Avec leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde. Cette semaine, nous donnons carte blanche à l’auteur et éditeur Stéphane Dompierre.

Depuis quelques mois, j’ai pris l’habitude quotidienne de cliquer sur l’onglet « souvenir » de Facebook et d’y effacer ce que j’y découvre. Pas seulement parce que je considère inutile de revoir d’année en année mon horaire de dédicaces au Salon du livre de Trois-Rivières en 2016, mais aussi parce que mes opinions passées me semblent désormais inutiles, dans le meilleur des cas, ou me font grincer des dents. J’en avais donc ben, des opinions, coudonc ?

À l’ère où chaque personne peut être présente sur tous les réseaux sociaux, avoir un blogue, un podcast, une chaîne YouTube et une caméra pour se filmer fâché dans sa voiture, il me semble important de le rappeler : se taire est tout à fait légal.

Pour avoir donné trop souvent mon avis sur Facebook, et maintenant devoir faire le ménage dans ces souvenirs parfois douloureux, j’ai développé un petit code de conduite plutôt pratique. Avant d’émettre mon opinion sur les réseaux sociaux, je me pose les questions suivantes :

  • Suis-je un spécialiste sur le sujet ?
  • Est-ce que les gens attendent impatiemment mon opinion sur le sujet ?
  • Est-ce que mon opinion ajoute quelque chose de nouveau dans le débat ?
  • Est-ce que j’agis sur le coup de la colère et je devrais plutôt aller faire une belle grande marche avec le chien pour dépomper ?
  • Est-ce qu’il est tard, que je suis un peu chaudaïlle et que demain je vais faire le saut en me relisant ?
  • Est-ce que ça blesse un groupe de personnes dont j’ignore la réalité et les combats quotidiens ?
  • Est que ça blesse une personne en particulier qui vit peut-être des choses difficiles que j’ignore et qui n’a pas besoin que j’en rajoute ?
  • Est-ce que je m’apprête à confronter un avis contraire au mien de façon agressive, sachant très bien que je n’ai moi-même jamais changé d’avis en me faisant cracher une opinion dessus de manière agressive ?
  • Est-ce que je serais heureux si un commentaire de ce genre m’était personnellement adressé ?
  • Aurais-je le courage d’émettre cette opinion en personne devant ceux que ça concerne sans crainte de recevoir une baffe ?

Une fois que j’ai soumis mon opinion à l’épreuve de ce rigoureux questionnaire, je finis généralement par la garder pour moi.

Se taire a aussi un avantage insoupçonné : on n’est pas obligé de gérer les réactions à nos propos.

Je ne compte plus les opinions courtes et punchées que j’ai émises sur une plateforme ou une autre un soir, en me trouvant plutôt smatte, et qu’il m’a fallu expliquer, détailler et nuancer au petit matin parce qu’elles tournaient les coins ronds.

Comme tout le monde, j’alimentais la bête, et la bête adore les bitcheries.

Il n’y a pas si longtemps, Jean Airoldi mettait des femmes dans une boîte en verre dans un centre commercial. Il demandait aux passants de donner leur opinion idéalement défavorable sur leur apparence, afin de les faire brailler un bon coup, avant de les inviter à rafraîchir leur garde-robe, leurs cheveux et leur face. C’était certes malaisant, mais ça n’a pas fait scandale.

À cette époque, les looks des artistes les soirs de galas alimentaient les réseaux sociaux pour un jour ou deux. Trop négligés, trop osés, trop de bling-bling, pas assez de bling-bling… C’est-tu du botox ? C’est-tu ses vrais cheveux ? C’est-tu son nouveau chum ? Elle était pas aux filles, elle ? C’est quoi son petit accent, c’est nouveau ? J’aime pas ça.

Certes, le tribunal populaire et les commentaires désobligeants sont toujours en vogue, mais j’ose naïvement imaginer qu’on a atteint un plateau, qu’on a fait le tour.

Et si on se disait que de donner son opinion pour rien était une mode passée date et qu’il était temps de passer à autre chose ?

Évidemment, ça ne se fera pas sans effort. Je tente de modérer le bitchage, oui, mais mon cerveau n’a pas eu le mémo et continue de m’alimenter en bitcheries. Ça a parfois des airs de rodéo ; il me faut attraper au lasso le petit commentaire pas fin qui galope, le saisir à bras-le-corps, l’étendre par terre et lui ligoter les pattes pour éviter qu’il sorte de l’enclos. Mais me taire m’évite bien des malaises. J’ai aussi plus de temps libre et une meilleure humeur.

Et je trouve ça un peu triste pour les personnes qui ont l’habitude de cracher leur fiel dans les espaces publics, souvent avec agressivité et sans aucune nuance. Je doute que les clics enthousiastes venus d’une communauté de pairs qui les appuie dans leur négativité entretiennent leur bonheur. Je leur souhaite de se trouver un loisir qui les rendra plus heureux et plus épanouis.

Pour ma part, je retourne effacer mon historique sur Facebook. Voyons, pourquoi j’étais si fâché en mars 2012 contre la pub de Barbies Resto Bar Grill ? Était-ce parce que rien que d’en parler suffit à avoir la chanson dans la tête pendant une semaine ? (Désolé.)

Qui est Stéphane Dompierre ?

  • Stéphane Dompierre est écrivain, éditeur et chroniqueur.
  • Il a signé plus d’une demi-douzaine de romans, dont Novice, en 2022, ainsi que les recueils de chroniques Fâché noir et Marcher sur un Lego.
  • Il est directeur de la collection La Shop chez Québec Amérique.