Dans le téléphone de Camille Heyen-Dubé, un album photo bien spécial gonfle depuis quatre ans. Parce qu’elle ne se lasse pas d’y immortaliser le ciel, elle l’a baptisé « bleu ». « La première fois, c’était le printemps. J’ai regardé le ciel, et pouf, j’ai compris que la joie était revenue. Je ne voyais pas seulement le bleu, je ressentais le bleu et le bonheur qui l’accompagne. »

Pendant deux ans, c’est plutôt le noir qui brouillait la vision de la jeune infirmière.

Bouleversée par la mort de plusieurs petits patients, par un mois de décembre gris et froid, Camille avait sombré dans une dépression indélogeable. « Je devais rester en vie pour mes chats et mon chien, mais à l’été 2018, j’avais atteint le tréfonds », confie la Montréalaise de 31 ans.

  • Depuis qu’elle a recommencé à ressentir de la joie en regardant le ciel, le 2 avril 2019 (photo du coin supérieur gauche), Amélie l’a photographié 101 fois, avec ses nuages semblables à de la ouate ou à « de la barbe-à-papa rose », dit-elle.

    PHOTO FOURNIE PAR CAMILLE HEYEN-DUBÉ

    Depuis qu’elle a recommencé à ressentir de la joie en regardant le ciel, le 2 avril 2019 (photo du coin supérieur gauche), Amélie l’a photographié 101 fois, avec ses nuages semblables à de la ouate ou à « de la barbe-à-papa rose », dit-elle.

  • « J’avais décidé d’en finir et de faire des bisous à mes animaux pour leur dire au revoir. Mais le nez mouillé d’un de mes chats a soudain fait jaillir un petit sentiment de joie, raconte Amélie. Ça a été juste assez pour que je me dise : “Je peux m’accrocher encore un peu.” »

    PHOTO FOURNIE PAR CAMILLE HEYEN-DUBÉ

    « J’avais décidé d’en finir et de faire des bisous à mes animaux pour leur dire au revoir. Mais le nez mouillé d’un de mes chats a soudain fait jaillir un petit sentiment de joie, raconte Amélie. Ça a été juste assez pour que je me dise : “Je peux m’accrocher encore un peu.” »

  • Camille Heyen-Dubé n’a pas autant d’énergie qu’avant ses traitements, mais elle a retrouvé toute son acuité cognitive.

    PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

    Camille Heyen-Dubé n’a pas autant d’énergie qu’avant ses traitements, mais elle a retrouvé toute son acuité cognitive.

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Un traitement de pointe l’a finalement délivrée du désespoir – la stimulation magnétique transcrânienne, qui se déploie peu à peu en région. Jadis rare, elle est désormais accessible de Montréal à Alma, en passant par Rivière-du-Loup, Longueuil, la Mauricie, Québec et bientôt Joliette.

Le Québec est l’une des rares provinces à offrir gratuitement ce soin aux dépressifs qu’aucun médicament ne soulage, indique le psychiatre Paul Lespérance, qui l’a introduit au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) et forme les équipes qui suivent ses traces ailleurs.

Chez les grands dépressifs, une région du cortex préfrontal émet souvent un influx nerveux trop faible pour leur permettre de bien contrôler leurs pensées et leurs émotions négatives.

Dans une petite salle du CHUM, Camille s’est assise quelques dizaines de fois sous une bobine électromagnétique capable d’amplifier l’activité de cette zone, sans lui envoyer de chocs douloureux.

Sur les images cérébrales des personnes en dépression, la même région apparaît souvent sombre, comme si elle s’était éteinte. La stimulation la « rallume ».

En un mois, Camille entrait ainsi en rémission.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Le Dr Paul Lespérance, directeur de la clinique de neuromodulation psychiatrique du CHUM

Les biais négatifs face à l’environnement diminuent en quelques jours, ce qui a un impact très concret – et cumulatif – sur leur sommeil, leur attention et leur humeur.

Le Dr Paul Lespérance, directeur de la clinique de neuromodulation psychiatrique du CHUM

« Mais ça ne marche pas pour les gens qui ont le mal de vivre depuis qu’ils sont tout petits, parce que les mécanismes en jeu sont différents. »

En solo de 2001 à 2010, puis en clinique, le DLespérance a traité quelques centaines de patients de cette manière. Dont plusieurs étaient hospitalisés ou suicidaires.

Au moins la moitié étaient encore en rémission un an après leur dernier traitement.

30 %

Proportion des cas de dépression qui résistent au traitement

Certains ont rechuté plus tard. Mais la majorité a pu rebondir de nouveau, grâce au même protocole ou à une variante.

Retourner travailler et étudier

Cinq mois après sa première séance, Camille a pu retourner au travail, puis mémoriser des milliers d’informations pointues pour faire sa maîtrise, apprendre à diagnostiquer des maladies et rédiger des ordonnances.

