Oli est non binaire. Donc une personne trans qui n’est ni un garçon ni une fille. Iel, le pronom qu’Oli nous a demandé d’utiliser, a eu la chance de pouvoir compter sur sa mère et son père pour cheminer dans sa transition, qui n’a pas été amorcée sur un coup de tête. Comme Justin, Jade*, Élianne et Dorian, Oli a pris sa décision au terme d’une profonde réflexion qui le** laissait par moment avec plus de questions que de réponses.

« Je ne comprends pas tout. Je ne comprends pas toujours pourquoi Oli a voulu faire cette transition, avoue Mireille, sa mère, mais ce qui est clair, c’est qu’il y a là quelque chose d’important. Je trouve que les gens sautent tellement vite à traiter ça comme une passade de jeunesse ! Ça touche quelque chose de tellement sensible et de tellement profond que ça ne peut pas ne pas être sérieux. Ça ne se peut pas. »

Oli vit à Montréal, va au cégep, a un travail d’été, des amis et mène une vie pas bien différente de celle des autres jeunes de 18 ans. La différence, c’est qu’iel ne se considère ni comme un garçon ni comme une fille. D’où sa préférence pour un pronom neutre. Ce constat, iel l’a fait après un long et parfois douloureux questionnement survenu à l’adolescence.

Iel a commencé par s’interroger au sujet de sa sexualité. « Je m’appelais une lesbienne », dit-iel. Cela ne réglait cependant pas son malaise à être une fille, à ses yeux et à ceux de tout le monde. Le déclic a eu lieu lorsqu’iel a découvert des personnes trans sur l’internet et réalisé qu’être non binaire était une option. « Quelque chose m’interpellait là-dedans », dit Oli, qui a longtemps hésité avant de conclure que cela lui correspondait.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Mireille, la mère d’Oli, s’inquiète de la haine déversée sur les personnes trans.

Il y a des personnes trans pour qui les choses sont claires. Moi, ç’a été vraiment difficile. Ça occupait beaucoup mes pensées et, pendant la pandémie, on avait beaucoup de temps pour penser…

Oli

Oli a eu de la chance : iel a vite pu compter sur le soutien de sa mère, Mireille, qui avait remarqué que son enfant lui parlait de plus en plus du sort réservé aux personnes trans. De discussions en déductions, elle a eu l’intuition de demander à son ado quels pronoms utiliser au cours de leurs échanges. Ce qui a provoqué son coming out.

Se révéler aux autres

Les choses n’ont pas été si simples pour Justin, Dorian, Élianne et Jade. D’où leur souci de préserver leur anonymat dans ce reportage. Presque tous ont traversé des moments difficiles avec leur famille lorsque, au terme d’une réflexion souvent longue et vécue dans la solitude, ils se sont ouverts à leurs parents. Pour la plupart autour de 15 ans.

Ils racontent des réactions allant de l’incompréhension à une indifférence presque hostile. « Il fallait que je leur prouve que, scientifiquement, ça se pouvait et que ça m’arrivait pour vrai. Il fallait que je fasse les deux en même temps, alors que j’essayais de me comprendre moi-même », dit l’un de ces jeunes. Parfois, c’est la mère qui a un mouvement de recul et d’opposition, parfois, c’est le père.

« Tous les parents passent, j’imagine, par la période où ils se disent : d’un coup que mon enfant se trompe ? convient Mireille, qui a eu le réflexe de s’informer sur la transidentité. On a tous eu 15 ou 16 ans et on a tous le sentiment que ce qu’on pensait à ce moment-là a changé. On reste avec l’idée qu’on ne peut pas se fier à ce qu’on pense quand on a cet âge-là. »

« Mes parents voulaient me protéger de la violence envers les personnes trans et c’est compréhensible, concède Jade, fille trans de 18 ans. Maintenant, ils me soutiennent beaucoup. J’ai l’impression qu’il va toujours y avoir un mur entre le reste de ma famille et moi, à cause de mon identité de genre, mais ils sont acceptants. »

Dorian, garçon trans de 18 ans vivant à Sherbrooke, souligne que la pression est forte pour un ado de 15 ou 16 ans qui s’interroge au sujet d’une chose aussi fondamentale que son identité. Il en parle d’ailleurs comme d’un « processus ». « Ce n’est pas parce que tu te sens comme un garçon trans, comme une fille trans ou une personne non binaire que tu as automatiquement réponse à tout », dit-il.

