Les fils ne sont pas tous attachés et les documents, pas encore signés. Il reste que cet investissement majeur attendu depuis si longtemps n’a jamais été aussi près du but.

De quoi je parle ? De la construction d’une aluminerie dernier cri au Saguenay destinée à remplacer la vieille installation polluante d’Arvida.

L’investissement de la multinationale Rio Tinto oscillerait entre 1,0 et 1,5 milliard de dollars et pourrait être annoncé dans les prochaines semaines. Et cette fois, Rio Tinto paiera un tarif électrique bien différent à Hydro-Québec, qui s'approchera du tarif standard payé par les grands industriels (tarif L), m’indiquent mes sources, non autorisées à parler publiquement.

Depuis plusieurs années, les Saguenéens attendent avec impatience que Rio Tinto démarre son fameux projet de 96 cuves avec sa technologie AP60. L’entreprise a construit un centre de 38 cuves en 2013, mais les faibles prix de l’aluminium, entre autres, ont repoussé le projet plus substantiel de 96 cuves.

Rio Tinto s’est avancé pour un projet de 16 cuves l’automne dernier, et disait analyser la possibilité d’en ajouter 80.

Or voilà, des négociations progressent bien entre Rio Tinto et le gouvernement du Québec, si bien qu’on peut espérer une annonce dans quelques semaines, selon mes renseignements. La direction de la multinationale serait en train de valider certains paramètres auprès de son conseil d’administration, entre autres. Pourrait-on avoir plus de 96 cuves ?

Rio Tinto souhaite lancer le projet rapidement afin de minimiser les journées de construction durant les mois rigoureux de l’hiver saguenéen, me dit-on.

Depuis quelques semaines, l’entreprise fait d’ailleurs des aménagements sur le lot d’environ 1 kilomètre carré où sera construite l’usine. « Elle rase les bâtisses qui n’ont pas d’affaire-là. Le projet n’est pas annoncé, mais ça s’en vient », croit Éric Gilbert, un des officiers du Syndicat national des employés de l’aluminium d’Arvida (SNEAA).

Selon mes informations, il reste encore des fils à attacher pour le financement, qui implique le gouvernement du Québec. Il ne serait plus question d’un tarif électrique comme celui que paient toutes les alumineries du Québec depuis 10 ans, et qui varie avec le prix de l’aluminium.

Le tarif qui sera payé à Hydro-Québec pour ce projet se rapprocherait du fameux tarif L qui est facturé aux grands industriels du Québec, me dit-on (l’équivalent d’environ 4,6 cents le kilowattheure pour les alumineries).

L’actuel tarif à partage de risque des alumineries varie selon un multiple du prix de l’aluminium (le facteur P). Ce facteur P est plus bas dans les vieilles alumineries, comme celle d’Arvida, et plus élevé dans les plus récentes, comme ABI à Bécancour1.

Pour compenser la disparition de l’avantage P des tarifs électriques, Québec aurait proposé une autre forme de financement fort avantageux à Rio Tinto, qui serait novateur, mais dont je n’ai pu obtenir les détails. Vraisemblablement, le financement permettrait à Rio Tinto d’abaisser son coût de construction, qui est nettement plus élevé au Québec qu’en Chine, par exemple.

En avril, le PDG de Rio Tinto Aluminium, Ivan Vella, avait fait part à La Presse de sa préoccupation à ce sujet. « Bâtir une aluminerie en Chine coûte environ 2000 $ US par tonne de capacité tandis qu’au Québec, on parle de 6000 $  US à 8000 $ US. Le coût de la main-d’œuvre est élevé, tout comme celui des matériaux. Il y a aussi la fiscalité. Plus personne ne peut construire de nouvelles alumineries parce qu’ils n’en ont pas les moyens. »

La technologie AP60 du projet n’est pas comparable avec la fameuse technologie Elysis, la plus récente développée par Rio Tinto et Alcoa qui ne produirait plus aucun gaz à effet de serre (GES).

