Le système scolaire québécois donne-t-il une chance égale à tous ? « Non », répond Isabelle Plante, professeure au département de didactique de l’UQAM, qui propose quatre sources pour nous aider à comprendre cette école qu’on dit à trois vitesses.

Qu’est-ce que c’est ?

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Les écoles privées attirent souvent les élèves les plus doués ou issus de familles aisées.

Qu’est-ce que l’école à trois vitesses ? L’expression décrit les trois strates du système d’éducation québécois : les classes ordinaires, les programmes sélectifs et les écoles privées.

Cette stratification est particulièrement prononcée au secondaire, où les écoles privées attirent souvent les élèves les plus doués ou issus de familles aisées, ce qui entraîne un déséquilibre au sein du système public, explique la professeure Isabelle Plante.

Pour contrer l’attraction du privé, les écoles publiques étoffent leur offre de programmes particuliers sélectifs, exacerbant paradoxalement la ségrégation et les inégalités sociales. Une étude de l’Université de Montréal⁠1 montre qu’à peine 15 % des élèves des classes ordinaires des écoles publiques vont à l’université, contre 51 % des jeunes du public enrichi et 60 % de ceux du privé.

Pour approfondir ces enjeux, Mme Plante recommande d’écouter la série de balados Chacun sa classe par Karine Dubois sur la plateforme OHdio de Radio-Canada.

Écoutez l’émission balado Chacun sa classe 1. Lisez l’étude de l’Université de Montréal

Gros poisson, petit bassin

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L’environnement scolaire joue un rôle crucial par rapport à la motivation et à la réussite des élèves.

Dans une des recherches qu’elle a menées, Isabelle Plante a analysé le passage d’élèves du primaire au secondaire, vers le public ordinaire, le public enrichi ou le privé.

« Il y a des théories en psychologie sociale qui nous indiquent que, normalement, quand on se compare à des élites, on ne se sent pas très, très bien dans ses shorts », résume-t-elle.

C’est le phénomène du « gros poisson, petit bassin » qui postule que se comparer aux élèves plus doués peut saper l’estime de soi.

Contre toute attente, Mme Plante a observé l’inverse dans ses « propres données » : les élèves qui s’inscrivent au privé ou au public sélectif bénéficient plutôt d’un effet d’assimilation positive, tirant avantage de la présence de camarades de classe performants.

De la même façon, comme les élèves forts ou issus de familles aisées sont davantage attirés par le privé ou par les programmes particuliers, les classes ordinaires comptent moins de jeunes performants qui pousseraient les élèves à faire mieux.

Ce constat souligne l’importance de l’environnement scolaire en ce qui concerne la motivation et la réussite des élèves.

Lisez l’étude d’Isabelle Plante sur le site du gouvernement du Québec

La question des inégalités

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

L’accès à l’université est toujours marqué par les clivages socioéconomiques.

Pierre Canisius Kamanzi, professeur à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, s’intéresse aussi à l’effet de la segmentation scolaire au Québec.

À ce sujet, Mme Plante recommande de lire Enseignement supérieur et inégalités sociales. Entre politiques publiques et parcours éducatifs, auquel il a collaboré.

Offert sur le site des Presses de l’Université du Québec, l’ouvrage de près de 400 pages retrace l’évolution des politiques éducatives au Québec depuis les années 1960, mettant en lumière comment, malgré une démocratisation apparente, l’accès à l’enseignement supérieur reste marqué par des clivages socioéconomiques. Les auteurs plaident pour une réforme éducative qui s’attaque à ces inégalités.

Il permet de comprendre d’où vient le système scolaire québécois et pourquoi, au Québec, contrairement à ce qu’on voit dans la plupart des autres provinces, les écoles privées sont largement subventionnées par l’État, jusqu’à 75 %, ce qui les rend plus facilement accessibles.

Lisez l’ouvrage Enseignement supérieur et inégalités sociales. Entre politiques publiques et parcours éducatifs

Le choix des parents

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Et si les parents choisissaient massivement le système public pour l’éducation de leurs enfants ?

Que faudrait-il faire pour améliorer l’égalité des chances ?

Sur papier, la solution peut sembler simple. Si le système actuel comporte d’importants défauts, pourquoi ne pas le changer en mettant fin au financement des écoles privées par le gouvernement ou en le réduisant considérablement ou en demandant aux écoles publiques de ne plus faire de sélection ?

« Si on cessait de financer le privé, on laisserait toujours le choix aux parents d’envoyer leurs enfants au privé, mais ils devraient payer le vrai prix », avance Isabelle Plante.

Une telle solution aurait toutefois des conséquences : la disparition de la plupart des écoles privées, qui sont souvent des établissements de qualité, et une pression énorme sur le secteur public pour accueillir les élèves qui ne pourraient plus payer les droits de scolarité du privé. Des études ont cherché à mesurer l’impact de ces mouvements pour divers niveaux de subvention.

On pourrait aussi dire que ces problèmes ne se poseraient pas si les parents choisissaient massivement le système public au lieu d’encourager l’enseignement privé ou les programmes particuliers. Et donc qu’ils seraient en partie responsables de la situation.

« Pour avoir viré le problème dans tous les sens, je pense qu’on ne peut pas demander aux parents de prendre cette décision », conclut Mme Plante.

« Parce que le parent, dans le fond, a un mandat assez restreint, qui est celui de s’occuper de ses enfants. Bien sûr qu’on peut dire, c’est très dommage, il faudrait penser à la société, et à protéger notre école. Malheureusement, quand vient le temps de choisir entre soutenir ses enfants et soutenir le système d’éducation, le choix est simple : on va faire le mieux possible pour nos enfants. »

Pour explorer davantage ce sujet, la professeure recommande de lire Ces ados qui font mentir les clichés, de la journaliste et autrice Dominique Scali, qui offre un regard nuancé sur les effets du choix de l’école sur le parcours des jeunes dans un contexte de pressions sociales et économiques changeantes.

Ces ados qui font mentir les clichés

Ces ados qui font mentir les clichés

Les Éditions du Journal

288 pages

Qui est Isabelle Plante ?

  • Isabelle Plante est professeure au département de didactique de l’UQAM et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les différences de genre à l’école.
  • Ses travaux portent sur des problématiques en lien avec la motivation scolaire, la réussite des élèves, les stéréotypes de genre et l’anxiété de performance.
  • En 2022, elle a remporté le Prix d’excellence en recherche, décerné par la faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM.