Ils sont des millions chaque année à prendre la route de l’exil pour échapper aux catastrophes ou à la pauvreté. Une infime proportion d’entre eux arrivent au Québec par le chemin Roxham. Avant d’être des chiffres, ces migrants sont des personnes qui aspirent à un avenir meilleur. François Crépeau, professeur titulaire à la faculté de droit de l’Université McGill, propose quatre sources pour mieux comprendre leur réalité.

1. Trouver des réponses

PHOTO RAFAEL YAGHOBZADEH, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Un camp de migrants le long d’une voie ferrée de Calais, dans le nord de la France, à l’automne 2021

« Nous sommes une espèce migrante, nous sommes tous venus d’ailleurs », lance d’emblée François Crépeau, pour qui les déplacements de populations sont normaux. Depuis toujours. Au Moyen Âge, rappelle-t-il, la construction des cathédrales a profité de la mobilité d’artisans de partout en Europe. C’est dans les années 1980 que les frontières ont commencé à se refermer. Les migrants ont toujours connu des conditions précaires, leurs droits étant peu reconnus, mais les politiciens en ont fait des « symboles de risques et de menaces » seulement depuis peu, résume l’ancien rapporteur spécial des Nations unies pour les droits de l’homme des migrants. Parce que la question est devenue très politique, départager les faits des croyances est un exercice parfois périlleux. Bien qu’il s’intéresse surtout à la situation en Europe, l’ouvrage Migrants & Réfugiés – Réponse aux indécis, aux inquiets et aux réticents, signé Claire Rodier, vient ici à la rescousse. Combien y a-t-il de migrants ? Ne vaudrait-il pas mieux les aider à rester chez eux ? Les murs servent-ils à quelque chose ? « C’est à jour et très bien fait, dit M. Crépeau. L’avocate répond à des questions utiles sans être méprisante. C’est normal d’être mal informé sur les migrants, parce que les informations circulent peu. »

Migrants & Réfugiés – Réponse aux indécis, aux inquiets et aux réticents

Migrants & Réfugiés – Réponse aux indécis, aux inquiets et aux réticents

La découverte

96 pages

2. La « zone » des rêves brisés

IMAGE FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

Dans Prisonniers du passage, Chowra Makaremi et Matthieu Parciboula font le portrait de demandeurs d’asile qui ont vu leur rêve migratoire se briser dans la « zone d’attente » de l’aéroport Charles-de-Gaulle, à Paris.

Au bout d’un long voyage, entre 15 000 et 20 000 migrants aboutissent chaque année dans la « zone d’attente » de l’aéroport Charles-de-Gaulle, à Paris, où ils restent parfois 20 jours, avant d’apprendre s’ils pourront demeurer en France… ou pas. Après y avoir fait la rencontre de dizaines de migrants pendant six mois pour sa thèse, l’anthropologue Chowra Makaremi a composé le portrait de demandeurs d’asile qui ont vu leur rêve migratoire se briser tout près du but. Avec le concours de l’illustrateur Matthieu Parciboula, l’exercice a donné naissance à la bande dessinée Prisonniers du passage. « Grâce à ces portraits, on peut s’identifier à ces jeunes – 80 % des migrants ont entre 20 et 40 ans – qui ont essayé de tout faire correctement, mais qui se sont fait prendre et qui seront renvoyés au pays d’origine, malgré la violence qui les attend, souligne François Crépeau. Dans ces histoires, il y a toute la détresse du monde. » Le livre vient contrer les discours qui déshumanisent les migrants, pourtant « inoffensifs dans 99,9 % des cas », dit le juriste. « À partir du moment où on connaît ces gens, ils deviennent des personnes comme les autres, comme nos voisins, pas une menace fantasmée », poursuit-il.

Prisonniers du passage

Prisonniers du passage

Steinkis

159 pages

3. Les visages d’une tragédie

PHOTO MANOLIS LAGOUTARIS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Une embarcation de fortune, échouée sur les côtes de l’île grecque de Lesbos au début du mois dernier

Dans un même ordre d’idées, le roman Mur Méditerranée, écrit par l’auteur haïtien Louis-Philippe Dalembert, raconte l’histoire de trois femmes qui embarquent sur un chalutier pour gagner l’Italie. Venues du Nigeria, d’Érythrée ou de Syrie, fuyant la sécheresse, un dictateur ou la guerre, riche ou pauvres, elles remettent – faute de visas – leur sort entre les mains de passeurs. Ce récit inspiré d’une tragédie réelle et qui s’est répétée des milliers de fois aux portes de l’Europe est beau et touchant, dit François Crépeau. Même s’il met en scène la cruauté avec laquelle certains exploitent la misère humaine. « Il donne des noms aux corps que l’on voit dans les journaux. » Au passage, le texte établit comment « les politiques créent et subventionnent la criminalité », explique M. Crépeau. « Il faut se rendre compte de la responsabilité des États » dans la précarité des migrants. Quand un pays érige une barrière, des malfaiteurs la contournent. C’est vrai même pour ceux qui ont franchi les frontières de façon irrégulière pour ensuite travailler au noir à des salaires de misère. Ils sont plus de 10 millions dans cette situation aux États-Unis. « Faire la chasse à ces employeurs » découragerait la migration clandestine et les criminels, estime M. Crépeau.

Mur Méditerranée

Mur Méditerranée

Sabine Wespieser

336 pages

4. Le problème, c’est la frontière

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Des migrants s’apprêtent à traverser la frontière canadienne au chemin Roxham, il y a quelques semaines.

En 1976, il y a eu 600 demandes d’asile au Canada, rappelle François Crépeau. Pourtant, beaucoup plus d’étrangers ont gagné le pays. Or, avant les années 1980, la plupart d’entre eux n’aspiraient pas au statut de réfugié. Ici comme ailleurs, « ils se contentaient d’un permis de travail et de séjour ». Mais ces voies de passage ont été fermées, et aujourd’hui le « statut de réfugié est la seule façon de passer à la frontière ». « On a créé des monstres en termes de reconnaissance du statut de réfugié, parce qu’on a sécurisé les frontières et défini les migrants comme un problème de sécurité », insiste le professeur. La balado Migration en questions, produite en 2020 par l’Équipe de recherche sur l’immigration au Québec et ailleurs, aborde cette transformation de la frontière. « C’est une conversation sur la migration et les frontières ici, explique François Crépeau. J’ai trouvé que c’était bien fait. » Face à un nombre de migrants en croissance, inutile de fermer les voies de passage, comme le chemin Roxham, croit François Crépeau. Il faut plutôt rouvrir les frontières en multipliant les visas, comme autrefois. C’est d’ailleurs ce que prônent les pays signataires du Pacte sur la migration de 2018… dont le Canada !

Écoutez la balado

Qui est François Crépeau ?

  • Né à Montréal, François Crépeau est professeur et titulaire de la Chaire Hans et Tamar Oppenheimer en droit international public à la faculté de droit de l’Université McGill. Il a auparavant enseigné à l’Université catholique de Louvain, en Belgique, de 2010 à 2020.
  • De 2011 à 2017, il a été rapporteur spécial des Nations unies pour les droits de l’homme des migrants.
  • Selon lui, il faudra sans doute attendre une nouvelle génération pour que les perceptions changent au sujet des migrants. « Les jeunes urbains n’accepteront pas les mêmes discriminations à leur égard. »