Une personne atteinte de démence devrait-elle systématiquement pouvoir être accompagnée en transport adapté ? La Société de transport de Laval interdit à une femme de voyager avec son mari sujet à des pertes cognitives, ce qui confine à domicile le couple d’aînés.

« C’est clair que si monsieur perd son permis pour des raisons de pertes cognitives, il ne peut pas prendre le transport adapté seul. C’est un non-sens ! », s’insurge Marie-Josée Noël.

La femme est proche aidante pour Yvon et Ghislaine Bourdon, un couple lavallois dont la vie a basculé en septembre dernier quand l’homme de 92 ans s’est fait retirer son permis de conduire.

À l’instar d’un nombre croissant d’aînés, il a été jugé inapte à conduire par son médecin après avoir présenté des signes de pertes cognitives.

Sur la recommandation de son équipe traitante, le nonagénaire a entamé une démarche de demande d’admissibilité au transport adapté de Laval.

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Âgé de 92 ans, M. Bourdon a été jugé inapte à conduire l’automne dernier.

Comme son mari souffre de pertes de mémoire à court terme, Ghislaine Bourdon – qui ne conduit plus depuis longtemps – a fait une demande afin de pouvoir l’accompagner dans ses déplacements.

Mais cela lui a été refusé. La raison invoquée ? M. Bourdon ne souffre pas d’un handicap physique.

Selon la directrice générale de l’Association lavalloise du transport adapté, Annie Des Rosiers, leur situation est loin d’être isolée.

Dans un cas similaire, la femme d’un homme atteint d’un handicap cognitif s’est vu interdire de voyager en transport adapté avec son mari par la Société de transport de Laval (STL).

« Suite à l’évaluation du comité, monsieur a effectivement obtenu le transport adapté, mais comme il n’a aucun problème physique, il n’a pas eu droit à un accompagnateur », explique Mme Des Rosiers à La Presse, qui a accompagné le couple à chaque étape de sa demande d’admission jusqu’à ce qu’elle soit transmise à la STL, où un comité était chargé de l’évaluer.

Le refus d’autoriser un accompagnateur peut entraîner de graves conséquences : M. et Mme Bourdon sont confinés à domicile depuis des semaines. « Ils ne vont plus nulle part. Ils commandent leur épicerie en ligne. M. Bourdon aimait aller au centre d’achat, et là, il ne peut plus y aller », déplore Mme Noël.

« Les bâtons dans les roues pour le transport adapté ne font qu’exacerber son anxiété et son état de mal-être. »

Les transports en commun comme solution de rechange

Par courriel, le Service de transport de Laval fait valoir qu’il évalue chaque demande en fonction de la Politique d’admissibilité au transport adapté.

Établie par le ministère des Transports, celle-ci prévoit notamment qu’un usager peut avoir recours à un accompagnateur si l’utilisation du service serait autrement « impossible ou non sécuritaire ».

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Ghislaine Bourdon se déplace avec un déambulateur, ce qui rend les transports en commun difficiles d’accès.

En revanche, une personne handicapée n’est pas autorisée à être accompagnée en transport adapté si elle peut utiliser les transports en commun en compagnie d’une autre personne.

« [Le STL] nous a répondu que si monsieur pouvait prendre le transport adapté avec sa femme, il était probablement en mesure de prendre les transports en commun avec elle. L’autre option serait que monsieur se déplace en transport adapté et que madame le rejoigne à destination en utilisant les transports en commun traditionnels », indique Annie Des Rosiers.

Un non-sens, estime Marie-Josée Noël. À 87 ans, Ghislaine Bourdon se déplace avec un déambulateur. « Elle n’est pas capable de prendre les transports en commun », dit-elle.

De plus en plus de cas

Annie Des Rosiers partage la « frustration » et le « désarroi » du couple. Le simple diagnostic d’un trouble cognitif « devrait être suffisant pour justifier le droit à un accompagnateur » en transport adapté, fait-elle valoir.

À ses yeux, le ministère des Transports « démontre une certaine méconnaissance des troubles cognitifs et des enjeux que ces atteintes peuvent engendrer pour les personnes âgées ».

La désorganisation que peut entraîner l’utilisation des transports en commun réguliers [l’achalandage, les mouvements, le bruit, la présence d’usagers de tous âges] est un casse-tête pour les personnes qui en sont atteintes et leurs proches aidants.

Annie Des Rosiers, directrice générale de l’Association lavalloise du transport adapté

L’enjeu est d’autant plus important qu’avec le vieillissement de la population, son association traite « de plus en plus de cas de demandes pour des aînés atteints de troubles cognitifs ».

Une rencontre est d’ailleurs prévue avec le STL en février pour discuter de ces cas particuliers, affirme-t-elle.

Par courriel, le ministère des Transports indique que « la décision sur le type d’accompagnement se prend au cas par cas par le comité d’admission, qui doit réévaluer le type d’accompagnement si la situation de l’usager évolue et le justifie ».

Il rappelle également qu’une personne se sentant lésée par une décision rendue au regard de son admissibilité au transport adapté « peut en demander la révision par le Bureau de révision à l’admissibilité au transport adapté ».

Qu’est-ce que le transport adapté ?

Le transport adapté est un service de déplacement porte-à-porte offert aux personnes handicapées. Pour y être admissible, il faut être en mesure de faire la preuve de limitations sur le plan de la mobilité, par exemple l’incapacité de marcher 400 mètres ou de s’orienter dans le temps et l’espace. Encadré par le gouvernement, le service est assuré par les organismes publics de transports en commun et les municipalités.