Plus impopulaire que tout autre vice-président depuis 30 ans aux États-Unis, Kamala Harris a du mal à se défaire de son image de politicienne néophyte. Elle entame l’année de l’élection présidentielle avec un seul objectif en tête : faire réélire Joe Biden.

Première femme de couleur à la vice-présidence

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Son mari, Doug Emhoff, à son côté, Kamala Harris prête serment en tant que vice-présidente des États-Unis, le 20 janvier 2021.

Kamala Harris est entrée dans l’histoire en devenant la première femme – et première femme de couleur – à la vice-présidence. Elle y est aussi pour des raisons moins positives : elle est aujourd’hui le vice-président américain le plus impopulaire des 30 dernières années, avec une cote d’approbation de 39 % et de désapprobation de 55 %, soit un résultat plus faible que ceux de Mike Pence, de Joe Biden, de Dick Cheney et d’Al Gore à l’époque. Rafael Jacob, de la Chaire Raoul-Dandurand, note que la fonction de vice-président a toujours été extrêmement ingrate, et que l’arrivée de la première femme de couleur à un poste clé, en pleine période de clivage politique aux États-Unis, a mené à des critiques plus hostiles que ce à quoi un homme aurait pu s’attendre. « Cela étant dit, même lorsqu’on tient compte de cette réalité, Kamala Harris a connu beaucoup de difficultés depuis son arrivée en poste en 2021 », dit-il en entrevue.

Deux choses peuvent être vraies. Comme tout employé de l’État, Mme Harris peut et doit être tenue pour responsable de son bilan et de la manière dont elle remplit sa fonction. Mais elle est également jugée plus sévèrement que ses prédécesseurs et fait face à des attentes déraisonnables que les limites de son rôle l’empêchent de satisfaire.

Li Zhou, journaliste politique de Vox, dans une analyse publiée plus tôt cette année du bilan partiel de Kamala Harris

Les deux fonctions de la vice-présidence

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Le président Joe Biden et la vice-présidente Kamala Harris dans la roseraie de la Maison-Blanche

Quel est le rôle d’un vice-président ? En entrevue, le philosophe Michael LaBossiere, qui enseigne notamment les théories de la connaissance à l’Université A & M à Tallahassee, en Floride, note que la Constitution américaine confère deux rôles au vice-président : il est le premier dans la ligne de succession du président, et il est le président du Sénat, où il ne vote que pour rompre une éventuelle égalité des voix. « Dans l’histoire récente, le rôle du vice-président s’est étendu ou contracté, en fonction de l’administration, dit-il, Dick Cheney représentant le sommet du pouvoir du vice-président, tandis que Mike Pence a été le seul vice-président moderne menacé de lynchage par les partisans de son président. » Au cours d’une année électorale, il est généralement admis que le rôle du vice-président est d’équilibrer le ticket, souvent pour remédier aux faiblesses perçues chez le candidat à la présidence. « Par exemple, Mike Pence a été choisi pour unifier le Parti républicain – aussi étrange que cela puisse paraître aujourd’hui. »

Un poste dans l’ombre

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Donald Trump écoute son vice-président Mike Pence, lors d’un point de presse sur la pandémie, en mars 2020.

La fonction de vice-président a toujours été entourée de flou, ajoute Rafael Jacob. « Quand tu es vice-président, tu es dans l’ombre, mais si on te sort de l’ombre, c’est pour que tu puisses prendre les balles que le président ne veut pas prendre politiquement. » Parfois, les risques physiques sont bien réels : en 1958, lors d’un voyage au Venezuela alors qu’il était vice-président dans l’administration Eisenhower, Richard Nixon a été victime d’une tentative d’assassinat quand une foule en colère a attaqué sa voiture à coups de bouteilles et de pierres, cherchant à l’atteindre. Nixon s’en était sorti indemne. Plus récemment, le plus important mandat confié au vice-président Mike Pence par Donald Trump a été celui de la lutte contre la pandémie de COVID-19, qui a jusqu’ici tué plus de 1,1 million de personnes aux États-Unis. « C’est ingrat ! lance M. Jacob. Mike Pence n’avait aucune chance de s’en sortir de façon positive. » De la même façon, Joe Biden a confié à Kamala Harris la responsabilité de la frontière entre les États-Unis et le Mexique. « Avec un dossier aussi complexe et sensible politiquement, c’est pratiquement impossible de bien faire. »

Un problème de perception

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Alors qu’elle était reconnue pour son franc-parler au Sénat, la vice-présidente Harris est critiquée pour avoir prononcé certains discours confus.

Au-delà des dossiers, Kamala Harris a un problème de perception, note Michael LaBossiere. « Et, en politique, la perception est généralement plus importante que la réalité. » Depuis son arrivée en poste en 2021, ses critiques n’ont pas manqué de soulever la différence entre la Harris « tranchante » reconnue pour son franc-parler au Sénat, et la Harris « salade de mots » qui fait les manchettes pour avoir prononcé certains discours confus. « Le fait que les gens s’interrogent au sujet de Harris contribue à la décrédibiliser, car le fait de poser une question implique souvent une réponse préjudiciable dans l’esprit de plusieurs personnes, dit M. LaBossiere. Même les articles qui la défendent sont susceptibles d’être nuisibles, car ils soulignent souvent le problème de perception, en affirmant qu’elle fait un meilleur travail que ne le pensent les gens. Du point de vue de la perception, elle semble être plus un obstacle qu’un atout. »

Plus à gauche

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Des militants pour le droit à l’avortement réunis à Los Angeles réagissent chaudement au vibrant plaidoyer lancé par la vice-présidente Kamala Harris, le 15 avril.