« Avant, j’étais épuisée physiquement et mentalement après avoir lu une nouvelle de 100 mots. Mon cerveau avait complètement lâché… »

Perdre ainsi leurs facultés garde souvent les grands dépressifs coincés dans une ornière. Malgré leurs souhaits et leurs efforts, leurs cellules nerveuses ne collaborent pas. « Mais après le traitement, j’ai enfin réussi à mettre en place les stratégies apprises avec ma psychologue », se réjouit Camille.

Adopter de bonnes habitudes, aller vers les autres et faire de la psychothérapie aide à garder saines les connexions cérébrales fraîchement rétablies par la stimulation, souligne le DLespérance.

« Mais certains patients ne tolèrent plus le stress et ne pourront pas retourner au travail », dit-il. Car peu importe l’approche, chasser la dépression se révèle ardu si elle est ancrée depuis plusieurs années.

Treize fois plus de séances remboursées

Depuis des décennies, les dépressifs que rien d’autre ne soulage reçoivent parfois, sous anesthésie générale, des électrochocs qui réduisent les idées noires chez plus de la moitié d’entre eux. Les chocs provoquent cependant des convulsions, qui affectent le cerveau entier et perturbent la mémoire (de façon temporaire dans la majorité des cas).

Les antidépresseurs peuvent, quant à eux, avoir des effets néfastes sur la santé physique quand ils conduisent au surpoids. En plus de pouvoir nuire à la vie sexuelle, causer de la somnolence, de l’agitation, des troubles cognitifs, etc. Trouver le bon peut prendre des mois.

En Angleterre, la stimulation magnétique transcrânienne est ainsi devenue l’option numéro un pour soigner la dépression chez les femmes enceintes.

Peut-être qu’un jour, un patient pourrait la demander après avoir essayé un seul antidépresseur.

Le Dr Paul Lespérance, directeur de la clinique de neuromodulation psychiatrique du CHUM

En 2022, la Régie de l’assurance maladie du Québec a remboursé 13 fois plus de séances de stimulation qu’en 2013, révèlent les données obtenues par La Presse.

Mais cela ne suffit pas encore pour répondre à la demande. Quelques dizaines de milliers de Québécois souffrent de dépression hyper résistante, calcule en effet le DLespérance. Or, en 2022, seulement 425 d’entre eux ont eu accès à la stimulation transcrânienne. C’est trois fois plus qu’il y a dix ans, mais une fraction du bassin potentiel.

L’utilisation généralisée de ce traitement dans le réseau public n’a pas encore fait l’objet de « recommandations formelles », nous a écrit le ministère de la Santé et des Services sociaux.

Dans les groupes de discussion qu’elle fréquente, Camille rencontre des gens de l’extérieur de Montréal qui espèrent recevoir ce traitement depuis des mois. « Quand on attend, on se dégrade, on coule et on se noie en silence », se désole-t-elle.

« Auparavant, je me sentais au plus bas dans le temps des Fêtes. C’était très difficile de faire semblant d’être heureuse pendant les soupers de famille… »

Ce Noël, enfin, Camille n’a pas eu à jouer la comédie.

Une autre percée

Depuis deux ans, le CHUM dispose d’un appareil de stimulation magnétique transcrânienne (SMT) profonde, encore unique au Québec. Des casques permettent de cibler un plus grand volume de neurones et d’atteindre des zones plus lointaines et anciennes du cortex, importantes dans la gestion des émotions.

Le DPaul Lespérance s’en sert déjà pour soigner le trouble obsessionnel compulsif résistant. Pour l’instant, précise-t-il, les régions cérébrales impliquées dans les troubles anxieux demeurent inaccessibles. Mais si les recherches sont concluantes, d’autres troubles psychiatriques ou neurologiques pourraient un jour être traités avec la STM traditionnelle ou profonde.

Certaines cliniques commencent par ailleurs à utiliser l’imagerie médicale afin de personnaliser la stimulation selon l’anatomie et l’activité particulières du cerveau de chacun. « Dans 10 ans, avec de meilleurs marqueurs, avance le DLespérance, on aura peut-être de bonnes améliorations chez 70 % à 75 % des patients. » 

Besoin d’aide ?

  • Ligne québécoise de prévention du suicide : 1 866 APPELLE (277-3553)
  • LigneParents : (1 800 361-5085)
  • Tel-jeunes : (1 800 263-2266)
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  • 10 à 15 %
    Proportion de Canadiens touchés par la dépression majeure (1) au cours de leur vie
    source : Santé Canada
    50 % Risque de rechute après un épisode de dépression majeure 80 % Risque de rechute après deux épisodes de dépression majeure
    (1) On qualifie de dépression majeure la présence, pendant plusieurs semaines, d’une perte de plaisir, d’une humeur triste et d’idées négatives
    source : Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH)