoriser la relaxation. Leur équipe a commencé à former le personnel d’autres établissements.

  • Pour réduire l’anxiété associée aux états de conscience altérés, les traitements de kétamine doivent être donnés dans un cadre apaisant et démédicalisé, explique le psychiatre Kyle Greenway, qui les administre dans ce local de l’Hôpital général juif de Montréal. L’utilisation de musique et de bandeaux sur les yeux des patients améliore également leur expérience.

    PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

    Pour réduire l’anxiété associée aux états de conscience altérés, les traitements de kétamine doivent être donnés dans un cadre apaisant et démédicalisé, explique le psychiatre Kyle Greenway, qui les administre dans ce local de l’Hôpital général juif de Montréal. L’utilisation de musique et de bandeaux sur les yeux des patients améliore également leur expérience.

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La kétamine

La kétamine est un anesthésique et analgésique à action rapide, utilisé depuis les années 1970. Des chercheurs ont découvert en 2000 qu’elle pouvait soulager la dépression, mais n’agit pas sur le même type de neurotransmetteurs que les antidépresseurs. « On pense qu’elle permet de créer de nouvelles connexions dans le cerveau de manière transitoire », précise le psychiatre Nicolas Garel. Elle semble aussi faciliter et accélérer la psychothérapie.

Efficacité

Après une demi-douzaine de perfusions, le tiers des gens souffrant de dépression hautement réfractaire voient disparaître leurs idées noires. Un autre tiers ressent certaines améliorations. Des doses de rappel sont souvent requises pour éviter une rechute.

Déroulement

Les signes vitaux des patients sont surveillés pendant que la kétamine est administrée. À l’origine, la majorité des médecins misaient seulement sur la substance elle-même. Mais pour maintenir ses effets, d’autres l’utilisent désormais comme tremplin. Les patients doivent profiter du soulagement procuré pour surmonter leurs blocages en psychothérapie. Et pour renouer avec des comportements sains, comme bouger, socialiser, dormir. Cette approche des docteurs Nicolas Garel et Kyle Greenway suscite un intérêt croissant.

Consultez l’étude The Montreal model : an integrative biomedical-psychedelic approach to ketamine for severe treatment-resistant depression (en anglais)

Accès

Depuis trois à cinq ans, plusieurs dizaines de grands dépressifs ont reçu de la kétamine à l’Hôpital général juif de Montréal, au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) ou à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas. « Beaucoup d’autres hôpitaux sont en train de s’organiser pour en offrir, mais [vu le besoin de personnel et de psychothérapie], c’est moins simple que ça semble l’être en surface », indique le psychiatre Paul Lespérance, du CHUM.

  • Positionnée au-dessus du cortex préfrontal dorsolatéral, une bobine électromagnétique (tenue ici par Sylvie Tieu, infirmière au CHUM) permet d’induire un champ électrique dans le cerveau. La plupart des patients tolèrent la sensation, qui peut se révéler inconfortable, bien qu’ils ne reçoivent aucun choc. Des maux de tête passagers et de la fatigue peuvent s’ensuivre.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    Positionnée au-dessus du cortex préfrontal dorsolatéral, une bobine électromagnétique (tenue ici par Sylvie Tieu, infirmière au CHUM) permet d’induire un champ électrique dans le cerveau. La plupart des patients tolèrent la sensation, qui peut se révéler inconfortable, bien qu’ils ne reçoivent aucun choc. Des maux de tête passagers et de la fatigue peuvent s’ensuivre.

  • L’infirmière Sylvie Tieu, du CHUM, manipule ici un appareil de stimulation magnétique transcrânienne profonde. Doté d’un casque, il permet de stimuler le cerveau plus largement et plus en profondeur afin de traiter le trouble obsessif réfractaire au traitement.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    L’infirmière Sylvie Tieu, du CHUM, manipule ici un appareil de stimulation magnétique transcrânienne profonde. Doté d’un casque, il permet de stimuler le cerveau plus largement et plus en profondeur afin de traiter le trouble obsessif réfractaire au traitement.

  • L’infirmière Sylvie Tieu indique l’emplacement du cortex préfrontal dorsolatéral. L’activité de cette région manque de vigueur chez certains dépressifs, ce qui les empêche de se rétablir, malgré tous leurs efforts.

    PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

    L’infirmière Sylvie Tieu indique l’emplacement du cortex préfrontal dorsolatéral. L’activité de cette région manque de vigueur chez certains dépressifs, ce qui les empêche de se rétablir, malgré tous leurs efforts.

  • Le Dr Jean-François de la Sablonnière, psychiatre à Rivière-du-Loup, offre des traitements de stimulation transcrânienne dans cette salle.

    PHOTO FOURNIE PAR LE DR JEAN-FRANÇOIS DE LA SABLONNIÈRE

    Le Dr Jean-François de la Sablonnière, psychiatre à Rivière-du-Loup, offre des traitements de stimulation transcrânienne dans cette salle.

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La stimulation magnétique transcrânienne

La stimulation magnétique transcrânienne nécessite une bobine électromagnétique qui induit un courant électrique dans le cerveau. Ce courant sert à énergiser (ou quelquefois à apaiser) les neurones. Cela les aide à mieux jouer leurs différents rôles – comme réguler les émotions et les pensées.

Efficacité

Après plusieurs séances, une personne sur deux se remet de la dépression résistante aux traitements, et les effets sont assez rapides et cumulatifs, affirme le Dr Lespérance. Recommencer la stimulation permet en général de rebondir en cas de rechute.

Déroulement

Les patients s’allongent dans un fauteuil. La prise de mesures permet de calibrer l’appareil et de cibler la bonne zone, avec la bonne intensité. Pendant la stimulation, qui dure quelques minutes, certains ont l’impression qu’un oiseau picore leur crâne ou sentent les muscles de leur visage se crisper. D’autres ressentent un inconfort important.

Accès

La stimulation transcrânienne a bénéficié, en 2022, à 425 Québécois, soignés dans 10 hôpitaux répartis dans 6 régions. « Dans un monde idéal, elle serait offerte dans tous les CLSC et les cabinets de médecin de famille, affirme le Dr Jean-François de la Sablonnière, psychiatre responsable de ce traitement à Rivière-du-Loup. Le traitement est simple, efficace, sécuritaire et plus à même de conduire à une rémission que les médicaments. »

Lisez le dossier « Rallumer ses neurones pour chasser la dépression »

PHOTO FOURNIE PAR LE DR JEAN-FRANÇOIS DE LA SABLONNIÈRE

Le Dr Jean-François de la Sablonnière, psychiatre à Rivière-du-Loup, utilise un appareil pour « interroger » le stimulateur du nerf vague au travers de la peau, afin de le programmer. Au milieu, on voit un stimulateur avant implantation.

L’implant du nerf vague

Un générateur d’impulsions électriques semblable au « pacemaker » achemine du courant aux neurones par l’entremise du nerf vague. Leur excitation répétée corrige graduellement leur fonctionnement, d’une manière qui reste en partie mystérieuse.

Efficacité

Un an après l’implantation, un grand dépressif sur deux entre en rémission et les effets s’accroissent avec le temps, affirme le Dr Lespérance. Bien qu’invasive, l’intervention est justifiable lorsqu’une personne ne cesse de faire de graves rechutes. L’implant peut être retiré quand il se révèle inefficace.

Déroulement

Une brève opération sous anesthésie générale permet d’implanter le stimulateur. Après la cicatrisation, il émet du courant toutes les 5 minutes pendant 30 secondes – durant lesquelles la voix peut devenir plus basse et le souffle, plus court.

Accès

Des chirurgiens du CHUM et du CHU de Québec offrent cette opération. Tandis que l’évaluation, la préparation, l’accompagnement et le suivi des patients relèvent de psychiatres établis à Montréal, à Québec ou dans le Bas-Saint-Laurent. Quelques dizaines de personnes ont tiré profit de cette intervention ces dernières années.

Lisez le reportage « Un “pacemaker” pour grands dépressifs »
  • Au Canada, l’organisme TheraPsil – qui milite pour faire légaliser la psilocybine à des fins médicales – a aidé plusieurs dizaines de patients à avoir accès à la substance depuis 2020. En Oregon, où cet usage a été légalisé à la suite d’un référendum, un laboratoire de Portland (sur la photo) produit déjà des doses standardisées à partir de champignons.

