« C’est parce que j’ai visité le Parc jurassique… » Camille Heyen-Dubé répond parfois ainsi quand ses petits patients l’interrogent au sujet de la marque rouge sur son cou.

Aucun enfant ne pourrait deviner que son intrigante cicatrice ne résulte pas de griffures de dinosaures, mais plutôt d’une opération aussi fascinante que rarissime. Qu’à peine une quarantaine de Québécois ont subi pour ne pas retomber dans les abîmes de la dépression.

Depuis un an et demi, le corps de l’infirmière montréalaise abrite deux électrodes connectées à un mince générateur d’électricité semblable à celui qu’on implante aux cardiaques. Sauf qu’au lieu d’être branché au cœur, son dispositif stimule le nerf vague. Un très long faisceau de fibres qui innervent les organes et remontent par le cou, pour relayer d’incalculables informations au cerveau.

Quand des gens apprennent que je porte un implant, certains n’en reviennent pas ! On m’a déjà dit : "Oh, mon Dieu, prends de la vitamine D et ça sera réglé…"

Camille Heyen-Dubé

PHOTO FOURNIE PAR LE CENTRE HOSPITALIER DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

Un exemple de générateur à pile servant à stimuler le nerf vague de patients souffrant de dépression hyperréfractaire.

Toutes les cinq minutes, son générateur émet du courant. Pendant 30 secondes, il paralyse un peu la corde vocale située près des électrodes. « Ma voix devient alors plus basse et feutrée, et je suis un peu essoufflée si je monte l’escalier. Au début, j’éprouvais comme un serrement désagréable. Mais maintenant, je ne le sens plus, à moins d’être très fatiguée. » Au besoin, la jeune femme peut désactiver son stimulateur en utilisant un aimant.

Traiter nuit et jour

Avant d’être opérée, Camille Heyen-Dubé avait reçu un autre traitement de pointe : la stimulation magnétique transcrânienne, comme nous l’avons raconté dans le premier volet de ce reportage⁠1. Mais après deux ans de rémission, elle a dû recommencer à enchaîner les séances pour ne pas replonger. « C’était devenu difficile de passer autant de demi-journées à l’hôpital, puisque j’étais retournée à l’école pour faire ma maîtrise et que j’étais sur le point de retourner au travail », dit-elle.

L’infirmière de 32 ans s’est donc mise à faire d’innombrables recherches, qui lui ont permis de découvrir que son psychiatre, Paul Lespérance, était aussi en charge d’un programme d’implantation de neurostimulateurs. Environ trois ou quatre personnes triées sur le volet subissent cette opération chaque année au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). Le CHU de Québec offre la même intervention dans l’Est de la province.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Le DPaul Lespérance, directeur du programme de neuromodulation psychiatrique du CHUM

La dépression est souvent une maladie récurrente. Quand les rechutes sont très nombreuses, traiter les patients en continu – 24 heures sur 24 – aide à les prévenir. Une fois opérés, plusieurs n’ont plus jamais été hospitalisés, alors qu’ils l’étaient fréquemment avant.

Le DPaul Lespérance, directeur du programme de neuromodulation psychiatrique du CHUM

L’intervention – réversible – réussit à faire sortir un patient sur deux de la dépression hyperréfractaire, et améliore souvent ses fonctions cognitives avant même son humeur, affirme le spécialiste. « Mais certains refusent. Ils ne peuvent pas imaginer être opérés pour rien et on ne peut pas leur garantir que ça améliorera leur état. »

Un mystère

Prédire qui le traitement aidera ou non reste ardu, puisque ses vertus psychiatriques ont été découvertes par pur hasard, il y a 25 ans.

Des chercheurs venaient alors de commencer à stimuler le nerf vague de personnes épileptiques. Dans certains cas, elles n’allaient pas mieux ensuite, mais refusaient malgré tout de faire retirer leur implant. Parce que celui-ci échouait à contrôler leurs crises, mais améliorait étrangement leur humeur, explique le DLespérance.

Malgré le temps qui passe, les raisons permettant d’expliquer ce phénomène demeurent en partie mystérieuses.

Acheminer du courant jusqu’au cerveau donne probablement un coup de fouet salutaire aux neurones, en modulant leur production de neurotransmetteurs. Sans ces messagers chimiques – que ciblent aussi les antidépresseurs –, les cellules ne peuvent s’échanger toute l’information requise pour remplir leurs missions.

Mais le nerf vague a tant de ramifications et joue tant de rôles que plusieurs mécanismes pourraient être à l’œuvre, précise le DLespérance. « On a plein, plein d’hypothèses, mais il n’y a pas de certitudes ; rien n’a été démontré. »

Certains chercheurs avancent que redynamiser le nerf vague agit sur l’insula – une ancienne région cérébrale impliquée dans ce qu’on qualifie parfois de « gut feelings », comme le mal de ventre et la nausée. D’autres pensent que le traitement active la croissance des cellules de l’hippocampe, ce qui pourrait affecter la mémoire émotive.

Ou finalement, que le rôle essentiel du nerf vague dans le contrôle des processus neuro-inflammatoires est en cause.

Pour Camille, peu importe. Elle se sent transformée. « Quand mon père est décédé récemment, dit-elle, j’ai vécu un deuil normal, pas une dépression. Et je n’ai plus peur qu’elle revienne chaque automne, quand les feuilles changent de couleur. »

1. Lisez le premier volet de notre série : « Rallumer les neuronnes pour chasser la dépression »

Rectificatif
Contrairement à l’information que nous avions reçue, cette intervention n’est pas seulement offerte au CHUM. Elle l’est aussi au CHU de Québec. Le texte a été corrigé en conséquence. Nos excuses.

Respirer pour stimuler son nerf vague

Puisque le stress et l’anxiété inhibent l’activité du nerf vague, ce dernier peine parfois à bien jouer ses nombreux rôles, même en l’absence de dépression. Heureusement, toute personne peut stimuler son nerf en pratiquant des exercices de respiration profonde, comme la « cohérence cardiaque », que de nombreuses applications mobiles permettent de pratiquer sans devoir compter les secondes. L’effet n’est pas aussi puissant que celui d’un neurostimulateur. « Mais ce serait probablement utile en prévention de la dépression ou des rechutes, avance le DPaul Lespérance, psychiatre au CHUM. Le problème, c’est de le faire régulièrement. »