(Ottawa) Juin 2021. Le président des États-Unis, Joe Biden, assiste à son premier sommet du G7 en tant que leader de la première puissance mondiale.

Le sommet se tient à Carbis Bay, au Royaume-Uni, six mois après l’assaut du Capitole mené par des partisans de Donald Trump qui croyaient dur comme fer le mensonge selon lequel il avait remporté l’élection présidentielle.

Dès le début de la rencontre, qui réunit les dirigeants des États-Unis, du Canada, de la France, du Royaume-Uni, de l’Allemagne, de l’Italie et du Japon, le nouveau président déclare sur un ton solennel : « L’Amérique est de retour. »

Du tac au tac, le président français Emmanuel Macron lui demande : « Monsieur le Président, pour combien de temps ? »

Joe Biden a raconté cette anecdote le 28 septembre dernier lors d’un discours à Tempe, en Arizona, au cours duquel il a rendu un vibrant hommage à l’ancien sénateur républicain John McCain, candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2008, remportée par le démocrate Barack Obama.

Ce discours visait aussi à mettre en relief les dangers qui guettent, selon Joe Biden, les institutions démocratiques aux États-Unis. « Je suis venu honorer l’Institut et la bibliothèque McCain parce qu’ils abritent un fier républicain qui a donné la priorité à son pays. Notre engagement ne doit pas être moindre, car la démocratie doit unir tous les Américains, quelle que soit leur affiliation politique », a notamment soutenu le président.

À l’instar du président français, il y a près de trois ans, de plus en plus de Canadiens se demandent aujourd’hui si l’Amérique est de retour pour de bon ou s’il faut envisager un autre scénario à l’approche de l’élection présidentielle.

La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, fait partie de ceux qui croient qu’il ne faut pas écarter ce scénario. Dans une entrevue accordée à La Presse en juin, elle a affirmé que le Canada a l’obligation de se préparer à un possible retour de Donald Trump à la Maison-Blanche.

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Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères

Oui, c’est sûr qu’il faut se préparer à cette possibilité. C’est important de s’y préparer.

Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères

Comment se prépare-t-on au retour au pouvoir d’un homme aussi imprévisible et intempestif que Donald Trump, qui est venu à un cheveu de déchirer l’Accord de libre-échange nord-américain – un bloc économique liant le Canada, les États-Unis et le Mexique – pour marquer les 100 premiers jours de sa présidence ?

Un retour… possible

Une victoire de celui qui doit répondre à de multiples accusations dans quatre affaires criminelles distinctes est-elle vraiment un scénario plausible ?

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Malgré ses déboires avec la justice, Donald Trump pourrait remporter la prochaine présidentielle, selon Goldy Hyder, président et chef de la direction du Conseil canadien des affaires.

« Une victoire de Donald Trump ? Oui, c’est possible », affirme sans ambages Goldy Hyder, président et chef de la direction du Conseil canadien des affaires, qui suit de très près les relations qu’entretient le Canada avec ses principaux alliés.

Je suis d’avis que si tu ne connais pas ton histoire, tu es condamné à la répéter. Il faut donc apprendre des leçons du passé. L’important dans tout cela, c’est la préparation.

Goldy Hyder, président et chef de la direction du Conseil canadien des affaires

Comme d’autres, il constate que les sondages sont loin d’être encourageants pour le président actuel, qui aura 81 ans le 20 novembre. Entre autres, Joe Biden obtient le pire taux d’approbation pour un président sortant depuis Jimmy Carter, qui a mordu la poussière devant le républicain Ronald Reagan en 1980 après un seul mandat.

M. Hyder souligne que des élections auront lieu en 2024 aux États-Unis, au Mexique et peut-être aussi au Canada, si le gouvernement Trudeau et le Nouveau Parti démocratique mettent fin à l’entente qui assure en principe la survie des libéraux minoritaires aux Communes jusqu’en juin 2025.

Résultat : le renouvellement du nouvel accord de libre-échange conclu entre Ottawa, Washington et Mexico durant le règne tumultueux de Donald Trump risque d’être reporté à la dernière minute. Connu désormais sous le sigle ACEUM (Accord Canada–États-Unis–Mexique), cet accord doit être renouvelé à compter de 2026.

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Donald Trump et Justin Trudeau dans Charlevoix, à l’occasion du sommet du G7 de 2018. Dès son départ de La Malbaie, le président Trump a renié le communiqué final à peine ratifié du sommet, qualifiant sur Twitter Justin Trudeau de « faible » et de « malhonnête ».

