Qui sait cuisiner sans recette ? Raccommoder un vêtement ou raccourcir des pantalons ? Réparer un petit électroménager ? Construire un cabanon ? Ou êtes-vous plutôt de ceux qui ont vu ce savoir-faire disparaître dans les fissures entre les générations ? Et si tout n’était pas perdu ?

Savez-vous planter des clous ?

« Il me semble qu’on ne sait rien faire. »

C’est le constat auquel sont arrivées l’animatrice et chroniqueuse Rose-Aimée Automne T. Morin et Marie-Hélène Taschereau, productrice au contenu chez KOTV, pendant la pandémie. Ne pouvant plus compter sur l’aide précieuse de leur entourage pour les petits travaux manuels, elles se sont senties démunies. Cette réflexion a mené à la création d’une série télévisée, Autonome, diffusée cet hiver sur les ondes de Télé-Québec.

PHOTO FOURNIE PAR TÉLÉ-QUÉBEC

Simon Boulerice, Pierre Brassard et Rose-Aimée Automne T. Morin

On peut y voir Rose-Aimée, Simon Boulerice et Pierre Brassard tenter d’améliorer leur autonomie en naviguant dans une liste d’apprentissages créée par leurs mentors. Ce sont « des incompétents qui deviennent meilleurs », résume Rose-Aimée Automne T. Morin. Son défi à elle : la rénovation. Le moment où elle révèle à sa mentore, l’étonnante Édith Butler, qu’elle ne sait pas ce qu’est du gypse lui a valu beaucoup de réactions.

IMAGE TIRÉE D’AUTONOME

Édith Butler est la mentore de Rose-Aimée Automne T. Morin dans Autonome.

J’ai toujours su que j’étais nulle avec mes mains. J’ai toujours su que j’étais maladroite, que je posais un danger pour les autres. Mon entourage veille à ma sécurité en tout temps et fait tout à ma place.

Rose-Aimée Automne T. Morin

Pour cette féministe qui « aime être autonome dans la vie », il y avait toute une sphère de la sienne où elle ne l’était pas du tout. Par paresse peut-être, analyse-t-elle.

Autonome aborde aussi la réparation, la revalorisation et la cuisine. « Est-ce qu’il y a beaucoup de gens qui sont très très bons dans toutes ces sphères-là ? Sûrement. Mais est-ce qu’on peut parler de la majorité ? Je ne suis pas certaine », avance la chroniqueuse, collaboratrice à La Presse.

Ces incompétents du marteau et de l’aiguille ne sont pas tous des urbains millénariaux. « Il y a aussi une très grande proportion d’aînés qui ont perdu ces savoirs », a constaté la journaliste Eugénie Émond, lors de la rédaction du livre Savoir faire. Dans ce bel ouvrage paru l’automne dernier, elle fait le portrait de 20 aînés qui enseignent au passage des techniques allant de l’aiguisage d’un couteau, à la confection d’une courtepointe, en passant par la remise en marche d’un frigo et la couture d’un bas de pantalon.

« Fernande Desgagnés à L’Isle-aux-Coudres, une femme de 89 ans, dans sa fratrie, elle est la seule qui sait tout faire », souligne l’autrice. À l’époque, c’était une question de survie, ajoute-t-elle, mais pour Fernande Desgagnés, c’est aussi « une affaire de passion ».

Michael Schwartz, fondateur des Affûtés, une entreprise montréalaise qui offre des ateliers collectifs pour développer ses compétences manuelles, arrive au même constat. « On rejoint des gens qui vont de 20 et quelques années à plus de 60. C’est une clientèle plus large que ce que j’avais spontanément imaginé au début. »

L’arrivée des femmes sur le marché du travail, la dévalorisation du travail manuel au profit des savoirs intellectuels, l’abandon de l’enseignement de ces techniques à l’école ainsi que l’avènement de la société de consommation sont tous des facteurs qui ont contribué à cette perte d’autonomie collective, selon les divers intervenants interviewés.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Eugénie Émond, autrice du livre Savoir faire, Histoires, outils et sagesse de nos grands-parents

« On a délocalisé nos savoir-faire », résume Eugénie Émond.

