Dans la carrière de Marilyn Castonguay, il y a un avant. Et un après.

Avant d’interpréter Huguette Delisle, l’attachante criminelle de la série chouchou C’est comme ça que je t’aime, Marilyn était l’une des actrices les plus courtisées au Québec. Les critiques l’adoraient. Les réalisateurs et metteurs en scène, aussi. Pas pour rien qu’elle a obtenu près de 50 rôles, tant au cinéma qu’au théâtre ou à la télévision.

Mais depuis qu’on l’a vue tirer à la carabine avec des gants de vaisselle, sa popularité a atteint une nouvelle stratosphère. Elle fait la une des magazines de mode. Elle se fait reconnaître dans la rue. « J’ai l’impression d’être dans une petite mafia, confie-t-elle. Les gens m’arrêtent et me demandent : l’œil du tigre ? » Référence à son personnage, qui tire avec précision. « Ils m’approchent un peu en secret. J’adore ça ! »

Nous sommes attablés au bord d’une fenêtre du café Monk, dans le quartier Côte-Saint-Paul, près de chez elle, à Montréal. Elle est arrivée 45 minutes en avance, et a déjà terminé un premier allongé. « Je prépare mon prochain tournage », dit-elle, en me montrant un cahier de notes. Elle commande un deuxième café. Je l’accompagne avec un chocolat chaud.

Ça fait quelques semaines que la troisième et dernière saison de C’est comme ça que je t’aime est offerte sur l’Extra ICI Tou.tv. Un immense succès critique, qui comble Marilyn Castonguay de fierté. C’est qu’elle a travaillé très fort pour donner vie à cette Huguette complexe, sensible, authentique, capable à la fois d’empathie et de violence extrême.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Marilyn Castonguay

Jouer Huguette, c’était particulier. Je dirais même ésotérique. C’est comme si le personnage et moi, nous nous étions suivies pendant les cinq dernières années.

Marilyn Castonguay

« Avant le tournage de la première saison, je vivais beaucoup de stress de performance. À un moment donné, tout est sorti d’un coup. Ça fittait avec Huguette. Elle, son stress, elle l’a sorti en tirant à la carabine. Dans la deuxième saison, Huguette venait d’accoucher. Moi aussi. Je comprenais son état dépressif. Sa fatigue. Dans la dernière saison, j’étais plus reposée. J’avais retrouvé mon aplomb. Elle aussi. J’ai l’impression d’avoir vieilli avec elle. C’est difficile de laisser partir un personnage marquant comme celui-là. »

Apprécie-t-elle cette plus grande notoriété ?

« Oui, car ce qui me motive, c’est de toucher les gens. C’est de montrer une époque, une vie auxquelles on n’aura jamais accès. C’est de faire vivre des émotions qu’on ne vivrait pas autrement. Mais je ne veux pas être connue juste pour être connue. Je ne fais pas ce métier-là pour ça. Je viens du théâtre. J’ai étudié là-dedans. Ce n’est pas là que tu deviens connue. Ce n’est pas ça, mon moteur. D’ailleurs, je ne suis pas sur les réseaux sociaux. »

Une exception dans une industrie où l’image, la portée et la notoriété se marchandent très bien.

« Des fois, je me demande, est-ce que je devrais être [sur les réseaux sociaux] ? Est-ce que ce serait plus professionnel ? Plus respectueux ? Une personne m’a déjà dit qu’elle aimerait avoir accès à ce que je fais. Ça pourrait être un point d’ancrage. Je pourrais faire la promotion de mes projets. En même temps, les équipes de production le font déjà. J’insiste : je ne juge pas les gens qui sont là-dessus. Je ne suis pas au-dessus de cela non plus. Si j’avais pris ce chemin-là, je me ferais avaler, comme tout le monde. C’est confrontant. Je le fais aussi un peu pour me protéger. »

Après, souligne-t-elle, « si je ne travaille pas parce que je ne suis pas présente là-dessus, alors on ne se concentre pas sur la bonne affaire. Ça ferait de moi quelqu’un de plus connu, mais pas une meilleure actrice ».

Pendant la discussion, un homme dans la quarantaine ouvre la porte du café et se dirige directement vers la sympathique actrice. « Excuse-moi », lui lance-t-il.

Veut-il une photo ? Un autographe ? Vient-il la féliciter pour la nouvelle saison ?

« Es-tu la fille de Marc Labrèche qui joue à la télé ?

 – Léane Labrèche-Dor ? Non, désolée.

– Merde. J’avais parié 50 $ avec ma blonde. »

Derrière la fenêtre, son amoureuse veut savoir si elle avait raison. Marilyn, amusée, mime un guichet automatique qui crache des billets.

« Ne vous en faites pas, monsieur. Ça m’arrive souvent. »

Solitaires devant la télé

Aussi populaire que soit C’est comme ça que je t’aime, ses cotes d’écoute ne sont pas celles des séries des années 1990, lorsque Les filles de Caleb dépassaient fréquemment les trois millions de téléspectateurs.

À l’époque, les Québécois francophones partageaient tous les mêmes références culturelles. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Aurait-elle aimé connaître cet âge d’or comme actrice ?

