Super navires de croisières, cargos de plus en plus gros, concurrence internationale féroce ; les ports partout dans le monde doivent racler le fond de leur chenal chaque année pour permettre d’accoster. C’est ce qu’on appelle le dragage. Il en ressort des tonnes de sédiments, une sorte de vase, communément appelée de la boue. Elle termine la plupart du temps sa course dans des sites d’enfouissement.

Une partie de la France est toutefois en train de donner un solide coup de barre à ce gaspillage en confiant à une entreprise le mandat de recycler la vase issue du dragage. L’objectif est de la réintégrer dans des matériaux de construction, comme le béton ou le ciment.

« Dans un premier temps, elle sera utilisée pour les travaux de voirie. Avec le temps et la recherche, on espère pouvoir l’utiliser pour fabriquer des bâtiments », a fait valoir lors d’une annonce officielle Robert Huet, de l’entreprise Eqiom, mandataire du gouvernement français.

Chaque année, 8500 kilomètres de voies fluviales sont dragués en France, générant 50 millions de mètres cubes de vase. Parvenir à la recycler permettrait de produire jusqu’à 40 000 tonnes de béton chaque année, selon les prévisions d’Eqiom.

C’est astronomique, la quantité de vase draguée là-bas [en France]. Ils ont des voies maritimes, des canaux, les rivières. Les opérations ont des coûts qui peuvent se chiffrer dans les millions.

Émilien Pelletier, chimiste et professeur émérite à l’Institut des sciences de la mer de Rimouski

Le port de Sorel-Tracy a tenté une expérience en récupérant les boues du dragage de la marina de Saurel pour les façonner en terre-pleins destinés au parc industriel. C’était en 2005. L’opération a permis de revaloriser 5000 mètres cubes. Cependant, la transformation a créé une « zone dite contaminée » puisque les sédiments auraient d’abord dû être assainis, selon la réglementation canadienne.

Pour « de petits projets, ça peut toujours aller », mais la Société des parcs industriels Sorel-Tracy (SPIST) est à la recherche d’autres façons pour disposer de ses fonds vaseux, explique sa directrice, Nancy Annie Léveillée. Le port de cette région est le septième en importance au Canada. Selon les quais, un dégagement minimal des fonds de 8,3 à 11,2 mètres est nécessaire aux navires. Le dragage est « incontournable », ajoute-t-elle.

Dragage d’entretien ou d’expansion

PHOTO ANDREW CABALLERO-REYNOLDS, ARCHIVES BLOOMBERG

Ponton de dragage dans le nord de Chypre

Mathieu Saint-Pierre est président-directeur général de la Société de développement économique du Saint-Laurent. L’organisation chapeaute tous les ports longeant le fleuve. Il rappelle que 80 % de ce qu’on consomme provient du transport maritime, que ce soit la nourriture ou les produits de consommation – vêtements, meubles, appareils électroniques, jouets, équipements sportifs, etc.

Il existe essentiellement deux types de dragage : celui d’entretien, comme au port de Sorel-Tracy, et celui – très controversé – pour permettre l’expansion, comme le projet du site Contrecœur du Port de Montréal. Avec la cible d’accueillir 1,15 million de gros conteneurs. À Montréal, de 2000 à 10 000 tonnes sont draguées chaque année. M. Saint-Pierre estime qu’il faut obtenir une « acceptabilité sociale ». Il y a également un grand défi à relever pour améliorer les connaissances et approfondir la recherche scientifique, dit-il.

Il cite le port de New York, où 21 contrats de dragage ont été attribués pour dégager le fond marin jusqu’à 50 pieds. Pas moins de 52 millions de mètres cubes de boue ont été récupérés. Cette boue a permis de restaurer les marécages des îles de la baie de la Jamaïque et le Lincoln Park, au New Jersey, ce qui a calmé en partie la grogne des environnementalistes.

« Les travaux à New York en ont fait le plus grand port de la côte est de l’Amérique du Nord. Les études le démontrent, il est envisageable au Québec de réutiliser les sédiments. On peut penser au remblaiement dans le domaine de la construction, aussi pour la stabilisation des berges. Il faut revoir notre approche, obtenir concertation auprès du gouvernement. »

Le dragage pourrait tout à fait diminuer la pression économique grâce à l’utilisation des sédiments en génie civil, sur les terres agricoles.

Mathieu Saint-Pierre, président-directeur général de la Société de développement économique du Saint-Laurent

L’expert de l’Institut des sciences de la mer de Rimouski Émilien Pelletier a consacré une partie de sa carrière à l’écotoxicologie marine. Il explique qu’à l’heure actuelle, les sociétés portuaires québécoises sont réduites à deux options. La première consiste à relâcher les sédiments en aval. L’autre se résume à charger la vase sur des barges pour la transporter par camions jusqu’à l’enfouissement.

« Les coûts sont déjà très élevés pour l’enfouissement. Théoriquement, chimiquement et biologiquement, c’est donc très possible de recycler les sédiments. La boue ne devient ni plus ni moins que de l’argile une fois traitée, ce n’est pas riche en carbone, ça pourrait minimalement consolider des sols. »

Le dragage au Québec

30 infrastructures portuaires au Québec et une voie navigable de 3700 kilomètres (du lac Supérieur à l’océan Atlantique)

PHOTO FOURNIE PAR LE GROUPE OCÉAN

Le navire Océan Traverse Nord réalise du dragage de la voie navigable du Saint-Laurent.

3 types de dragage

  • Dragage d’entretien des chenaux de navigation et des aires portuaires
  • Dragage d’approfondissement ou de capitalisation
  • Dagage de restauration de sites à forte pollution (plus rare)

500 000 m3

Quantité de sédiments dragués au Québec chaque année. De cette quantité, de 50 000 à 100 000 m3 sont dragués sur la Traverse du Nord (nord de L’Isle-aux-Grues).

Source : Université du Québec à Rimouski, Gestion et valorisation des sédiments de dragage au Québec. Julien Dionne Lavoie, 2018

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