À l’occasion, nous vous présentons un échange entre une personnalité publique et un être qui l’impressionne. Cette semaine, le cinéaste et producteur Denys Desjardins s’entretient avec l’auxiliaire aux services de santé et sociaux Stéphanie Baby.

J’ai toujours été fasciné par les gens qui consacrent leur vie à changer le monde en aidant les autres. J’essaie de m’inspirer de ces personnes qui ajoutent un peu de soleil dans le paysage souvent peu lumineux des actualités quotidiennes. Parfois, j’imagine un monde complètement différent dans lequel nous pourrions parler de ce qui va bien pour faire changement des mauvaises nouvelles habituelles.

Voilà que La Presse a justement la bonne idée de mettre en valeur des personnes qu’on admire, alors je saute sur cette belle occasion qui m’est offerte pour vous présenter Stéphanie Baby, qui est pour moi un soleil radieux qui se lève chaque matin pour changer le monde. Stéphanie pratique un métier très peu connu du grand public : c’est une infatigable travailleuse de l’ombre qui se rend à domicile, depuis maintenant 17 ans, chez les personnes en perte d’autonomie.

Stéphanie est un as de cœur selon moi, le genre de carte cachée que tout le monde devrait avoir dans son jeu. J’emploie cette expression parce que Stéphanie pratique le fascinant métier d’auxiliaire aux services de santé et sociaux (ASSS). C’est un peu compliqué comme nom de métier, alors pour faire simple, je préfère dire que Stéphanie est mon AS de cœur. À vrai dire, les ASSS s’appelaient autrefois les auxiliaires familiales. Bien que le nom ait changé, le métier d’auxiliaire reste sensiblement le même depuis 50 ans. Elles demeurent toujours au service des personnes en perte d’autonomie qui veulent rester à la maison.

Il faut dire que Stéphanie possède une fibre sociale très développée, cela remonte à son adolescence et à sa rencontre avec le travailleur communautaire Pierre Massie, fondateur de l’organisme Le Petit Peuple sur la Rive-Nord.

Quand j’étais au secondaire, j’ai rencontré Pierre Massie, animateur de pastorale, qui ramassait tous les petits bums de l’école pour les amener à son local. Il nous faisait éplucher des légumes pour la soupe populaire. Il m’a appris qu’il y avait de bons et de mauvais leaders. Pierre m’a permis de comprendre que j’avais un bon pouvoir et qu’il fallait que je l’utilise bien.

Stéphanie Baby, auxiliaire aux services de santé et sociaux

Ensemble, ils accompliront de grandes choses dans leur communauté, mais à vrai dire, l’engagement social de Stéphanie prend racine dans son enfance, quand ses parents l’ont entraînée à participer aux regroupements communautaires de son quartier (club Optimiste, club Lions, Chevaliers de Colomb…). J’ai eu la chance, moi aussi, d’avoir ce genre de parents très investis dans la communauté, c’est pourquoi je m’identifie à Stéphanie, car elle aime défendre des causes. Comme celle des soins à domicile à laquelle elle consacre sa vie.

Soins à domicile

Saviez-vous qu’autrefois les infirmières et les médecins se rendaient à domicile ? C’est difficile à imaginer, n’est-ce pas, surtout lorsqu’on constate le niveau d’engorgement dans les urgences. Et pourtant, pendant qu’Amazon vous livre vos achats à domicile en moins de 24 heures, sachez que Stéphanie offre un service encore plus fiable et efficace, puisqu’elle se présente tous les jours à la bonne heure pour donner soins et services à ceux qui en ont besoin. Malheureusement, Stéphanie est une denrée assez rare, car il n’y a que 7000 auxiliaires environ qui, avec l’appui des CLSC, offrent des soins à domicile sur l’ensemble du territoire québécois. Par manque d’investissements, près de 20 000 personnes sont en attente d’un premier service de soins à domicile au Québec.

Le système de la santé, c’est une équipe. Ça prend les hôpitaux, ça prend les CHSLD, les ressources intermédiaires et ça prend les soins à domicile.

