Un référendum sur l’avortement en Ohio et des élections au poste de gouverneur du Kentucky et du Mississippi pourraient procurer aux démocrates un triplé au pays de Trump mardi. Du moins, c’est le rêve qu’ils caressent. S’agit-il d’un simple mirage ? État des lieux.

(New York) Une question embrouillée

Dans trois des États où les électeurs iront aux urnes – la Virginie, le Kentucky et l’Ohio –, l’avortement occupera une place centrale. En Ohio, cette question fera même l’objet d’un référendum destiné à enchâsser dans la Constitution de l’État le droit à l’avortement jusqu’à la viabilité du fœtus.

Si l’on se fie aux sondages, les pro-choix devraient l’emporter. Après tout, des baromètres publiés en juillet et en octobre ont indiqué que 58 % des électeurs de l’Ohio étaient en faveur de la modification constitutionnelle proposée.

Un tel résultat confirmerait l’attrait des droits reproductifs auprès de l’électorat de la plupart des États américains, y compris ceux qui ont voté pour Donald Trump (en 2020, ce dernier a battu Joe Biden par 8 points de pourcentage en Ohio, État à la fois industriel et rural du Midwest). Les démocrates comptent déjà mettre l’accent sur ce thème à l’occasion des élections de 2024.

Mais les républicains du Buckeye State ne se tiennent pas encore pour battus. En août dernier, faut-il rappeler, ils ont perdu un premier référendum qui aurait fait passer de 50 % plus une voix à 60 % la majorité requise pour modifier la Constitution de leur État dans le cadre d’un référendum d’initiative populaire.

Après cette défaite, le secrétaire d’État de l’Ohio, Frank LaRose, un républicain opposé à l’avortement, a utilisé sa position pour changer le texte de la question référendaire sur laquelle s’exprimeront les électeurs de son État mardi.

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Le secrétaire d’État républicain de l’Ohio, Frank LaRose, samedi à Columbus

À l’origine, ce texte reconnaissait explicitement le droit de l’État d’interdire l’avortement après la viabilité du fœtus, soit environ 23 semaines, sauf si le médecin de la femme enceinte estime que l’interruption de la grossesse « est nécessaire pour protéger la vie ou la santé de la patiente enceinte ».

Or, selon le texte rédigé par le secrétaire d’État, la modification constitutionnelle « permettrait toujours d’avorter un enfant à naître à n’importe quel stade de la grossesse, indépendamment de sa viabilité ».

Ce libellé non seulement dénature la disposition relative à la viabilité, mais remplace aussi le mot « fœtus » par « enfant à naître », une expression contestée qui pourrait influencer le vote de certains électeurs.

La Cour suprême de l’Ohio, à majorité conservatrice, a confirmé le droit du secrétaire d’État de changer le texte de la question référendaire comme il l’a fait.

Un gouverneur populaire

Le gouverneur démocrate du Kentucky, Andy Beshear, mise également sur l’avortement pour décrocher un deuxième mandat dans un État où Donald Trump a battu Joe Biden par 26 points de pourcentage en 2020. Il affronte le procureur général de l’État, Daniel Cameron, un Afro-Américain qu’il accuse de vouloir interdire presque tous les avortements, même en cas d’inceste et de viol.

Malgré son appartenance au parti d’un président largement détesté au Kentucky, Beshear est l’un des gouverneurs les plus populaires aux États-Unis et le gouverneur démocrate le plus populaire chez les républicains (fin juillet, il récoltait 50 % d’opinions favorables parmi les électeurs du Grand Old Party, selon un sondage Morning Consult).

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Le gouverneur démocrate du Kentucky, Andy Beshear, samedi à Owensboro

Fils d’un gouverneur démocrate qui a terminé un deuxième et dernier mandat en 2015, Andy Beshear se présente comme un politicien apolitique qui se distingue en contribuant à l’essor économique de son État et en gérant de façon compétente les crises naturelles ou sanitaires.

Il défend néanmoins des politiques démocrates controversées, et pas seulement en matière d’avortement. Il a également réjoui les progressistes de son parti en devenant l’un des rares gouverneurs d’un État rouge à utiliser une disposition de la loi sur la santé de Barack Obama pour augmenter le nombre de personnes admissibles au programme d’assurance maladie public pour les pauvres (Medicaid).

Son rival républicain, Daniel Cameron, jouit d’appuis majeurs. Il est non seulement le protégé du puissant sénateur du Kentucky Mitch McConnell, mais également le choix de Donald Trump parmi les candidats républicains qui briguaient le poste de gouverneur de l’État. Comme d’autres candidats républicains aux États-Unis ces jours-ci, il attaque son adversaire sur la criminalité et les droits des personnes transgenres.

Un cousin d’Elvis

Même s’il est un cousin lointain du chanteur le plus célèbre ayant vu le jour au Mississippi, Brandon Presley ne doit pas à son patronyme ses chances de créer la plus grande surprise électorale mardi. Membre de la Commission de la fonction publique du Mississippi, cet ancien maire de 46 ans mène une campagne vigoureuse contre le gouverneur républicain sortant, Tate Reeves, dont la popularité est minée par un déficit de charisme et un surplus d’affaires mettant en cause sa probité.

S’il promet d’améliorer le système d’éducation et d’étendre la couverture médicale des citoyens du Mississippi, État le plus pauvre des États-Unis, Presley rompt en revanche avec le Parti démocrate sur certaines questions, dont l’avortement, auquel il s’oppose.

Pour l’emporter, le candidat démocrate devra compter sur une participation supérieure des Afro-Américains du Mississippi, qui représentent pas moins de 38 % de l’électorat, une part plus importante que dans n’importe quel autre État américain.

Le Mississippi n’a pas élu un gouverneur démocrate depuis 24 ans. En 2019, le gouverneur Reeves a devancé son rival par 5 points de pourcentage dans un État où, un an plus tard, Donald Trump a éclipsé Joe Biden par 16 points de pourcentage.

Si les démocrates réussissent ce triplé au pays de Trump, ils n’auront pas d’autre choix que de reprendre en chœur un des succès d’Elvis : All Shook Up.

Les républicains aussi.