« Évidemment. Les projets avaient plus de portée, car il n’y avait qu’une seule façon de les regarder. Là, on se perd dans 1000 façons de consommer. Ça nous individualise. Ça nous rend solitaires dans notre consommation. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ? Je ne le sais pas. »

« D’une part, on peut consulter plein de contenus auxquels on n’avait pas accès avant. Ça nous permet de voir des séries étrangères extraordinaires. Mais après, cette solitude-là me rend vraiment malheureuse. Est-ce qu’on s’éparpille trop, ce qui fait en sorte qu’on n’est plus capables d’être ensemble ? Avant, on était tous ensemble. On écoutait la télé en famille. Il y avait un esprit de communauté. »

Alors qu’aujourd’hui, déplore-t-elle, « il y en a un sur sa tablette. L’autre sur son téléphone. L’autre devant la télé. On est ensemble, sans vraiment l’être. Ça divise l’être humain, tout en ouvrant de nouveaux horizons. Comment naviguer là-dedans ? C’est difficile d’aller à contre-courant. Tout, tout, tout te tire vers autre chose. »

L’avenir de la culture québécoise l’inquiète.

Ça ne va pas très bien. Même moi, qui vis de la culture, je dois forcer mon enfant pour qu’il écoute une émission jeunesse québécoise. C’est triste.

Marilyn Castonguay

S’il y avait plus d’argent investi dans la culture québécoise, pourrait-on vraiment renverser le courant ? Ou est-ce une cause perdue d’avance ?

« Je ne le sais pas. Mais comme adultes, on doit vraiment amener les jeunes à s’intéresser à la culture québécoise. Parce qu’ils n’iront pas d’emblée. Parce qu’il y a quelque chose de plus fort. Il y a plein de bonnes émissions produites ici, mais quand les jeunes sont en groupe, ils ne regardent pas Le monde des mondes. Ils vont sur YouTube. Ils sont déjà absorbés par ça. »

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Marilyn Castonguay

Elle-même se laisse séduire par les grandes productions étrangères. Elle est notamment fan de la série The Crown. « S’ouvrir sur le monde, ça ne signifie pas délaisser ce qu’on a. Même si je suis 100 % pour la langue française, ça ne veut pas dire que je ne peux pas parler l’anglais, ou apprendre l’espagnol. Il faut être ouvert sur le monde. Mais il faut aussi savoir qui nous sommes. […] Pour moi, c’est super important de voir ce qui se fait ici. »

Du cœur à l’ouvrage

Marilyn Castonguay se considère comme choyée. Depuis sa sortie de l’École nationale de théâtre, en 2010, les projets stimulants s’enchaînent. Son métier lui apporte une grande satisfaction.

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Marilyn Castonguay

Ce qui m’intéresse, c’est de créer un être humain. C’est de la job, faire ça. Derrière un tournage, il y a beaucoup de travail. Malheureusement, même dans notre propre milieu, il y a des gens qui ne le comprennent pas.

Marilyn Castonguay

C’est-à-dire ?

« Je me suis déjà fait dire, pendant une négociation de salaire, que je méritais moins, car j’aurais de petites journées. Seulement une scène ou deux. Or, qu’est-ce que je fais dans la scène ? Je parle. Ou je joue d’un instrument. Ou je fais ceci, je fais cela. Dans cette société où tout va vite, on nous demande de réussir la scène en deux prises. En même temps, tu veux laisser une bonne impression. Les acteurs, on a souvent l’impression de n’être que notre dernier rôle. Si je suis mise de l’avant, je souhaite que ce soit parfait. C’est le temps de préparation, chez nous, qui va nous sauver. »

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Marilyn Castonguay

Il faut savoir que les conditions de travail sur les plateaux québécois sont loin d’être les mêmes que celles des œuvres contre lesquelles elles sont en compétition. « On a développé, au Québec, une expertise hallucinante. Un système du $#?@*&. » L’ancienne première de classe s’excuse aussitôt. « Désolée, je ne trouve pas d’autres mots. Ici, le cœur, c’est fois mille. Personne ne travaille dans ce milieu s’il n’a pas le cœur à l’ouvrage. S’il n’est pas passionné. On a une façon de régler des problèmes qui n’existent pas ailleurs. »

« Quand tu as beaucoup d’argent, tu en allonges, et c’est réglé. Quand tu n’en as pas, tu te débrouilles. On se fait mettre dans ces situations-là, puis on réussit quand même à créer des affaires extraordinaires. » C’est comme ça que je t’aime, par exemple, qui reproduit à merveille l’univers des années 1970.

« Imagine ce qu’on pourrait faire si on avait des ailes. »

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : J’adore. J’en prends trop. Je prends deux petits allongés le matin. Je me retiens pour ne pas en prendre un troisième. Souvent, un autre après le dîner.

Un voyage marquant : L’Islande. C’est plus grand que nature. C’est là que tu comprends que tu n’es rien. Que tu ne gagneras pas. C’était extraordinaire.

Une personne, vivante ou morte, avec laquelle j’aimerais souper : Marilyn Monroe. Mon prénom m’a amenée à lire beaucoup sur elle. J’aimerais comprendre qui elle est. J’aimerais me faire ma propre opinion d’elle. Elle est fascinante.

Qui est Marilyn Castonguay ?

  • Actrice de 39 ans ayant grandi à L’Isle-aux-Coudres
  • Gagnante, en 2013, des prix Jutra et Écrans canadiens de la meilleure actrice pour son rôle dans L’affaire Dumont
  • Souvent finaliste aux prix Gémeaux pour des rôles dans des séries jeunesse
  • Depuis 2019, elle interprète le personnage d’Huguette Delisle dans la série C’est comme ça que je t’aime.
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