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Que peut la philosophie pour traverser ces temps difficiles ? Corine Pelluchon, une philosophe qui compte dans les milieux littéraires et intellectuels européens, propose une nouvelle avenue pour aborder les temps difficiles, en particulier la destruction de l’environnement.

De son propre aveu, Corine Pelluchon a touché le fond. Elle a traversé des périodes très sombres. À partir de son expérience personnelle avec la dépression, la philosophe française – déjà connue pour ses écrits sur l’éthique animale et le véganisme – a réfléchi au sens à donner à notre époque. C’est à partir de cette posture qu’elle tente de définir une nouvelle éthique de vie qui dépasse sa seule personne et qui peut s’appliquer à la société tout entière.

On le dit et on le répète, l’anxiété est le mal du siècle, en particulier chez les jeunes qui n’arrivent plus à se projeter dans l’avenir tellement l’état de la planète les désespère et les angoisse. On parle alors d’écoanxiété.

Face à ce désespoir généralisé, Corine Pelluchon propose non pas l’optimisme ou la pensée positive, ni même l’espoir. « Parler d’espoir, écrit-elle, signifie que nous formons le vœu que quelque chose arrive, comme si un succès, un amour pouvaient nous combler en nous donnant l’assurance d’une vie heureuse et la certitude que nous avons de la valeur. Cet espoir est un désespoir qui s’ignore. »

Corine Pelluchon préfère parler d’espérance, une notion qui comporte une dimension spirituelle, c’est vrai, mais sans tomber dans la croyance religieuse aveugle. La philosophe se décrit d’ailleurs comme étant ni athée ni croyante.

« Si l’espérance suppose de prendre la mesure des dangers actuels, elle enseigne aussi à habiter le présent et à croire en l’avenir, sans ressasser le passé et en abandonnant toute rancœur. »

De manière assez audacieuse, la philosophe dresse un parallèle entre sa dépression personnelle et la dépression climatique. Dans les deux cas, dit-elle, on observe un sentiment d’impuissance paralysant qui peut mener au désespoir.

Mais contrairement à la dépression telle que l’individu la ressent et la vit, la dépression climatique diffère par sa structure, avance Corine Pelluchon. Cette dernière serait provoquée « par le souci du monde et l’amour de la vie ». « C’est le désir d’habiter de manière plus saine la terre qui engendre la dépression climatique », ajoute la philosophe.

Celle qui est proche des mouvements militants écologistes estime que cette vulnérabilité partagée est le moteur à l’origine du mouvement. Elle parle d’un « sentiment d’humilité qui est la condition de la coopération », qui « favorise l’entraide, l’action, l’innovation, incitant celles et ceux qui s’appréhendent comme survivants à faire de leur mieux pour freiner la dégradation des écosystèmes et défendre la valeur de la vie ainsi que sa beauté ».

C’est cette dimension de lucidité qui distingue l’espérance de l’espoir ou de l’optimisme. « L’espérance, encore une fois, s’oppose radicalement au déni », précise Pelluchon.

Voilà une réflexion porteuse de sens pour les membres d’une génération à la recherche de réponses et de réconfort face aux défis qui les attendent. Attention, on est loin du livre de croissance personnelle qui propose une recette toute faite pour comprendre l’époque. On est face à une réflexion exigeante qui, malgré un petit côté mystique qui irritera peut-être certains lecteurs, demeure très rigoureuse sur le plan philosophique.

L’espérance, ou la traversée de l’impossible

L’espérance, ou la traversée de l’impossible

Rivages

140 pages

Extrait

« Il faut savoir ce qu’est l’espérance pour reconnaître cette aspiration et être en même temps capable de juger ce qui peut alimenter de faux espoirs exploitant l’énergie sociale d’une manière politiquement suspecte ou inadéquate. Il faut aussi comprendre à quel point nous souffrons, individuellement et collectivement, de cette perte d’espérance pour être conscient de la période à la fois dangereuse et stimulante que nous traversons et de la nécessité d’apporter des réponses qui comblent les besoins spirituels des personnes et leur donnent le sentiment que leurs actes ont un sens transcendant la dimension seulement individuelle de leur existence. »

Qui est Corine Pelluchon ?

Professeure à l’Université Gustave Eiffel, spécialisée en philosophie politique et en éthique appliquée. Auteure de plusieurs essais, dont L’éthique de la considération et Réparons le monde : humains, animaux, nature.

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