« Pourquoi passer du temps à faire un chandail pour mon bébé quand je peux en acheter un bon marché ? Pourquoi perdre mon temps ? C’était ce qui était véhiculé dans les publicités, dans les années 1970 », se souvient Marie Parent, présidente des Cercles de Fermières du Québec.

Les jeunes retraitées sont nombreuses parmi les nouvelles membres des 580 cercles de la province. « Retraitées » au féminin puisque l’association, fondée en 1915, est toujours réservée aux femmes. La rendre plus inclusive obligerait un changement aux règlements généraux, voté par les membres, ce qui a déjà été rejeté dans le passé, mais qui fait de nouveau l’objet d’une réflexion, indique Mme Parent.

Marie-Hélène Lapointe n’a quant à elle pas attendu sa retraite pour acquérir de nouvelles compétences. Ses enfants ayant grandi, elle a investi ce temps retrouvé dans l’apprentissage de l’ébénisterie d’abord, puis de la soudure, de la réparation, de la couture et même du vitrail. Elle a suivi une cinquantaine d’ateliers aux Affûtés.

« La première chose que j’ai faite, ce sont des bijoux en bois. J’ai appris à faire fonctionner les machines. Même la plus simple me terrorisait complètement. Après trois-quatre ateliers, j’ai vécu un moment de grâce. » Elle a poursuivi son parcours, fabriquant une chaise, une étagère et une table de chevet.

Crises, pénurie de main-d’œuvre et « empuissancement »

Mais à quoi bon investir temps et argent dans l’apprentissage de ces savoir-faire, alors qu’on peut demander de l’aide ou embaucher quelqu’un pour le faire à notre place ?

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Les participants à l’atelier des Affûtés apprennent à réparer un trou dans un mur.

« Parce qu’une pandémie est si vite arrivée », répond Rose-Aimée Automne T. Morin. Ou une pénurie de main-d’œuvre, ou une crise sociale. « Je fais partie de la gang pessimiste par rapport à la crise climatique. »

Au-delà du survivalisme, ce qu’elle a découvert aussi, c’est la fierté de faire soi-même, qui entraîne une forme d’« empuissancement ».

C’est aussi cette sensation qui a amené Michael Schwartz à fonder Les Affûtés, après avoir appris l’ébénisterie avec un mentor. Il parle également d’un rapport au temps qui, sorti du productivisme, devient différent.

Mais, il faut l’avoir, ce temps, justement. « Quand Edwin [Girouard, de Moncton] me disait que sa mère lui a appris à tricoter un bas à 4 ans, moi j’ai une fille de 4 ans, j’ai trois enfants, puis je ne me vois pas lui montrer à faire un bas », souligne Eugénie Émond. Sans revenir à l’époque des cours d’arts ménagers, la journaliste croit qu’il serait important que l’enseignement de ces savoirs manuels retrouve une place à l’école. Rappelons que les cours d’économie familiale, où toute une génération a appris à coudre des caleçons boxeurs, ont été abolis dans les années 2000.

PHOTO FOURNIE PAR MARIE PARENT

Marie Parent, présidente des Cercles de Fermières du Québec

Avec les défis que connaît actuellement le système d’éducation, Marie Parent ne se fait pas d’illusions. Pour elle, c’est par la communauté que la transmission doit passer.

Et celle-ci est au cœur de la mission des Cercles de Fermières du Québec, dont des membres enseignent d’ailleurs les arts textiles dans certaines écoles, en parascolaire.

