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Combien paient les entreprises pour notre électricité ?

Réal Tremblay

Combien paient les entreprises au Québec pour notre électricité ? Plus cher que vous et moi, M. Tremblay.

En fait, elles subventionnent en partie la très faible facture d’électricité des clients résidentiels québécois. On fait payer aux entreprises un tarif plus élevé que le coût réel de leur électricité, ce qui permet de financer des tarifs réduits pour les clients résidentiels.

Il y a essentiellement quatre tarifs d’électricité au Québec. Au 1er avril 2022, le tarif résidentiel était de 7,59 cents/kWh (tarif D), le tarif pour clients commerciaux (par exemple les clients institutionnels, les bureaux), 8,37 cents/kWh (tarif M), et le tarif pour les clients industriels de grande puissance, 5,33 cents/kWh (tarif L). Il y a un quatrième tarif pour les alumineries, qui varie selon le prix de l’aluminium en vertu de contrats à long terme. Entre 2015 et 2022, il était en moyenne de 3,87 cents/kWh.1

Mais attendez : le tarif de 5,33 cents/kWh pour les gros clients industriels n’est-il pas moins élevé que le tarif résidentiel de 7,59 cents/kWh ? Oui… et non.

C’est que l’électricité coûte moins cher à produire pour les gros clients industriels, pour deux raisons. Ceux-ci consomment de façon plus régulière durant la journée, alors que les clients résidentiels consomment surtout aux heures de pointe. Pour un réseau, il coûte toujours plus cher de produire davantage d’électricité aux heures de pointe. L’autre raison, c’est parce que la distribution de l’électricité coûte moins cher pour les clients industriels, plus simples à raccorder au réseau que l’ensemble des clients résidentiels.

En 2021, les clients résidentiels ont payé 14 % de moins qu’il en a coûté à Hydro-Québec pour les alimenter. Alors que les clients commerciaux ont payé 28 % de plus que le coût réel de leur électricité, et les clients industriels, 13 % de plus.

Les entreprises subventionnent indirectement le tarif d’électricité des clients résidentiels au Québec. C’est le principe de l’interfinancement.

« On a la chance, une chance perverse, à mon avis, de payer moins cher comme client résidentiel parce que les clients commercial et industriel paient plus cher », explique le professeur Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal.

Cela dit, les clients résidentiels comme les clients commerciaux et industriels paient leur électricité beaucoup moins cher au Québec qu’ailleurs au Canada et aux États-Unis.

Pour un client résidentiel, Montréal est la ville canadienne ou américaine où l’électricité est la moins chère, et de loin, selon une étude comparative d’Hydro-Québec. Il en coûte 50 % de plus à Vancouver, 83 % de plus à Toronto, 163 % de plus à Calgary, 397 % de plus à Boston et 444 % de plus à San Francisco, la plus chère parmi les 22 villes de l’analyse comparée.

Pour un client commercial, Montréal est la deuxième ville la moins chère parmi les 22 villes, derrière Winnipeg (7 % moins cher). Il en coûte 7 % de plus à Vancouver, 52 % de plus à Toronto, 79 % de plus à Calgary, 215 % de plus à Boston et 250 % de plu à San Francisco.

Pour un client industriel, Montréal est aussi la ville la moins chère parmi les 22 villes. Il en coûte 46 % de plus à Vancouver, 83 % de plus à Toronto, 147 % de plus à Calgary, 254 % de plus à San Francisco et 314 % de plus à Boston.

Selon le professeur Pierre-Olivier Pineau, les clients résidentiels québécois sont « subventionnés deux fois ». Premièrement, on paie moins cher grâce aux clients commerciaux et industriels. Deuxièmement, on profite de tarifs largement en bas du marché nord-américain pour l’électricité, parce que le Québec produit de l’électricité à bas prix grâce à ses barrages hydroélectriques et au contrat avec Churchill Falls, dans le Labrador.

En moyenne, il en coûte 2,1 cents/kWh à Hydro-Québec pour produire de l’électricité sur l’ensemble de son réseau (il faut ajouter environ 2,5 cents/kWh pour la distribution résidentielle).

Par contre, toute nouvelle production d’électricité coûte beaucoup plus cher. Le dernier grand projet, le complexe de la Romaine sur la Côte-Nord mis en service de 2014 à 2022, produit de l’électricité au coût de 6,4 cents/kWh.

Alors que la demande pour notre hydroélectricité verte (et à faible coût) va augmenter avec la lutte contre les changements climatiques, il faut se demander si nos tarifs peu élevés nous incitent à gaspiller notre électricité. « C’est un très mauvais incitatif pour réduire notre consommation », illustre le professeur Pierre-Olivier Pineau.

C’est dans ce contexte que le gouvernement Legault amorce une réflexion sur ce qu’on veut faire avec notre électricité, tant pour notre consommation que notre production et nos tarifs.

Dans cette réflexion, il ne faudrait pas oublier que le kWh d’électricité le plus rentable, c’est toujours celui qu’on n’utilise pas.

1. Dans ce paragraphe, il s’agit des tarifs au 1er avril 2022.

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