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Mais où sont donc les tiers partis ? Comment se fait-il qu’il n’y ait pas de tiers partis aux États-Unis, contrairement à ce qu’on voit dans les autres pays occidentaux ? Il y aurait pourtant bien de la place étant donné le clivage actuel entre les deux grands partis.

Robert Gagnon

Dans beaucoup de démocraties libérales occidentales, les partis traditionnels sont en perte de vitesse. La France est un excellent exemple de ce phénomène : le Parti socialiste et Les Républicains, qui régnaient autrefois en maîtres, ont été marginalisés au cours des dernières années.

La perte de confiance à l’égard des politiciens des grands partis n’épargne pas les États-Unis. Ainsi, selon un sondage Gallup, seuls 20 % des Américains disaient approuver le travail du Congrès américain en mars dernier. Or, on y trouve presque uniquement des démocrates et des républicains (malgré la présence de quelques indépendants).

Pourtant, le bipartisme est une caractéristique fondamentale de la politique fédérale aux États-Unis depuis plus de 150 ans. Les tiers partis sont marginalisés. Et ça s’explique.

« Le système électoral – scrutin uninominal à un tour –, les obstacles pour devenir candidat et le Collège électoral forcent les électeurs dans le giron de deux partis », explique Daniel Marien, qui enseigne la politique américaine à l’Université de Floride centrale.

Au chapitre des obstacles, l’expert explique que « chaque État exige que les candidats qui veulent être sur la liste électorale déposent des pétitions signées par des citoyens. Les dispositions varient d’un État à l’autre, mais les règles sont généralement difficiles pour les tiers partis ».

« Souvent, les grands partis n’ont pas besoin de pétitions pour obtenir une place sur le bulletin de vote », renchérit Antoine Yoshinaka, qui enseigne les sciences politiques à l’Université d’État de New York à Buffalo. Il est lui aussi convaincu que de nombreux « facteurs institutionnels » favorisent les républicains et les démocrates.

Mais il souligne que la nature des partis aux États-Unis contribue aussi au phénomène.

« On dit souvent que ce sont deux coalitions plutôt que des formations avec une ligne de parti très rigide. Alors ils accueillent des factions qui, dans un autre système, formeraient des tiers partis », dit-il, en citant à titre d’exemples les modèles qu’on voit généralement en Europe.

Néanmoins, on parle beaucoup cette année de l’émergence possible d’une troisième voie à la présidence, qui pourrait combler les électeurs qui ne veulent voter ni pour Joe Biden ni pour Donald Trump.

Ne mettons toutefois pas la charrue avant les bœufs : cette course n’est pas coulée dans le béton.

Chez les démocrates, le leadership de Joe Biden ne fait pas l’unanimité. Quoique son rival le plus sérieux, Robert F. Kennedy Jr., ne soit pour l’instant pas très menaçant.

Chez les républicains, Donald Trump demeure très populaire, mais certains pensent encore que le gouverneur de la Floride, Ron DeSantis, pourrait brouiller les cartes.

Le contexte actuel est malgré tout jugé favorable à l’avènement d’un troisième candidat crédible à la présidence.

Parmi ceux qui ont évoqué cette possibilité récemment, il y a la chroniqueuse du Wall Street Journal Peggy Noonan – qui fut naguère rédactrice de discours pour le président Ronald Reagan.

« S’il semble clair que l’Amérique est coincée une fois de plus avec une course Trump-Biden, je pense que l’électorat pourrait s’agiter. Je n’ai pas l’impression que les gens vont accepter cela », a-t-elle écrit.

Ce n’est pas qu’une vue de l’esprit. Des efforts sont actuellement menés pour mettre en place l’infrastructure nécessaire à une telle candidature.

Ce ne serait pas inédit. Dans l’histoire récente, deux politiciens ont récolté assez de voix pour jouer les trouble-fêtes : Ralph Nader en 2000 et Ross Perot en 1992.

« Il y a plus d’incertitude cette année qu’en temps normal », reconnaît Antoine Yoshinaka.

« Mais est-ce qu’il va y avoir réellement un tiers parti qui va faire une percée ? Il faut vraiment que l’offre politique des deux partis, sur le plan des enjeux, ne satisfasse pas la demande. C’est excessivement difficile. »