Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent, à tour de rôle, leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à David Goudreault.

Les révolutions se suivent et ne se ressemblent guère. On en idéalise certaines, on en rejette d’autres. Alors que les bouleversements technologiques, démographiques et climatiques menacent notre existence, prenons quelques minutes pour célébrer une petite révolution qui répare le monde au cœur de l’intime : un historique réinvestissement affectif des pères québécois.

Plus près de nos enfants que jamais, plus affectueux et investis, les pères apprennent à tricoter du lien par l’attachement. Le rôle de père s’est profondément modifié en quelques générations seulement. Pour le mieux. Un peu partout dans le monde, mais ici tout particulièrement, et c’est documenté. Soyons fiers de cette tendance marquée au sein de notre nation.

Un récent sondage Léger, datant de 2021, réalisé pour le Regroupement pour la valorisation de la paternité, mis en perspective par la journaliste Louise Leduc⁠1, démontre que le rôle de pourvoyeur domine encore chez les pères canadiens (43 %) alors qu’au Québec, on se considère d’abord comme des modèles (48 %) et des parents offrant soins et affection (45 %). Ce constat pourrait expliquer pourquoi, entre 2012 et 2017, la moitié des pères de nos entourages ont pris un congé de paternité, contre seulement 38 % de leurs pairs à l’extérieur du Québec.

Aller chercher un paquet de cigarettes au dépanneur, et ne jamais en revenir, ça devient rare.

Même séparés, les pères demeurent présents, et la garde partagée se fait de plus en plus commune, avec une croissance marquée lors des trois dernières décennies.

Encore une fois, avec une forte prévalence au Québec, où on la retrouve de deux à trois fois plus souvent que dans les autres provinces du Canada.

Les chiffres parlent, les professionnelles aussi. Les éducatrices, enseignantes et psychologues confirment une présence accrue des pères, un investissement de temps qu’elles voyaient peu avant, autant dans l’accompagnement lors des activités scolaires que dans l’implication dans les conseils d’administration des organismes jeunesse et des CPE. La qualité de la présence évolue aussi ; bien que représentant toujours une certaine forme d’autorité, les hommes apprennent à accueillir, écouter et consoler.

J’espère être de ceux-là. Chaque jour, j’apprends à être père, et c’est le rôle de ma vie. Celui qui restera quand j’aurai fini de jouer à l’écrivain, au travailleur social, à la personnalité publique. Autour de moi, j’ai de beaux modèles pour m’aider à devenir le père que je veux être, mais surtout celui dont mes enfants ont besoin. La nuance est significative.

Mon pote Martin, qui a cessé de déconner, de consommer, de se piquer à la cocaïne pour mieux élever ses deux filles, pratiquement seul, en mode monoparental de brousse. Sans se ménager. Entre l’usine, les tâches domestiques et les meetings, depuis 14 ans, je l’ai vu veiller sur ses enfants avec amour et inquiétude, esprit de sacrifice et abnégation.

Jimmy, qui accompagne son petit Éliam hospitalisé à Sainte-Justine depuis plus d’un an, branché sur un cœur mécanique. Il trouve la force d’élever sa fille, d’aimer sa blonde, de travailler et de mobiliser les médias sur l’importance du don d’organes. Sans oublier de faire circuler une pétition pour que le Québec s’inspire du Nouveau-Brunswick et instaure le consentement implicite. Un père qui se bat pour son propre fils, et tous les enfants malades aussi.

Pierrot, qui fait le grand écart affectif sans sourciller. Entre le fils qu’il a eu à peine sorti de l’adolescence, devenant lui-même un homme, et sa fille de 6 ans, il trouve de la place dans son grand cœur pour accueillir sa blonde et ses deux enfants, couvrant un large spectre d’âges et de responsabilités parentales. Avec sérénité et un large sourire.

Le grand Pierre, beau tatoué amateur de poésie, qui inonde mon fil d’actualités avec les photos de son fils trisomique et lumineux.

Ces pères qui gravitent autour de moi se greffent à ceux qui m’habitent et m’accompagnent depuis toujours. Mon grand-père, Roger, qui a adopté et aimé mon père sans retenue. Modèle classique de pourvoyeur, qui a construit sa maison de ses mains et cumulé les emplois pour s’assurer que ses enfants ne manquent jamais de rien. La seule fois où je l’aurai vu pleurer sera lorsqu’il évoquait sa propre famille n’accueillant pas son fils adoptif à la hauteur de l’amour que lui-même lui vouait.

Et mon père, toujours là, à l’époque où il fallait ramasser mon adolescence en miettes, me cueillir à intervalles réguliers au poste de police, et maintenant, pour m’accompagner aux galas. Le premier à me lire, à me critiquer, à me contredire, mais aussi le dernier à me condamner, à m’abandonner. Malgré les tensions et les nœuds, le lien ne s’est jamais rompu.

Je n’aime rien ni personne comme j’aime mes enfants. J’ai leurs prénoms tatoués sur les poignets, au cas où me viendrait l’idée de me les ouvrir. Gravés dans le cœur, leurs rires et leurs pleurs. Pour garder l’essentiel en mémoire ; malgré les conflits que nous aurons, la fatigue qui me gagnera, les impatiences que je regretterai, je n’ai rien de plus précieux que le titre de Papa. Il faut en être digne.

Bonne fête, mes pairs !

1 Lisez l’article de Louise Leduc : « Sondage sur la paternité au Canada : les pères québécois, modèles avant tout »