Il s’agit de deux anciennes colonies a priori très éloignées, géographiquement et culturellement, mais dont certains points de contact et influences mutuelles s’avèrent insoupçonnés : l’Inde et le Québec ont en effet, de façon certes non intensive, mais notable, eu l’occasion de partager nombre de biens et de citoyens, mais aussi d’idées politiques, au fil des derniers siècles.

Muni de la loupe de l’histoire connectée, Serge Granger, professeur à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, décortique ces liens principalement entretenus par un trait d’union, à savoir l’Empire colonial britannique, d’abord « vase communicant », puis chape dont ces deux nations chercheront à s’affranchir.

Son ouvrage Les cousins de l’Empire, dans lequel intervient également l’historien Yvan Lamonde, abondamment nourri de sources documentaires, tirées notamment de la presse d’époque, examine l’évolution de ces liaisons en deux temps : pendant la phase d’édification du réseau colonial britannique, puis durant celle de son délitement, aux prises avec les velléités d’autonomie de ses diverses composantes.

Ainsi, dès le XVIIIe siècle, on observe en premier lieu des liens commerciaux, à sens unique, par le truchement d’importations d’épices et de tissus indiens, s’intensifiant avec d’autres denrées prisées, comme l’opium ou le thé ; le chapitre consacré au poids de ce dernier s’avère particulièrement intéressant, montrant comment les bassins de ressources se sont déportés de la Chine vers l’Inde, où les Britanniques orchestrèrent de nouvelles plantations. Il constitue également un exemple éloquent de l’inflexion des habitudes de consommation dans les colonies, la boisson tassant le café tout-puissant au Canada.

L’essai nous fait découvrir des échanges allant bien au-delà des marchandises. Militaires, navires de guerre, ingénieurs, médecins, missionnaires ou congrégations issus du Canada francophone ont traversé les mers, partis rejoindre la colonie d’Asie à des fins de défense ou de développement des intérêts de la Couronne ; pour tous ces domaines, d’innombrables exemples très précis sont exposés. Les idées circulent aussi : dans les deux colonies, on trouvait le même esprit teinté de loyauté à l’égard de cet empire en phase de consolidation.

Influences d’indépendances

Toutefois, au début du XIXe siècle, de sérieuses lézardes apparaissent dans le modèle.

Un fil reliera désormais le Canada et l’Inde : l’aspiration à l’affranchissement.

Plusieurs figures au cœur de ces processus constitueront des influences de part et d’autre, tel Allan Octavian Hume, qui incitera les réformistes indiens à s’inspirer des revendications canadiennes de 1837. Cette observation mutuelle sera mise à mal par les politiques d’immigration discriminatoires du Canada envers les Indiens, mais ravivée par les poussées indépendantistes menées par Gandhi.

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Les poussées indépendantistes en Inde trouveront une forte résonance auprès des nationalistes canadiens-français. André Laurendeau (au centre, en 1963) a même traduit Gandhi.

Au Québec, bien avant la Révolution tranquille, le processus indien trouve une forte résonance auprès des nationalistes canadiens-français. Les derniers chapitres de l’ouvrage sont à ce titre très instructifs, explorant la perception québécoise du leader pacifiste (tantôt béni, tantôt honni) et l’impact de l’indépendance du géant asiatique dans l’arène politique et sociale québécoise.

À l’heure où les relations diplomatiques indo-canadiennes se sont fortement détériorées, faire la lumière sur les rapports entre ces deux « cousins constitutionnels » aux destinées parallèles permet d’approfondir notre regard sur ceux-ci bien au-delà de la simple actualité.

Extrait

« Dans les deux cas, mais à des époques différentes, l’élite politique au Québec et en Inde s’intéresse au combat de l’autre puisque les deux s’inspirent mutuellement dans un processus d’autonomisation constitutionnelle face à Londres. Par exemple, André Laurendeau (1912-1968) traduit Gandhi (1869-1948). Le but derrière cette traduction n’est pas anodin puisqu’elle constitue une diffusion du discours émancipateur prôné par Laurendeau, qui de son propre aveu aurait voulu être Gandhi. Cette histoire connectée se vit aussi chez les nationalistes indiens, et notamment Gopal Krishna Gokhale (1866-1915), qui revendiquent un statut analogue à celui du Québec dans l’Empire. »

Qui est Serge Granger ?

Serge Granger est professeur titulaire à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke. Il s’intéresse particulièrement aux relations sino-indiennes et à l’influence de ces deux pays sur le Québec.

Les cousins de l’Empire

Les cousins de l’Empire

Les Presses de l’Université de Montréal

224 pages