« Notre inquiétude, c’est exactement l’erreur qu’on a commise la dernière fois. Il a fallu se démener. On a paniqué. Heureusement, on a réussi à sauver la mise en mettant sur pied une sorte d’Équipe Canada qui incluait le gouvernement fédéral, les partis de l’opposition, les premiers ministres des provinces, les gens d’affaires et les syndicats. Nous avons bâti un consensus canadien qui reconnaissait que la menace existentielle pour le Canada est la qualité de nos relations avec les États-Unis. Nous savons bien que la perception internationale du Canada est forgée par la relation que nous avons avec les États-Unis. »

Si l’on perçoit dans les capitales des principaux alliés du Canada que les liens entre les deux pays sont fragilisés, le Canada va inévitablement en payer un prix économique, diplomatique et politique, selon lui.

« Il faut donc tout faire ce que l’on peut pour demeurer le meilleur allié des États-Unis. Cela veut dire que l’on doit être un allié fiable sur plusieurs fronts », ajoute-t-il.

Des liens à soigner

Depuis plusieurs années, le Canada est perçu au Congrès américain comme un « freeloader » (parasite) qui fait le strict minimum en matière de défense. Ces reproches, qui ont été amplifiés durant le règne de Donald Trump, ont aussi été formulés sur un ton plus diplomatique par l’administration de Joe Biden.

Durant la première visite officielle du président démocrate à Ottawa, en mars, cette question a été abordée de front. L’ambassadeur des États-Unis au Canada, David Cohen, s’est fait le porte-parole du président en invitant le gouvernement Trudeau à en faire davantage pour assurer la défense du continent et des démocraties menacées par les régimes autoritaires. Il a fortement suggéré de majorer les dépenses militaires pour éventuellement respecter le critère de 2 % du PIB établi par l’OTAN.

En 2023, le Canada prévoit des dépenses de 36,7 milliards en défense, soit l’équivalent de 1,29 % de son PIB.

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Depuis plusieurs années, le Canada est perçu au Congrès américain comme un parasite qui fait le strict minimum en matière de défense.

« On devrait vendre le pipeline Trans Mountain et se servir des profits pour investir dans notre défense et notre sécurité s’il le faut pour rassurer les Américains », a avancé l’ancien ambassadeur du Canada à Washington Gary Doer, alors qu’il participait au webinaire organisé par l’Institut canadien des affaires mondiales, au début de septembre.

Quelques mois à peine après la visite du président Biden, le gouvernement Trudeau a annoncé des coupes de près de 1 milliard de dollars dans le budget du ministère de la Défense. Il n’est donc pas étonnant, selon de nombreux observateurs, que les États-Unis choisissent depuis quelque temps d’exclure le Canada quand ils décident de créer de nouvelles alliances. C’était le cas lors de la création d’une nouvelle alliance militaire tripartite AUKUS réunissant les États-Unis, l’Australie et la Grande-Bretagne.

Cela a aussi été le cas lorsque la Maison-Blanche a publié un communiqué de presse condamnant fermement les attaques terroristes du Hamas contre Israël au nom du Quint – qui regroupe cinq des sept pays du G7, soit les États-Unis, la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et l’Italie, mais pas le Canada ni le Japon.

L’ancien ambassadeur des États-Unis au Canada Bruce Heyman estime aussi que le Canada a pu rayonner sur la scène internationale au fil des décennies – le Canada fait partie du G7, de l’OTAN et d’autres organisations internationales – en raison des relations privilégiées qu’il a su entretenir avec son voisin du Sud.

Le retour au pouvoir de Donald Trump serait un « désastre absolu » pour le Canada, a-t-il soutenu dans une récente entrevue au Toronto Star. Il croit d’ailleurs que les Américains et les Canadiens ne sont pas suffisamment éveillés au risque qu’il représente. « Ils ne sont pas pleinement conscients des dangers que Donald Trump fait peser sur notre démocratie, nos alliances, nos amitiés… Il ne faut pas les sous-estimer en ce moment », a dit M. Heyman, qui a été nommé ambassadeur à Ottawa par Barack Obama et a servi de 2014 à 2017.

Trump pourrait-il influencer les élections au Canada ?

L’élection américaine pourrait-elle influencer l’humeur des électeurs canadiens s’ils devaient se rendre aux urnes après une victoire de Donald Trump ? Dans les rangs libéraux, on croit que oui. C’est pour cette raison que les stratèges libéraux tiennent à ce que les prochaines élections fédérales se déroulent en 2025. Pour ce faire, il faut que l’entente conclue entre le NPD et le gouvernement Trudeau tienne le coup jusqu’à la fin, soit jusqu’en juin de cette année-là. Cette entente donne les appuis nécessaires aux libéraux, qui sont minoritaires aux Communes, en échange de la mise en œuvre de certaines mesures qui sont chères au NPD, comme le programme national de soins dentaires. « Si le chaos est de retour à la Maison-Blanche, les Canadiens vont vouloir de la stabilité à Ottawa », calcule une stratège libérale, qui a requis l’anonymat pour s’exprimer plus librement. À l’heure actuelle, les sondages accordent une large avance au Parti conservateur de Pierre Poilievre dans les intentions de vote.