Devenir soi-même

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

« Le décalage entre ce qu’est une fille et moi, je le ressens depuis vraiment longtemps, je n’avais juste pas de mot pour le nommer », dit Justin, garçon trans de 18 ans.

Une fois qu’un ado conclut qu’il ou elle ne correspond pas au genre qui lui a été assigné à la naissance, mille questions se posent encore. Que faire avec ça ? Quel nom choisir ? Quels pronoms ? Comment en parler ? À qui ? Vais-je devoir prendre des hormones ? Va-t-on m’accepter ou m’agresser ? La vérité, c’est qu’ils ont tous craint de se tromper. Cette période est intense, confirme Justin, 18 ans. « Quand tu es là-dedans, tu penses juste à ça », dit le garçon trans vivant dans la couronne nord de Montréal. « Moi aussi, je me demandais ce qui allait m’arriver, avoue Oli. J’avais peur que ce soit une phase. »

Oli a de son propre chef regardé « des millions » de vidéos de « détransitionneurs » – des gens qui ont regretté leur transition et fait marche arrière – pour comparer ses expériences aux leurs et évaluer s’il risquait de changer d’avis. Dorian a fait le même exercice, sous la pression d’une personne de son entourage. « Rétrospectivement, je suis content de l’avoir fait », explique-t-il. Cet exercice l’a conforté dans son désir de poursuivre sa transition, dont la prochaine étape pourrait être la prise d’hormones pour masculiniser son apparence.

Comment tu te sentirais si tu avais l’impression d’être pris dans le corps de Jabba the Hut ? C’est le même genre de décalage entre moi et ce que je vois dans le miroir.

Jade, fille trans de 18 ans

Il n’existe pas un seul modèle de transition. « J’y vais un pas à la fois », dit Élianne, 18 ans, qui a accompli sa transition sociale, mais n’envisage pas pour le moment de prendre des hormones pour féminiser son apparence. Jade, elle, a commencé quelques jours avant ses 15 ans. « C’est la meilleure décision que j’ai prise de ma vie, assure la jeune fille, qui envisage à court terme une intervention chirurgicale d’affirmation de genre. Je ne vois pas comment je pourrais avoir une vie sexuelle sans ça. En ce moment, c’est une grande source de motivation pour moi. »

Oli, après s’être beaucoup inquiété des transformations que les hormones feraient subir à son corps, est apaisé. « Maintenant, je sais que je suis correct, dit-iel. Plus jeune, j’étais toujours hyper conscient de la façon dont j’étais perçu. J’avais l’impression d’être une Barbie qui joue un rôle. Avoir l’air d’une personne qui me représente mieux, ça m’a sorti de ça. Ça m’a aidé à exister tout court. »

* Prénom fictif, afin de préserver son anonymat

** Oli accepte aussi les pronoms masculins

Qu’est-ce qu’une transition ?

Ce qu’on appelle une transition comporte trois volets : social, légal et médical. « Historiquement, on s’attendait à ce qu’une personne passe à travers les trois étapes pour être considérée comme trans, souligne Cam, intervenant à l’Aide aux trans du Québec. Ce n’est plus le cas. L’éventail de ce qu’est une personne trans est très large. Une personne pourrait ne faire qu’une transition sociale et elle serait tout aussi trans. »

Transition sociale

Le fait de changer son nom et ses pronoms auprès de sa famille, de son entourage, dans son milieu de travail ou à l’école. Ce geste peut s’accompagner ou pas de l’adoption d’un style vestimentaire plus masculin, féminin, androgyne ou neutre, selon ce qui semble cohérent à la personne trans elle-même.

Transition légale

Le fait d’entreprendre des démarches administratives pour que ses documents officiels (documents d’identité, carte d’assurance maladie, etc.) reflètent le nom et l’identité de genre choisis par la personne trans. Une personne non binaire peut désormais cocher X plutôt que M (masculin) ou F (féminin) sur certains documents officiels, alors qu’une personne assignée femme à la naissance peut aussi, par exemple, changer légalement de genre pour obtenir la mention M (masculin), et vice-versa.

Transition médicale

Le fait d’obtenir des soins médicaux visant à transformer son corps afin qu’il reflète l’identité de la personne. Ces soins peuvent inclure la prise d’hormones et des interventions chirurgicales dites d’affirmation de genre comme la mastectomie, la vaginoplastie ou la pose d’implants mammaires ou testiculaires.