Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à l’auteur et éditeur Stéphane Dompierre.

J’ai recommencé tranquillement pas vite à voir des amis. (Des mois après tout le monde, oui. Je ne voulais pas être le gars qui part la 18vague de COVID.) Tout semble pas mal revenu à la normale, mis à part que la pandémie a changé la façon qu’on avait de se saluer.

Je me disais qu’après des années de distanciation, les gens seraient tellement en manque de contacts humains que les salutations entre amis deviendraient peut-être plus ostentatoires, pour compenser. Un gros french, les mains sur les fesses, en se frottant l’un sur l’autre, quelque chose dans le genre.

Étant introverti, ça m’effrayait un peu.

Mais non, finalement.

La poignée de main, l’accolade et les becs sur les joues, remplacés momentanément par un peu n’importe quoi, comme l’absurde high five dans le vide à deux mètres de distance, ne sont pas redevenus des habitudes.

Avant la pandémie, on suivait la cadence imposée par la plus extravertie des deux personnes : « Deux becs sur les joues ? OK ! Ah, un petit câlin avec ça, ben coudonc, allons-y ! » ou « Juste une poignée de main même si on se connaît depuis 10 ans ? Ça me va. » Ça durait deux secondes, c’était réglé et on passait vite à autre chose.

Maintenant, quand je rencontre un ami, les premiers instants ressemblent à un duel en pleine rue principale dans un vieux western.

On s’observe, on se jauge, qui fera le premier geste et, surtout, quel sera-t-il ? On tente d’évaluer la tolérance de l’autre, alors on s’observe un moment, sourire crispé, bras pendants, sans rien faire. Et on réfléchit : « Est-ce qu’on se donnait des becs, d’habitude ? Me semble que c’est malpropre ? On revient à ça ou cette personne va avoir un mouvement de recul pour éviter qu’on se transmette des microbes ? Vais-je l’offenser si je lui fais l’accolade ? Ai-je vraiment envie d’une accolade ? Est-ce un peu exagéré ? Ça me semble un peu trop émotif à mon goût. Eh misère. Ce moment est interminable. Cette personne va-t-elle faire un geste, qu’on en finisse, ou devrais-je prendre les devants, au risque de commettre un faux pas ? Va-t-elle trouver ça un peu froid si je lui donne simplement une poignée de main, comme si je rencontrais mon banquier ou qu’on était dans une entrevue d’embauche ? Elle va penser que je ne suis pas content de la voir ! Je suis peut-être mieux de ne rien faire, ça ne me tente pas d’être la source d’un malaise. Si je suis trop colleux, je vais avoir l’air d’un gars qui n’a pas encore compris comment se propagent les virus. Je vais attendre qu’elle fasse quelque chose. MAIS ELLE NE FAIT RIEN ! On ne peut pas se sourire indéfiniment dans l’entrée de l’appart sans rien dire ? »

Le moment où l’on se retrouve et on brise la glace est parfois devenu aussi laborieux que de résoudre un cube Rubik sans les mains. Parce qu’on n’a pas remplacé ce qu’on faisait avant par autre chose. Me semble qu’il serait temps qu’on se trouve un geste clair, qui ferait l’unanimité.

Le fist bump, ce petit coup de poing à poing, a un je ne sais quoi d’insatisfaisant. À mon sens, ça ressemble trop à une transaction de drogue rapide dans un coin de ruelle pour devenir la norme. Le coup de coude, inventé pendant la pandémie, oblige à des contorsions disgracieuses, et j’ignore pourquoi, les gens sortent souvent la langue en le faisant. Ce n’est pas chic chic, et ça propage probablement des germes.

En attendant qu’on trouve quelque chose, je contourne le moment embarrassant en faisant diversion. « Je vais prendre ton manteau, oh, une bouteille de vin, wow, t’aurais pas dû ! » Je contemple l’étiquette, je dis n’importe quoi à propos de ce vin que je ne connais pas… « Ah ben ah ben, un merlot, toi ! Pis un 2019, à part de ça ! », que je lance d’un ton ébahi, comme si j’avais la moindre idée si c’est une bonne année ou une année de merde, merlotement parlant.

Il y a quelque chose d’excitant dans ce vide, tout de même : on peut réinventer les salutations. Mais va falloir trouver, et vite, parce qu’on va se tanner des moments de malaise.

Qu’est-ce que ce sera ? J’ai pensé à une danse surprise : on se met à frétiller devant l’autre, sur une chorégraphie de notre choix : quelqu’un part le Achy Breaky Dance, l’autre renchérit avec la dernière chorégraphie trouvée sur TikTok. Un se lance avec la gestuelle de La fureur, l’autre contre-attaque avec une stupéfiante danse flamenco accompagnée de castagnettes et de claquages de talons dramatiques. Une Lambada, un Gangnam Style, pif pouf, les salutations sont faites.

On essaie ça cette semaine et on regarde comment ça se passe ?