Stéphanie Baby, auxiliaire aux services de santé et sociaux

Ce qui est surtout incroyable, c’est que non seulement les ASSS de cœur comme Stéphanie se déplacent jusqu’à votre domicile, mais elles sont également formées pour vous offrir une variété de soins et de services. Bien qu’elle ne soit pas une spécialiste, Stéphanie possède une formation d’auxiliaire aux services santé et sociaux, ce qui l’amène à jumeler plusieurs compétences qui sinon seraient assumées par quatre personnes : une préposée, une infirmière, une ergothérapeute et une travailleuse sociale. Je trouve ça révolutionnaire comme approche, pourtant il n’y a là rien de neuf sous le soleil.

Hérité d’un lointain passé qui remonte au temps où Émilie Gamelin consacrait sa vie aux personnes âgées malades, le métier d’auxiliaire (ASSS) est selon moi la réponse au vieillissement accéléré de la population. Vous le savez comme moi, le Québec vieillit rapidement. D’ici 2031, nous aurons rejoint le Japon puisqu’un Québécois sur quatre sera un aîné (65 ans et plus). Au-delà des statistiques, cette réalité démographique incontestable nous oblige à repenser nos façons de faire dès maintenant.

Alors qu’autrefois nos grands-parents finissaient leurs jours dans leur domicile, aujourd’hui force est de constater qu’avec l’espérance de vie qui approche les 90 ans, il n’existe pas assez de lieux pour héberger les personnes âgées en perte d’autonomie. Les listes d’attente s’allongent chaque jour et nous en sommes à plus de 4000 personnes en quête d’une place dans un CHSLD. Il faut donc revenir en arrière pour favoriser autant que possible le maintien à domicile des personnes désireuses et aptes à rester chez elles, comme c’est le cas dans les pays scandinaves.

Si le Québec a raté le virage des soins à domicile, c’est tout simplement parce qu’il a pris l’autoroute des CHSLD en adoptant un type d’hébergement calqué sur le modèle hospitalier. Le Québec figure même en tête des pays de l’OCDE pour les ressources consacrées à l’hébergement de longue durée au détriment des soins à domicile. C’est ce qui explique que bon nombre de personnes âgées en perte d’autonomie passent par les urgences et doivent ensuite attendre sur un étage d’hôpital qu’une place se libère dans le réseau d’hébergement et de soins de longue durée. Autrement dit, avec le modèle hospitalier actuel, les personnes âgées sont contraintes de finir leurs jours dans des milieux de soins plutôt que dans des milieux de vie. C’est non seulement inacceptable humainement parlant, mais lorsqu’on sait qu’une place en CHSLD coûte environ 100 000 $ par année à l’État, on imagine l’économie d’échelle que cela représenterait si on adoptait un modèle basé sur les soins à domicile.

J’ai placé ma mère

Si je vous parle de ça, c’est parce que Stéphanie prend soin des gens comme ma mère, ce qui permet de retarder leur déménagement dans les CHSLD.

À 88 ans, ma mère était atteinte de pertes cognitives, mais même si elle était considérée comme étant semi-autonome, j’ai été contraint de la placer parce que la résidence privée pour aînés (RPA) où elle habitait ne voulait plus la soigner. Au Québec, le modèle basé sur la rentabilité des résidences privées oblige les personnes âgées en perte d’autonomie à déménager lorsqu’elles exigent plus d’une heure de soins par jour.

Car la rentabilité des RPA provient surtout de la location des espaces d’habitation, alors que les soins demandent des ressources humaines, ce qui représente des investissements. La facture est donc refilée au système public. Et les aînés qui ont besoin de soins doivent s’inscrire sur une liste pour attendre leur place dans le réseau public d’hébergement, soit dans une résidence intermédiaire (RI) ou dans un CHSLD qui, malheureusement, sont déjà occupés à pleine capacité.