Plusieurs aînés croient malheureusement que leur savoir n’intéresse personne, déplore Eugénie Émond. « Pour les gens que j’ai rencontrés, c’était des gestes quotidiens qu’ils ont faits toute leur vie. Ils n’avaient pas l’impression que c’était d’une si grande importance que ça. » Or, les activités intergénérationnelles peuvent avoir des bienfaits qui vont au-delà de la transmission, comme le ralentissement du déclin cognitif et la diminution des symptômes dépressifs, poursuit celle qui a réalisé une maîtrise en gérontologie.

« Vous n’avez jamais cousu, vous n’avez jamais tissé et vous voulez l’apprendre ? On a des ateliers qui sont ouverts à toute la population, on peut vous fournir le matériel ! » invite Marie Parent.

Tout s’apprend, ajoute Eugénie Émond. Bien que certains soient plus doués que d’autres, « ce n’est pas un don, être manuel ».

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Lors de l’atelier « Rénover et réparer les murs comme un professionnel », donné par Les Affûtés, on apprend comment bien appliquer un enduit, plâtrer, utiliser un bouche-trous et faire un fini invisible.

Cinq lieux pour apprendre

Les Affûtés

Depuis son lancement en 2019 dans la Petite Italie à Montréal, la communauté des Affûtés s’est agrandie avec l’ajout de deux nouvelles adresses, l’une dans le Village et l’autre dans le quartier Mile-Ex. L’entreprise offre quotidiennement une grande variété d’ateliers collectifs d’apprentissage, animés par des experts. On peut y apprendre le travail du bois et du métal, la couture, le tricot, la réparation de petits électroménagers, la rénovation ainsi que la mécanique automobile et de vélo. Il est aussi possible d’y réaliser le projet de son choix en louant du temps d’atelier.

Consultez le site des Affûtés

PHOTO MATHIEU WADDELL, ARCHIVES LA PRESSE

La Remise

En plus d’offrir la possibilité d’emprunter des outils, La Remise met à la disposition de ses membres des ateliers tout équipés pour la menuiserie et l’ébénisterie, la couture et la mécanique de vélo. Des bénévoles spécialistes sont sur place pendant certaines périodes d’ouverture pour guider les utilisateurs. La coopérative propose également des formations. En plus des ateliers bois et couture, situés dans le quartier Villeray, La Remise possède un atelier de vélo dans Rosemont ainsi qu’un atelier pour les petits travaux, nouvellement ouvert dans Le Plateau-Mont-Royal.

Consultez le site de La Remise

PHOYO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

La Fabrique éthique

Depuis 2011, La Fabrique éthique offre des cours de couture privés ou en petits groupes, pour les débutants ainsi que pour ceux qui possèdent un peu d’expérience en couture. Pendant de courtes sessions de cinq semaines, on peut y apprendre notamment le fonctionnement de la machine à coudre, la réparation et l’ajustement de vêtements ou la confection de lingerie et de maillot de bain. Il est aussi possible d’y louer une machine à l’heure pour réaliser ses propres projets. L’atelier est situé dans le quartier Centre-Sud.

Consultez le site de La Fabrique éthique

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

La Patente

Atelier collectif, « outilthèque », recyclerie et lieu de rencontre, la coopérative Atelier La Patente souhaite favoriser la transmission des savoirs, augmenter la résilience collective et encourager la circularité. Établie à Québec, dans le quartier Limoilou, elle offre des formations thématiques ainsi qu’un accès libre (pour les membres) à ses ateliers de bois (ébénisterie et menuiserie), de métal (forge, soudure, métal), de couture et de technologie (électronique, programmation informatique, impression 3D, logiciels). Des cafés réparation s’y tiennent aussi tous les mardis soirs.

Consultez le site d’Atelier La Patente

PHOYO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Les Cercles de Fermières du Québec

Avec leurs 30 000 membres et leur présence dans 580 communautés de la province, les Cercles de Fermières du Québec sont une belle façon de reconnecter avec notre patrimoine artisanal. Fondée en 1915, la « plus grande association féminine du Québec » mise sur la transmission du savoir-faire textile (couture, broderie, tricot, métier à tisser).

Consultez le site des Cercles de Fermières du Québec