L’AP60 a toutefois fait ses preuves, contrairement à Elysis. Et elle est efficace et bien moins polluante que les technologies utilisées dans les autres alumineries, notamment l’AP40.

Produire une tonne d’aluminium avec la technologie AP60 émet 1,6 tonne de GES par tonne d’aluminium produite, selon les données disponibles d’Environnement Canada. Ça reste énormément de GES, mais 24 % moins que la moyenne des alumineries au Québec (2,1 tonnes de GES), alumineries qui sont déjà parmi les moins polluantes au monde, vu l’énergie hydroélectrique utilisée.

Surtout, l’aluminium AP60 émet moitié moins de GES que la vieille aluminerie Arvida et ses cuves précuites qu’elle devrait remplacer (environ 3,8 tonnes de GES), selon mes calculs.

Le projet de 96 cuves AP60 serait développé en parallèle avec la fermeture progressive de cette vieille aluminerie, appelé Centre électrolyse Ouest d’Arvida. L’aluminerie très polluante, adjacente au futur projet, fait l’objet de nombreuses plaintes des citoyens.

Pour préserver les emplois de la vieille aluminerie, les gouvernements ont accepté à trois reprises depuis 2013 de prolonger sa durée de vie, en plus de lui accorder un très faible tarif électrique, au détriment de l’environnement.

Dans la dernière entente de prolongation, en 2018, l’usine devait cesser ses activités à la fin de 2025. Le tarif électrique très avantageux d’Hydro à Rio Tinto pour 350 MW arrivait d’ailleurs à échéance le 31 décembre 20252. Même chose pour le permis du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs (MELCCFP).

Rio Tinto a toutefois demandé une prolongation après 2025 de son permis au ministère de l’Environnement, selon ce qui a été confirmé à Radio-Canada récemment. Les demandes de renouvellement de permis couvrent une période de cinq ans, selon la loi.

La fermeture des vieilles cuves précuites d’Arvida pourrait progressivement débuter l’an prochain, mais aussi après 2025, selon ce qu’a récemment laissé entendre l’entreprise.

La vieille aluminerie Arvida compte 350 employés, m’indique Éric Gilbert, représentant syndical du SNEAA, ce qui exclut la centaine du centre de coulée. Quelque 100 à 200 autres employés travaillent en sous-traitance. L’usine produit au rythme de 171 000 tonnes d’aluminium par année.

En comparaison, l’usine AP60 de 38 cuves en activité depuis 2013 compte une soixantaine d’employés, auxquels s’ajoutent des cadres, entre autres. Elle produit environ 56 000 tonnes.

Avec l’ajout de 96 cuves, Rio Tinto pourrait produire avec l’AP60 un total de près de 200 000 tonnes d’aluminium, à terme.

Plusieurs craignent que le remplacement de la vieille usine par une neuve vienne réduire significativement les emplois, réputés fort payants.

Selon un rapport produit par les firmes McKinsey et Hatch en 2019, l’usine pilote AP60 a eu besoin de 24 % moins d’employés par tonne produite que la vieille aluminerie Arvida. Le ministre de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, devra donc justifier autrement le financement fort avantageux qu’il s’apprête à consentir à Rio Tinto.

Le cabinet de Pierre Fitzgibbon n’a pas voulu faire de commentaires. Rio Tinto n’a pas répondu à mes questions pointues sur le sujet, notamment le changement dans la tarification électrique. « Rio Tinto a des échanges continus avec les gouvernements et cela fait partie de la nature de nos activités », m’a écrit l’entreprise.

À suivre, assurément.

1. Par exemple, durant les 5 années 2018 à 2022, le tarif moyen a été de 3,7 cents le kilowattheure à Arvida et Baie-Comeau, comparativement à 6,5 cents pour ABI.

2. Le tarif avantageux est alors remplacé par le tarif L par la suite jusqu’en 2045 pour les divers besoins de Rio Tinto, selon ce qu’indique le décret gouvernemental.