Le gouvernement britannique, qui s’alarme de l’augmentation marquée du nombre de migrants tentant de traverser la Manche de manière irrégulière à bord d’embarcations de fortune, entend durcir son approche pour endiguer le phénomène.

Un projet de loi mis de l’avant mardi par la ministre de l’Intérieur, Suella Braverman, prévoit que ces migrants seront placés en détention à leur arrivée et rapidement refoulés vers leur pays d’origine ou un pays tiers sans avoir pu présenter de demande d’asile. Il précise par ailleurs qu’ils ne pourront jamais revenir en Grande-Bretagne par la suite.

« C’est de cette façon que nous arrêterons les bateaux », a plaidé la politicienne, qui se dit incapable de garantir que les mesures « fermes » mises de l’avant par le gouvernement conservateur sont compatibles avec les obligations du pays en matière de respect des droits de la personne.

Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a déclaré que le projet de loi reviendrait à « mettre fin au droit d’asile » en privant les personnes ciblées « du droit de chercher la protection accordée à un réfugié, quelles que soient l’authenticité et l’urgence de la demande ».

« Inhumain »

Plusieurs autres organisations de défense des migrants ont aussi émis des critiques mardi.

Enver Solomon, qui chapeaute le Refugee Council, a déclaré que le plan annoncé contrevenait aux engagements internationaux de la Grande-Bretagne de considérer toute demande d’asile de manière « équitable » sans égard « au chemin utilisé pour se rendre en Grande-Bretagne ».

M. Solomon a prévenu que des dizaines de milliers de personnes qui auraient été acceptées comme réfugiés en temps normal en raison de ce qu’elles ont vécu dans leur pays d’origine « seront enfermées et traitées comme des criminels » avant d’être expulsées.

La section locale d’Amnistie internationale a aussi décrié le plan gouvernemental en arguant qu’il était « inhumain » de vouloir rejeter « en bloc » les demandes d’asile des personnes arrivant au pays de manière irrégulière par la Manche.

Le nombre de migrants traversant à bord de pneumatiques a monté en flèche depuis quelques années alors que les autorités françaises resserraient les contrôles pour empêcher tout passage irrégulier à partir du port de Calais ou du tunnel reliant les deux pays.

Il est passé de 8500 en 2020 à 28 500 en 2021 avant d’atteindre 45 700 en 2022. Cet afflux a entraîné une forte augmentation du nombre de demandes d’asile à traiter par les autorités britanniques, qui se disent submergées. Plus de 150 000 dossiers étaient en attente de traitement à la fin de l’année dernière.

Tentatives multiples

Londres a multiplié les initiatives pour tenter de décourager les passages, sans réussir à freiner cette progression.

Le gouvernement de l’ex-premier ministre conservateur Boris Johnson a notamment annoncé l’année dernière que certains demandeurs d’asile arrivés au pays par des « voies dangereuses » seraient envoyés au Rwanda à l’issue d’une entente conclue avec le régime du président Paul Kagame.

Un premier avion qui devait partir en juin a cependant été bloqué sur ordre de la Cour européenne des droits de l’homme. La Haute Cour de Londres a statué en décembre que l’accord pouvait s’appliquer, mais a permis aux requérants de porter certains aspects de la décision en appel. La cause est toujours pendante.

La ministre de l’Intérieur a indiqué mardi que le Rwanda pourrait d’ailleurs servir de pays tiers dans le cadre de la nouvelle loi.

L’actuel premier ministre britannique, Rishi Sunak, qui a promis de réduire le nombre de passages de migrants par la Manche, doit se rendre vendredi en France pour discuter de la situation avec le président français Emmanuel Macron.

Le gouvernement britannique assure qu’il veut offrir de nouvelles avenues légales pour permettre à des personnes dans le besoin de présenter une demande d’asile au pays, mais maintient qu’il doit « reprendre le contrôle » de ses frontières avant de procéder en ce sens.

Des programmes ciblés ont notamment été mis sur pied au cours des dernières années pour permettre la venue de ressortissants ukrainiens et afghans.

François Crépeau, un ex-rapporteur des Nations unies sur les droits des migrants qui enseigne à l’Université McGill, pense que Londres aura fort à faire devant les tribunaux pour défendre le projet de loi annoncé mardi.

« J’ai l’impression qu’on se dirige vers des procédures importantes et des demandes d’injonction qui vont probablement être accordées », note le spécialiste, qui reproche au gouvernement conservateur d’être surtout motivé par des considérations partisanes.

« Ils se fichent de savoir si ce qu’ils proposent est conforme au droit international, européen ou national. Ce qui compte pour eux est de marquer des points auprès de leur électorat, qui est favorable à une approche de cette nature », conclut M. Crépeau.