Barry Ace est actuellement l’un des artistes autochtones canadiens les plus connus à l’étranger. Non pas que son art soit perçu comme exotique en Europe ou en Asie, mais parce qu’il est contemporain et novateur, associant tradition anishinabée et modernité occidentale. Nous l’avons rencontré dans son atelier d’Ottawa.
Fil conducteur
« Le rêve de mon père et de mon grand-père était que je devienne électricien, dit Barry Ace. Alors j’ai fait des études en électricité. Mais ensuite, j’ai arrêté. Un jour, mon père, à 94 ans, m’a dit qu’il était fier de voir que je créais avec des composants électriques. »

PHOTO FOURNIE PAR LE MBAC
Nigik Makizinan – mocassins en loutre, 2014, chaussures, fourrure de loutre, velours, composants électriques, piquant de porc-épic synthétique, peau de cerf de Virginie, feutre synthétique, perles en cuivre et clochettes en laiton
Anishinabé de la nation M’Chigeeng, Barry Ace est originaire de l’île Manitoulin, en Ontario. Il a grandi et étudié à Sudbury. À 8 ans, il créait déjà des paniers avec sa grand-mère qui enseignait ce savoir-faire. Aujourd’hui, ses œuvres d’art, magnifiquement ouvragées, résultent d’un métissage technique, avec des perles, des écorces, des fourrures, du cuivre, des résistances et des condensateurs.
Nous avons découvert Barry Ace en 2019 lors de l’expo d’art autochtone Àbadakone, au Musée des beaux-arts du Canada. Son œuvre Nigik Makizinan en faisait partie. Des chaussures traînant des « effaceurs de traces » et décorées avec des composants électriques. Une création parlant de ses racines et de la mémoire. « Le musée voulait la mettre dans une vitrine. J’ai dû leur dire que si on veut décoloniser, pas de vitrine ! L’œuvre n’est pas si précieuse. Je voulais qu’elle soit directement accessible, ce que Greg Hill, le commissaire de l’expo, avait évidemment accepté. »
Rayonnement
La plus grande maison d’enchères d’art du Canada, Heffel, représente Barry Ace. Ce n’est pourtant pas la vocation d’Heffel, qui ne représente que trois artistes vivants. Mais Barry Ace, à 64 ans, est une valeur précieuse. Il s’est construit une belle réputation à l’étranger.

PHOTO FOURNIE PAR HEFFEL
Mino-bimaadiziwin (The Way of Good Life), 2017, ensemble regalia
Après avoir exposé à New York en 2006 dans un centre d’artistes, il a exécuté quatre performances à Paris, en 2010, grâce à une invitation de l’artiste autochtone (Saulteaux) Robert Houle. Vêtu de son regalia, il avait effectué sa danse spirituelle au Jardin des Tuileries, au Louvre, sur l’esplanade des Invalides et place de la Concorde. Une performance en hommage à des danseurs autochtones venus en Europe en 1843. « Ils avaient dansé pour le roi Louis-Philippe, George Sand était présente tout comme Chopin et Baudelaire, et Delacroix avait dessiné la scène », dit-il.

PHOTO BONNIE DEVINE, FOURNIE PAR BARRY ACE
Performance de Barry Ace au Jardin des Tuileries, en 2010
Barry Ace a ensuite exposé en 2012 au Nordamerika Native Museum de Zürich, en Suisse. Le musée possède plusieurs de ses œuvres. L’an dernier, il a participé à l’exposition Injustice environnementale –Alternatives autochtones, au Musée d’ethnographie de Genève. En janvier dernier, il a fait partie de l’expo Rencontres décoloniales au centre Intermondes, à La Rochelle, en France.
L’atelier

PHOTO MARTIN ROY, LE DROIT
Trois des quatre sacs qui seront exposés à New York. Un travail sur les éléments naturels que sont l’eau, le feu, le vent et la terre.
Son atelier est dans une maison d’Ottawa. Le studio n’est pas grand, mais l’artiste y est à l’aise. Ses œuvres récentes ou en cours de création sont dispersées un peu partout. On l’a vu travailler penché sur une longue maille dans laquelle il enfilait des perles pour faire apparaître de la végétation et des symboles anishinabés. « Les mailles sont comme des pixels numériques », dit-il. La technologie moderne n’est-elle pas inspirée de techniques anciennes ?
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PHOTO MARTIN ROY, LE DROIT
Ses perles
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PHOTO MARTIN ROY, LE DROIT
Ses composants électriques
Sa pièce perlée sera exposée l’automne prochain à la galerie Sundaram Tagore de New York. Avec quatre sacs en bandoulière dotés d’un affichage numérique, de piquants de porc-épic et de fils électriques gainés. Une création qui ressemble à sa trinity suite, œuvre installée au Musée des beaux-arts de l’Ontario depuis 2018.
Aspirations
Barry Ace peut être satisfait. Les témoignages de reconnaissance affluent. En janvier, la Banque d’art du Conseil des arts du Canada a acquis son œuvre Poignant, de 2018. « C’est un grand honneur, dit-il. D’autant que ce travail parle des pensionnats autochtones où mes grands-parents ont été forcés de résider. Le circuit imprimé que j’ai mis dans l’œuvre montre qu’on peut toujours réparer des dommages et que l’avenir peut être positif. Nous n’avons pas le temps de regarder en arrière. Je veux apporter ma contribution pour les générations à venir. »
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PHOTO FOURNIE PAR L’ARTISTE
Poignant, 2018, 49 po x 15 po x 11 po
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Une pièce en perles et composants électriques cousus sur une plaque de cuivre, pour un nouveau sac en bandoulière
Barry Ace expose en ce moment deux de ses œuvres à Taïwan, au Tainan Art Museum et au Shung Ye Museum of Formosan Aborigines. Elles appartiennent à la collection du ministère fédéral des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord. Il est comblé. Il peut s’attendre à une rétrospective, un jour, au Musée des beaux-arts du Canada, mais il n’a ni impatience ni espérance. Juste la soif de continuer à métisser les cultures de sa vie. « J’ai déjà bien des expositions ailleurs, alors tout va bien », dit-il.
Galerie photo
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Un nouveau panier de Barry Ace en écorce, piquants de porc-épic, perles et composants électriques
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Erased, 2017, chaussures de cowboy, condensateurs, résistances, diodes, perles de verre, cônes d’étain, cheveux synthétiques et fil gainé. Collection Affaires mondiales Canada.
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PHOTO FOURNIE PAR HEFFEL
Traditional, une tenue regalia de danseur créée en 2021 et acquise récemment par Affaires mondiales Canada
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PHOTO MARTIN ROY, LE DROIT
Une poterie de Barry Ace
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PHOTO JASON JENKINS, FOURNIE PAR L’ARTISTE
Barry Ace dans les rues de Paris en 2010. « Les gens me suivaient comme si on était dans les années 1840, me touchaient et me demandaient qui j’étais », dit-il.
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PHOTO MARTIN ROY, LE DROIT
Œuvre en cours de création