Les gouvernements ont mis de côté l’entreprise Huawei. Peur de l’ingérence chinoise, parfait. Mais les gouvernements laissent entrer les équipements de Lenovo, qui est aussi une entreprise chinoise. Pourquoi deux poids, deux mesures ? – Denis Marquis

En mai 2022, le gouvernement Trudeau prend (enfin !) la décision qui s’impose : bannir Huawei de la construction des réseaux canadiens de 5G, la cinquième génération de communications mobiles.

Une autre entreprise chinoise, ZTE, est aussi frappée par l’interdiction.

À l’époque, trois des quatre alliés du Canada au sein du réseau Five Eyes, un regroupement de partage de renseignement, ont banni Huawei de leurs propres réseaux depuis longtemps : les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie. L’autre membre, la Nouvelle-Zélande, n’a pas formellement interdit l’entreprise, mais lui a néanmoins fermé la porte de tous les contrats.

La crainte de ces pays : l’espionnage électronique.

Pourquoi avoir bloqué Huawei et ZTE, mais pas Lenovo, une autre entreprise chinoise ?

Il faut d’abord préciser une chose : le gouvernement canadien a empêché Huawei de participer au développement de ses infrastructures 5G canadiennes, mais il n’a pas banni ses appareils destinés aux consommateurs.

Sur son site canadien, Best Buy offre pas moins de 78 téléphones mobiles différents de marque Huawei. Rien n’empêche d’en acheter un et de l’utiliser. Il faut toutefois noter que les applications Google, dont le Play Store, ne fonctionnent pas à cause de restrictions commerciales imposées par le gouvernement américain. Huawei a développé ses propres plateformes pour remplacer celles de Google.

Sachant cela, il n’est pas si surprenant qu’on permette à Lenovo de vendre ses tablettes et ses ordinateurs portables chez nous.

Fyscillia Ream, coordonnatrice scientifique de la Chaire de recherche en prévention de la cybercriminalité à l’Université de Montréal, explique qu’il y a d’autres raisons pour lesquelles on se méfie davantage de Huawei que de Lenovo.

« Un aspect important est que Huawei produit des composantes pour des appareils militaires, alors que c’est moins vrai pour Lenovo », souligne l’experte.

« L’autre particularité est que les micropuces utilisées par Huawei sont fabriquées par l’entreprise elle-même, alors que celles de Lenovo sont produites par des multinationales », continue Mme Ream. Cela rend Huawei d’autant plus suspecte.

Toute la division des ordinateurs portables de Lenovo, qui comprend les produits ThinkPad, a été acquise d’IBM en 2005.

Cela étant dit, le réflexe de se méfier des appareils Lenovo est loin d’être farfelu.

En 2008, la marine américaine a découvert que ses ordinateurs portables Lenovo copiaient des informations et les envoyaient en Chine. Depuis, elle a complètement banni tous les appareils de cette marque.

En 2019, l’inspecteur général du département de la Défense américain a identifié les appareils de Lenovo et de Lexmark, une autre entreprise chinoise, comme des « risques connus de cybersécurité ».

Dans un article publié dans le magazine Newsweek, le major général américain à la retraite James Marks lançait récemment un avertissement au sujet des appareils électroniques chinois. Il rappelait que depuis 2017, une loi chinoise oblige toute entreprise de ce pays à coopérer avec le gouvernement chinois et à lui verser toute information demandée⁠1.

Selon lui, on devrait aussi se méfier des entreprises chinoises Hikvision (appareils de surveillance vidéo) et DJI (drones).

« La tendance a l’air d’aller vers l’interdiction des appareils Lenovo », souligne l’experte Fyscillia Ream.

Ce n’est toutefois pas le cas au Canada. Alors qu’Ottawa et Québec ont interdit à leurs employés de télécharger l’application chinoise TikTok sur tous les appareils fournis par le gouvernement, il n’existe aucune interdiction touchant les appareils Lenovo pour les fonctionnaires.

« À l’heure actuelle, le gouvernement du Canada n’interdit pas l’utilisation de produits Lenovo », nous a confirmé le Centre de la sécurité des télécommunications (CST), un organisme fédéral.

« Lorsque nous évaluons le risque associé à une pièce d’équipement de TI (technologies de l’information), nous nous concentrons sur la technologie qui fait l’objet de l’examen plutôt que sur le pays d’origine du fournisseur. Nous abordons les évaluations d’un point de vue individuel pour nous assurer de fournir les meilleurs conseils et les meilleures orientations au cas par cas », précise le CST.

Alors, faut-il se méfier des appareils Lenovo ?

« Ça dépend de l’usage qu’on en fait, répond Fyscillia Ream. Si on travaille pour le gouvernement, les précautions doivent être plus grandes. Mais considérant le contexte politique actuel, il est toujours préférable de ne pas acheter d’appareils chinois, à cause du risque de collecte de données. »

1. Lisez l’article de Newsweek (en anglais)