Pour la prochaine année, le rôle de Kamala Harris consistera à faire le pont entre les électeurs de moins de 30 ans et Joe Biden, qui vient d’avoir 80 ans, note Rafael Jacob, « Mme Harris peut aller plus à gauche que Biden. Elle a été très visible sur les enjeux liés au droit à l’avortement, aux armes à feu, à l’environnement qui rejoint beaucoup les jeunes démocrates. Aussi, Biden est un démocrate très traditionnel, proche des cols bleus, des syndicats. Kamala Harris peut aider à aller chercher une autre génération, qui se reconnaît moins dans ces thèmes. » Les moins de 30 ans seront à surveiller l’an prochain, dit-il. Selon un récent sondage Emerson College, Trump est plus populaire que Biden chez les moins de 30 ans, à 45 % contre 43 %, avec 12 % d’indécis. Pourtant, en 2020, les électeurs de moins de 30 ans avaient voté pour Joe Biden à 59 % contre 35 % pour Donald Trump. Est-ce que Kamala Harris, qui a débuté plus tôt cette année une tournée des campus américains, peut aider à renverser la tendance ? « Je crois qu’elle n’aura pas le choix d’aider », dit Rafael Jacob.

Climat politique

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Kamala Harris prend la parole durant un rassemblement électoral à Atlanta, en octobre 2020.

Une chose est certaine : Kamala Harris va beaucoup voyager dans la prochaine année. En 2020, durant la pandémie, Joe Biden avait fait de nombreux discours par visioconférence. Mais cette fois, il lui faudra visiter des dizaines d’États, une tâche dans laquelle Kamala Harris va pouvoir l’épauler. Cela dit, à un an de l’élection présidentielle de 2024, beaucoup de données manquent pour permettre d’évaluer à quoi ressemblera le futur duel entre les démocrates et les républicains. Au premier rang : est-ce que Donald Trump sera candidat ? demande Michael LaBossiere. « Dans le climat politique actuel, je suis enclin à penser que la plupart des électeurs ne sont pas influencés par le choix du vice-président : ils voteront pour Trump, qui est le candidat républicain le plus probable, ou pour Biden, quels que soient les autres candidats. Mais si Trump n’est pas en mesure de se présenter, et que c’est Biden contre un autre républicain, alors les vice-présidents pourraient avoir plus d’importance. »

La vice-présidente doit mener une campagne plus visible et plus active à l’approche de 2024 – ses faibles résultats dans les sondages ne sont pas une raison pour la mettre à l’écart. Au contraire, le fait de la sortir de l’ombre pourrait lui permettre d’améliorer ses résultats, car elle se définit elle-même aux yeux du public au lieu de se laisser définir par d’autres.

Lauren Leader, directrice générale d’All In Together, une organisation à but non lucratif, dans une analyse publiée dans The Hill

Deux moments signés Kamala

La vice-présidente Kamala Harris fait souvent parler d’elle pour ses interventions parfois confuses. En voici quelques exemples.

Salade de mots à Washington

En avril dernier, Kamala Harris a donné un discours étrange au sujet du droit à l’avortement devant des étudiants de l’Université Howard, à Washington.

« Je pense qu’il est très important […] pour nous, à chaque moment, et certainement à celui-ci, de voir le moment dans lequel nous existons et sommes présents, et d’être capable de le contextualiser – de comprendre où nous existons dans l’histoire et dans le moment – en relation non seulement avec le passé, mais aussi avec l’avenir. »

Lisez et écoutez un exrait de son discours (en anglais)

Les banques de la communauté

On a eu droit à une autre « salade de mots » lors de l’annonce d’un investissement à l’Université Clafin, en Caroline du Sud, en septembre 2022.

« Nous avons investi 12 milliards de dollars supplémentaires dans les banques de la communauté, parce que nous savons que les banques de la communauté sont dans la communauté, qu’elles comprennent les besoins et les désirs de cette communauté, ainsi que les talents et les capacités de cette communauté. »

Lisez et écoutez un extrait de son discours (en anglais)

Cinq vice-présidents qui ont marqué l’histoire

Thomas Jefferson

IMAGE TIRÉE DE WIKIPÉDIA

Thomas Jefferson

Vice-président des États-Unis de 1797 à 1801, Thomas Jefferson a rédigé la Déclaration d’indépendance, avant de lui-même devenir président en 1801.

Theodore Roosevelt

PHOTO FOURNIE PAR LA BIBLIOTHÈQUE DU CONGRÈS

Theodore Roosevelt

A été vice-président en 1901, et est devenu président après l’assassinat de William McKinley survenu la même année. « Teddy » Roosevelt a créé les premiers parcs nationaux.

Lyndon B. Johnson

PHOTO YOICHI R. OKAMOTO FOURNIE PAR LA MAISON-BLANCHE, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Lyndon B. Johnson

Devenu président après l’assassinat de John F. Kennedy en 1963, Johnson a surpris beaucoup d’observateurs en devenant un leader sur la question des droits civiques et de l’émancipation des Afro-Américains.

Al Gore

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Al Gore

Vice-président de 1993 à 2001 sous Bill Clinton, Al Gore s’est engagé dans la question de la lutte contre les changements climatiques. Cela lui a valu de recevoir le prix Nobel de la paix en 2007.

Dick Cheney

PHOTO MIKE SEGAR, ARCHIVES REUTERS

Dick Cheney

Vice-président sous George W. Bush de 2001 à 2009, Cheney est considéré comme l’un des vice-présidents les plus influents de l’histoire, notamment pour son rôle dans la décision des États-Unis d’envahir l’Afghanistan, puis l’Irak, après les attentats du 11 septembre 2001.