Faire de Montréal une ville qui ne dort jamais à l’image de Berlin, d’Amsterdam ou de New York : c’est le rêve de Mathieu Grondin. Et le directeur général de Montréal 24/24 n’a jamais semblé si près du but.

La plupart des Montréalais n’en ont pas conscience, mais le visage nocturne de leur ville se transforme.

En mai dernier, la Société des arts technologiques (SAT) a accueilli une fête qui a débuté à 22 h le samedi pour se terminer à 3 h du matin… le lundi suivant. Le bar est resté ouvert pendant toute cette période.

On rassure les inquiets : la ville n’a pas sombré dans l’anarchie, et la Terre a poursuivi son inlassable rotation autour du Soleil.

Cette année, pas moins de 10 évènements semblables ont déjà eu lieu. C’est sans compter la Nuit blanche, au cours de laquelle 51 bars et boîtes de nuit ont ignoré (légalement !) le fameux last call pour prolonger le plaisir jusqu’au lever du soleil.

Ces initiatives, on les doit beaucoup aux efforts de Mathieu Grondin.

Il y a un vent en ce moment. Ça va vite, peut-être même plus vite que je ne l’avais prévu. Même à l’international, Montréal attire l’attention parce que c’est rare qu’on réussisse à repousser un couvre-feu ou un last call.

Mathieu Grondin

Le DG de Montréal 24/24 n’est pas le genre de gars qu’on rencontre dans un café baigné de lumière à 11 h 30 du matin. Ou, en tout cas, ça m’aurait semblé trahir un certain concept.

J’attrape donc le noctambule par un vendredi soir à la SAT, où il vient de se produire aux platines en tant que DJ. Vu l’heure, nous troquons les espressos contre des canettes de bière.

À 43 ans, Mathieu dit avoir toujours été « un couche-tard et un lève-tard ». Quand il était enfant, son père, l’ex-animateur de radio Denis Grondin, l’amenait parfois en studio la nuit.

« Ce qui me fascinait, ce sont les gens qui appelaient. C’étaient souvent des camionneurs et mon père pouvait prendre le temps de jaser avec eux. Encore aujourd’hui, pour moi, la nuit est un espace horizontal », dit-il.

Horizontal ?

Le jour, à la radio, il y a des pubs, tout est chronométré, explique-t-il. Et c’est pareil partout. La nuit, la structure s’évapore, un autre rythme s’installe. Il y a des choses que tu peux dire et que tu peux faire la nuit… Tu peux te réinventer, changer ton identité, en découvrir de nouvelles – sexuelles, entre autres ! Pour moi, la nuit est un espace de liberté très spécial.

Mathieu Grondin

Ado, Mathieu Grondin cherche à afficher sa marginalité. Mais avec un père animateur de radio et une mère qui joue de la batterie dans un groupe de musique, sortir du rang est moins évident.

C’est lorsqu’il débarque dans son premier rave, en troisième secondaire, qu’il a une révélation.

« Quand j’ai mis les pieds là-dedans et que j’ai entendu ça… C’était du dance, mais du dance punk. Et je me suis tout de suite dit : wow. Mes parents ne comprendront jamais », raconte-t-il.

À 17 ans, avec des amis, il organise sa première nuit de musique électronique dans une blanchisserie industrielle désaffectée du quartier Rosemont. L’évènement attire 1200 personnes. « La sécurité, c’était l’équipe de football du cégep du Vieux Montréal ! », se rappelle-t-il.

Il ne s’arrêtera jamais, organisant autant des évènements légaux qu’illégaux (il s’est retrouvé à trois reprises devant la justice, parvenant à s’en tirer chaque fois).

Dans le milieu, ça grogne évidemment contre les contraintes d’heures. Surtout que les noctambules montréalais voyagent et voient bien qu’en Europe, la nuit ne finit jamais.

« La première fois que je suis allé à Berlin, j’ai fait : wow. Qu’est-ce qui se passe ici ? Ça n’arrête pas, ça ne ferme pas et tout le monde est cool. Il n’y a pas de batailles, il n’y a pas de monde soûl », raconte-t-il.

Mathieu Grondin est un militant dans l’âme. Mais il comprend d’instinct que ce n’est pas par les manifs et la contestation qu’il réussira à prolonger les nuits montréalaises.

En 2017, avec Alexis Simoneau et G.-Vincent Melo, il fonde Montréal 24/24 – une organisation à but non lucratif visant à promouvoir les droits des noctambules.

Mathieu Grondin se présente aux séances du conseil municipal et pose des questions. Il finit par établir un dialogue avec les politiciens.

Son message : laisser les bars ouverts plus longtemps, loin d’exacerber les problèmes, les atténue.