    PHOTO MASON TRINCA, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

    Au Canada, l’organisme TheraPsil – qui milite pour faire légaliser la psilocybine à des fins médicales – a aidé plusieurs dizaines de patients à avoir accès à la substance depuis 2020. En Oregon, où cet usage a été légalisé à la suite d’un référendum, un laboratoire de Portland (sur la photo) produit déjà des doses standardisées à partir de champignons.

  • Le Dr Houman Farzin, médecin de famille et en soins palliatifs à l’Hôpital général juif de Montréal, a traité une patiente souffrant de cancer avec de la psilocybine l’an dernier, pour l’aider à affronter l’angoisse causée par sa maladie.

    PHOTO FOURNIE PAR LE DR HOUMAN FARZIN

    Le Dr Houman Farzin, médecin de famille et en soins palliatifs à l’Hôpital général juif de Montréal, a traité une patiente souffrant de cancer avec de la psilocybine l’an dernier, pour l’aider à affronter l’angoisse causée par sa maladie.

  • La pureté et la puissance de champignons contenant de la psilocybine sont vérifiées aux Rose City Laboratories de Portland, en Oregon, qui a légalisé leur utilisation médicale.

    PHOTO MASON TRINCA, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

    La pureté et la puissance de champignons contenant de la psilocybine sont vérifiées aux Rose City Laboratories de Portland, en Oregon, qui a légalisé leur utilisation médicale.

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La psilocybine

La psilocybine est extraite de champignons hallucinogènes. Bien qu’illégale, elle peut être utilisée de façon expérimentale pour soigner différents troubles psychiatriques.

Efficacité

Des essais cliniques permettent de croire que la psilocybine pourrait traiter la dépression résistante, le trouble obsessionnel compulsif, la toxicomanie et l’anxiété ressentie en fin de vie. Les preuves restent toutefois limitées, selon Santé Canada.

Déroulement

« La psilocybine exige beaucoup de travail [psychothérapeuthique] pour préparer la séance – qui dure six heures –, puis pour intégrer ses bienfaits dans sa vie », prévient le médecin de famille et en soins palliatifs Houman Farzin, qui en a administré à l’Hôpital général juif. « Parfois, une seule séance suffit, parfois, il faut en faire une tous les six mois », dit-il.

Accès

Puisque la psilocybine est un traitement prometteur, les médecins peuvent s’adresser à Santé Canada pour en prescrire au cas par cas, quand rien d’autre ne fonctionne. « Si une personne est assez malade pour être admissible à l’aide médicale à mourir, elle sera très probablement admissible au Programme d’accès spécial, croit le Dr Farzin. Mais si ce n’est pas fait correctement, sur la bonne personne, dans le bon contexte, cela peut causer du tort [dont des psychoses]. »

PHOTO FOURNIE PAR LE DR HOUMAN FARZIN

Le Dr Houman Farzin, médecin de famille et en soins palliatifs à l’Hôpital général juif de Montréal, a commencé à traiter un patient avec de la MDMA en décembre dernier. Le bas du visage de cet homme a été masqué pour protéger son identité.

La MDMA

La MDMA est une drogue de synthèse hallucinogène et stimulante – prohibée, mais utilisée de façon expérimentale. Elle provoque l’euphorie, la confiance et le rapprochement. Mais les mélanges appelés ecstasy vendus sur le marché noir peuvent aussi causer la panique, la dépression et le délire.

Efficacité

D’après de nombreuses petites études, la MDMA permet de soulager le trouble de stress post-traumatique chez certaines personnes. Quelques participants aux essais ont toutefois déclaré publiquement que leur traitement n’avait fait qu’aggraver leur état.

Déroulement

De façon semblable à la psychothérapie assistée par psilocybine.

Accès

En utilisant le Programme d’accès spécial de Santé Canada, comme pour la psilocybine. Il est toutefois possible que la MDMA puisse être prescrite par les médecins américains à partir de 2024, comme elle l’est déjà en Australie, indique le Dr Farzin, car une demande d’autorisation a été déposée auprès des autorités.