Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche au chroniqueur et auteur Olivier Niquet.

Bientôt s’amorcera la saison du Canadien de Montréal, l’un de mes moments préférés de l’année avec le temps des asperges et l’arrivée des bonbons d’Halloween chez Costco. C’est que j’ai fait une devise de l’expression « du pain et des jeux ». Le pain et les jeux (surtout les jeux, puisque j’essaie de réduire ma consommation de gluten) sont plutôt efficaces pour se divertir de la fin du monde dont les développements s’égrènent sur toutes les plateformes à longueur de journée.

C’est une période où je me découvre une opinion sur la composition des trios, même si je n’ai la plupart du temps aucune idée si les joueurs sont droitiers ou gauchers. Ils n’auront qu’à jouer du revers, au pire. Autour du monde du hockey, l’effet Dunning-Kruger, ce biais qui fait que des gens inaptes surestiment leurs compétences dans un domaine, est bien ancré, mais sans conséquence. C’est un monde parallèle où il fait bon se réfugier pour se prononcer en toute incompétence.

Le hockey mineur, lui, est commencé depuis un moment déjà, comme en témoigne l’odeur de poches de hockey dans mon sous-sol. Je passe une grande partie de ma vie dans les arénas depuis que je suis haut comme ça (encore moins haut que Cole Caufield, qui est droitier en passant). Avoir deux enfants qui pratiquent ce sport implique une quinzaine d’heures par semaine à se geler le derrière pendant que l’on contemple la Zamboni traçant son chemin dans une sorte de lenteur hypnotique.

La culture du hockey a mauvaise presse depuis quelques années. On parle des commotions, des bagarres, des initiations, des agressions. Il faut en parler, bien sûr. Mais après une dizaine d’années à faire la tournée des patinoires, je n’ai presque pas vu de cas de parents sautés de la calotte, d’entraîneurs qui voulaient en découdre avec un arbitre prépubère ou d’attaquants imberbes qui se prenaient pour Georges Laraque. J’ai rencontré toutefois des tonnes d’exemples de parents dévoués, positifs et généreux de leur café trop pâle.

Les sports d’équipe sont un formidable vecteur pour favoriser la mixité sociale. Si vous êtes un comptable, il y a de bonnes chances que vous fréquentiez beaucoup de responsables des ressources humaines et de planificateurs financiers. Je caricature, mais il est bien possible que votre cercle d’amis tourne en rond. L’aréna vous imposera à l’inverse de passer beaucoup de temps avec un électricien et un prof de philo. Vous ne serez même pas déstabilisé.

Le hockey est un excellent lubrifiant social puisque les gens qui se retrouvent dans un aréna en connaissent généralement le langage. Pas besoin d’être capable de discourir de la méthode de Descartes, de jaser de pompes à puisard ou de fiscalité créative pour mener une discussion.

« Je pense, donc je suis » capable de parler de hockey, comme disait l’autre.

C’est une bonne chose pour les parents comme pour les enfants. Une façon ludique (oui, j’ai osé le mot ludique) d’encourager l’émulation en regroupant des jeunes de tous les milieux. Être confronté aux réalités de chacun aide sans doute à réduire les chances de virer fou lorsqu’on découvre à un âge trop avancé que tout le monde n’est pas comme nous. Peut-être qu’on a moins le goût d’aller insulter ceux qui ont des idées différentes des nôtres sur les réseaux sociaux lorsqu’on les fréquente depuis notre enfance.

On peut aussi espérer que les parents qui se font regarder de travers parce qu’ils crient comme des déchaînés après leur petit pee-wee risquent de changer leur comportement. La saison dernière, alors que j’assistais à un match du Canadien dans une section d’où l’on ne voit pas grand-chose du Centre Bell, j’ai été fasciné d’entendre pendant toute la partie un jeune garçon crier « Pourri, Jonathan Drouin, pourri » ! Je ne me suis pas demandé d’où il tirait son inspiration puisque son père s’époumonait à crier des injures du même acabit à ses côtés. Tout ça à une distance de la glace de laquelle même la voix de Marc Hervieux ne pourrait être entendue. Qu’un enfant et son père jugent bon d’insulter un joueur qui sort d’un épisode difficile me dépasse. J’aime à croire que s’ils avaient fréquenté les bons arénas, ils auraient compris que ce comportement est à proscrire si tu ne veux pas avoir l’air d’un motté.

Au-delà de ces vertus idéalistes, il y a ceci de bien dans les sports d’équipe qu’ils sont excellents pour développer l’esprit du même nom. La personne qui a pratiqué un sport d’équipe aura appris à sacrifier sa petite personne au profit de l’ensemble. C’est une personne qui saura accepter la défaite et qui sait que ce n’est pas la fin du monde (surtout que, tsé, une médaille en plastique du tournoi de Nicolet, on a déjà vu mieux). Une personne qui sait qu’en gang, on accomplit plus qu’en solo. Une personne aussi qui saura s’adapter, surtout si elle a eu un entraîneur qui l’avait fait jouer du mauvais côté parce qu’il ne savait pas si elle était gauchère ou droitière.

Un des principaux défis des entraîneurs de hockey est de faire comprendre aux mangeux de puck qu’ils ne travaillent pas pour le bien commun. Et s’ils réussissent à convertir ces mangeux de puck en joueurs généreux de leurs passes, on peut espérer que ça fera une personne de moins qui serait prompte à essayer de défoncer le filet (social) à elle toute seule.