Je sais que c’est contre-intuitif. Mais le last call à 3 h du matin incite les gens à boire rapidement et crée une heure de pointe à la sortie des bars. Tout le monde se retrouve à se battre pour le même shish-taouk et le même taxi. C’est là que les problèmes surviennent.

Mathieu Grondin

Son message : permettons aux gens de rester à l’intérieur jusqu’à ce qu’ils s’épuisent. « Quand tu sors d’une boîte de nuit à 6 h du matin, tu as juste une chose en tête : aller te coucher », souligne-t-il. En plus, les fêtards peuvent profiter de la réouverture du métro.

Pour l’instant, la douzaine de projets pilotes menés à Montréal semblent lui donner raison, n’ayant pas entraîné de problèmes notables. Il faut dire que Montréal 24/24 veille au grain avec des « escouades de mitigation ».

« Le gros mandat de Montréal 24/24 est encore d’éduquer le public et les décideurs sur la réalité de la nuit, continue Mathieu Grondin. Sur le fait qu’il s’agit de culture, que ça contribue au développement économique de la ville et à son potentiel d’attractivité touristique. »

Le message passe si bien qu’il considère maintenant la mairesse Valérie Plante comme une « grande alliée ».

Craint-il qu’un évènement ne dégénère et efface les gains ? « Quelque chose va finir par arriver, prévoit-il. Mais quand quelqu’un se fait tirer dans une pizzéria du Quartier latin à midi, est-ce qu’on ferme toutes les pizzérias à l’heure du midi ? »

Son prochain combat : que Montréal se dote d’une structure de gouvernance vouée à la nuit et intégrée à l’appareil municipal. Il cite en exemple le New York City Office of Nightlife, les conseils de nuit de plusieurs villes françaises et même les « maires de la nuit » qu’on retrouve dans certaines villes néerlandaises.

Au moment de notre rencontre, Mathieu Grondin s’apprêtait à aller parler de vie nocturne dans des conférences au Texas, à New York et en Australie.

Ironiquement, cet engagement empiète… sur sa propre vie nocturne.

« Depuis que j’ai fondé Montréal 24/24 pour parler de la nuit, je me lève à 7 h du matin pour être en réunion avec des fonctionnaires de la Ville à 8 h », rigole-t-il.

Le vendredi soir, épuisé, il avoue se coucher à 20 h. Mais c’est pour mieux se lever à 1 h du matin… et fêter jusqu’à 6 h.

Questionnaire sans filtre

Le café et moi : Je n’aime pas vraiment les trucs acidulés fabriqués par des baristas australiens et moustachus de la troisième vague. J’aime mon café à l’italienne : un ristretto à la fin du lunch ou du souper. Mais pas de cappuccino après 11 h du matin ou je vais vous juger.

Ma ville nocturne préférée : Avant la guerre, c’était Kyiv ! Une scène dynamique, en émergence, où sortir la nuit est un geste politique et non seulement un exutoire hédoniste. Berlin demeure la Mecque de la musique électronique et des boîtes de nuit expérimentales. Amsterdam est également un excellent exemple en pratique de gouvernance nocturne.

Ma nuit idéale : Un barbecue arrosé entre amis, puis une ride de scooter vers un entrepôt abandonné d’où résonne le tempo d’une basse répétitive. À l’intérieur, une foule bigarrée issue de la contre-culture, des personnes transformées en personnages qui réinventent leurs identités. Au matin, une fête qui continue sous le soleil. Des fous rires, des corps exténués, des yeux qui brillent d’avoir vécu une nuit hors du monde.

Les gens, morts ou vivants, avec qui j’aimerais passer une nuit : J’aurais aimé passer une nuit au Loft avec le DJ David Mancuso à la fin des années 1970 ou avec Dimitri Hegemann au Club Trésor dans les années 1990.

Un voyage dont je rêve : Tbilissi en Géorgie pour le Club Bassiani ou le festival Dekmantel Selectors en Croatie. Ou une nuit dans une tente sur une steppe de Mongolie à regarder les étoiles.

Qui est Mathieu Grondin ?

  • Né à Montréal en 1979
  • Acteur dès son jeune âge (Les portes tournantes, Zap, Une grenade avec ça et bien d’autres). Oui, il est le frère de l’acteur Marc-André Grondin.
  • Diplômé de l’Université Concordia en cinéma, il a réalisé et monté plusieurs vidéoclips, films et publicités.
  • Ancien programmateur événementiel au Festival du nouveau cinéma et aux Rendez-vous du cinéma québécois, il a produit plus d’une centaine d’évènements festifs.
  • Cofondateur et directeur général de Montréal 24/24.