L’artiste Marc Séguin propose son regard unique sur l’actualité et sur le monde

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Parfois j’imagine l’invention de la poudre à canon et les bouleversements que ça a engendrés. Soudainement – en une fraction de seconde –, on n’était plus dans un combat corps à corps, tel qu’il était connu depuis des millénaires ; on pouvait dorénavant blesser ou tuer un adversaire dans la distance. Une révolution. Parenthèse : pour les pacifistes et les rêveurs, faut-il rappeler que les affrontements et les guerres existent depuis que le monde est monde ? On perfectionne la nature humaine avec des outils qui la reflètent. Depuis toujours.

L’invention de la photographie devait tuer la peinture. Deux cents ans plus tard, on peint encore. Puis l’ère industrielle est advenue et la population a explosé, se croyant capable d’infini.

Un ami a acheté une Tesla puis l’a revendue le même mois, inquiet qu’Elon Musk sache où il se trouve en tout temps ; les cookies ne sont rien, nos téléphones nous géolocalisent à quelques mètres près 24 heures sur 24, et tout est stocké quelque part. Le travail à la chaîne a terrorisé l’artisan. On a inventé des robots et on s’est mis à faire des cauchemars de chômage universel et la fin du monde est apparue sous de nouveaux traits (encore). Et la fission nucléaire – et deux bombes plus tard –, l’humanité ne serait plus jamais la même. La révolution informatique allait tout changer. Quelques pandémies aussi (rien ne sera comme avant…). Vous me voyez venir ?

J’adore l’idée de l’intelligence artificielle. Parce qu’elle va sauver le monde (hé, hé…) et le détruire à la fois. C’est un peu comme tout ce qu’on invente depuis Adam et Ève. Vous vous souvenez que c’est la faute d’une femme si on doit travailler et souffrir, chassés du Paradis ?

L’inquiétude qui accompagne l’IA fait sourire. On parle beaucoup du faux et du vrai, de cette capacité qu’aurait l’IA de créer des illusions de vérité. Prenons cet exemple de robot qui « jase » et qui recrée une réalité. Eh bien, j’applaudis. Enfin une solution de rechange à une certaine forme de bêtise qui, par ailleurs, nous fait soupirer. Depuis 2016, à peu près tous les journalistes et médias de la planète, à quelques exceptions près, critiquent et torpillent Donald Trump, avec plus ou moins de succès, on s’entend ; il est toujours là. De son côté, l’ancien président fait du beurre de tous ses coups avec les fake news et la désinformation et ses valeurs contraires aux nôtres. Imaginons un instant que l’IA lui fasse dire des choses intelligentes et que ça dupe ses dévots. Imaginons Trump qui répète ad nauseam qu’il souhaite une femme noire à la présidence.

Imaginons ailleurs que l’on confère à l’IA une autorité morale divine avec force de principe sur nos valeurs. Elle ne ferait que se substituer à des millénaires de religions. Qui est dupe ici ?

Pourquoi a-t-on peur ? En 1970, un article du magazine Life racontait que l’IA allait bientôt avoir l’équivalent de l’intelligence humaine.

Il n’y a pas si longtemps, avec des amis, j’ai passé une soirée avec un éminent spécialiste de l’IA (celui de Montréal, dont tout le monde parle). À la fin de cette soirée, j’ai compris que l’IA venait d’abord et avant tout de nous. C’est notre intelligence qui l’a créée. Avec ses limites, ses qualités et ses défauts. Le moratoire demandé fait sourire. D’abord parce que c’est impossible d’arrêter cette course et ensuite parce que c’est comme si on donnait du chocolat à un enfant, ou un adulte, en l’interdisant. La nature humaine, cet équilibre quasi en parts égales de bienveillance et de malveillance, n’a rien à foutre d’un délai. Guerres, pollution, droits de la personne, changements climatiques, inégalités de richesse, catastrophes…

Imaginons l’avenir de nos gouvernances sans partisanerie. Imaginons des prises de décisions moins biaisées et moins contaminées par « l’hommerie ».

Peut-être le moment est-il venu de créer et d’investir dans une entreprise qui saurait simplement certifier ce qui est généré pas l’IA et ce qui ne l’est pas (comme les trucs bio). Par ailleurs, si l’IA fait de l’art et que c’est merveilleux, ou qu’elle améliore notre sort, j’adhère. Mais ce sera comme toute chose : un mélange fucké qui nous ressemble un peu trop.

Devant le constat du monde en 2023, force est d’admettre que l’intelligence naturelle n’a pas si bien fait. Vite, une autre forme. Même si l’artificielle imite la première, on pourra momentanément rêver à une sorte d’avenir meilleur, ou pire.

Tout cela est écrit, l’âme heureuse et avec foi, la bouche qui déborde du chocolat de dimanche dernier que j’ai volé aux enfants. Et le temps d’aller jouer dehors est revenu.