C’est du moins l’histoire que j’ai vécue avec ma mère Madeleine et que je raconte dans le film J’ai placé ma mère que vous verrez, je l’espère, pour avoir une meilleure idée de ce que vivent plusieurs personnes âgées et leurs familles au Québec (et je ne vous parle pas du délai de 24 heures que le CLSC vous accorde lorsqu’on vous appelle pour déménager votre mère).

En offrant des soins à domicile, non seulement les auxiliaires comme Stéphanie contribuent à désengorger les urgences et les hôpitaux, mais elles permettent aussi aux proches aidants d’avoir un moment de répit. Surtout qu’elles peuvent offrir les services jusqu’à deux ou trois fois par jour, ce qui est très rassurant pour les familles qui peuvent suivre l’évolution du niveau d’autonomie de leurs proches. Ce ne sont que quelques-unes des raisons pour lesquelles nous devons rapidement amorcer le virage vers les soins à domicile.

J’ai huit visites ce soir et pour chaque personne, je dois évaluer la situation chaque jour. Si la personne est en douleur, il faut déterminer si elle doit aller à l’hôpital ou si j’appelle les enfants, donc on est vraiment seules au monde.

Stéphanie Baby, auxiliaire aux services de santé et sociaux

L’importance de la reconnaissance

Stéphanie est patiente, mais il y a des limites à ce que le métier que l’on pratique soit si peu connu du grand public.

Pour que la situation des soins à domicile évolue au Québec, comme c’est le cas dans d’autres pays civilisés, Stéphanie travaille sans relâche afin que la profession des auxiliaires sorte de l’ombre. C’est ce qui l’a amenée à fonder en 2020 le regroupement A. S. S. S. Maintenant ou jamais. « Il faut que ça change rapidement », m’a confié Stéphanie lors de notre conversation, et je comprends son appel à vouloir que les choses changent.

Les auxiliaires aux soins à domicile sont les seuls qui étaient en première ligne tout le long de la crise pandémique et qui n’ont pas été remerciés lors des points de presse du premier ministre Legault. La reconnaissance est inexistante.

Stéphanie Baby, auxiliaire aux services de santé et sociaux

Avant d’être réélu l’automne dernier, le premier ministre François Legault parlait d’amorcer un grand virage vers les soins à domicile. Il a d’ailleurs mandaté, en mars 2022, la commissaire à la santé et au bien-être, Joanne Castonguay, afin qu’elle évalue « la performance des programmes gouvernementaux en vue d’améliorer les soins et services de soutien à domicile ». Le dépôt de ce rapport est attendu pour la fin de l’année 2023, mais à force d’étudier et d’empiler les rapports, le Québec ne se rend pas compte qu’il a déjà dans sa main un jeu de cartes bien garni rempli d’as de cœur.

Les cartes ne sont plus cachées, M. Legault, écoutez les auxiliaires qui sont au travail pendant que le Québec continue de vieillir dans les CHSLD. Merci, Stéphanie Baby, tu es mon as de cœur !

Qui est Denys Desjardins ?

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Denys Desjardins

  • Né à Montréal en 1966
  • Il a fait sa scolarité doctorale en sémiologie, a été préposé aux bénéficiaires pour financer ses études et enseignant en cinéma et communications au collégial de 1991 à 2004.
  • Cinéaste et producteur d’une trentaine de films, dont Mon œil pour une caméra, Au pays des colons, Le Château, L’industrie de la vieille$$e, J’ai placé ma mère et de plusieurs expériences web, dont la plus récente est 2031.quebec, qui aborde le vieillissement de manière immersive.

Qui est Stéphanie Baby ?

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Stéphanie Baby

  • Née à Charlemagne en 1982
  • A obtenu en 2006 un DEP en assistance familiale aux personnes à domicile
  • Auxiliaire services santé sociaux aux soins à domicile pour CLSC, elle a fondé en 2020 le regroupement ASSS Maintenant ou jamais, qui promeut le rôle des auxiliaires offrant des soins à domicile au Québec.