Une salle de réunion grise, éclairée aux néons et vide, hormis deux tables rondes: c'est dans ce décor terne et minimaliste, au sous-sol d'un hôtel de Toronto, que Julia Roberts a fait son entrée il y a quelques mois.

Blazer marine, jeans, talons aussi rouges que sa mythique bouche, belle comme un coeur, mais mince, beaucoup trop mince, l'actrice de 51 ans, rencontrait la presse. C'était en marge du TIFF pour son tout dernier film: Ben is Back du réalisateur Peter Hedges, film qui se déroule sur une période de 24 heures et qui plonge au plus profond de la crise des opioïdes qui sévit encore à ce jour, aux États-Unis.

Julia Roberts y tient le rôle d'une mère cool et ouverte d'esprit, mais aux prises avec un fils toxico. Fraîchement libéré d'une clinique de désintoxication, Ben débarque sans crier gare, la veille de Noël. Sa mère est folle de joie. Son beau-père (Courtney B. Vance) et sa soeur (Kathryn Newton) un peu moins. Ils connaissent trop ses manèges, et ses démons qui ne vont pas tarder à se manifester.

Ben est interprété par Lucas Hedges, le fils du réalisateur et jeune acteur doué que le cinéma américain s'arrache. Mais le jour de la rencontre de presse, Lucas brillait par son absence, retenu à Broadway. C'est donc au bras de la jeune actrice Kathryn Newton que Julia Roberts s'est présentée devant les médias, affichant au départ une certaine froideur qui allait fondre lentement au gré des questions.

Un journaliste voulait savoir si ce rôle dramatique où l'actrice avait dû puiser dans ses réserves de panique et de désespoir avait été plus difficile à jouer que les autres. Question un peu cliché: c'est le rôle de tout acteur qui se respecte de jouer ce qu'il a à jouer. Et c'est exactement ce que Julia Roberts a répondu.

«Non, ce rôle n'a pas été plus difficile que n'importe quel autre rôle. D'autant qu'avec Kathryn [Newton] et Lucas [Hedges], il y a eu une connexion immédiate entre nous.»

«Comme le tournage se déroulait dans une petite ville de l'État de New York, au nord de Westchester, les deux étaient loin de leur famille. Alors, je suis un peu devenue leur mère, raconte l'actrice. Le soir, je les invitais chez moi à regarder des films ou des séries. Je les vois encore assis sur mon divan devant la télé. En y repensant, je me rends compte que nous avons vécu un moment unique dont nous avons bénéficié à la fois comme acteurs et comme êtres humains.»

Kathryn et Julia

Même si à 21 ans, Kathryn Newton a déjà une carrière enviable (Big Little Lies, BlockersLittle Women), jouer aux côtés d'une actrice aguerrie et d'une icône demeure un défi dont la jeune actrice s'acquitte avec finesse.

«Kathryn a été extraordinaire. C'est vraiment quelqu'un de compétent. Des fois, au moment de quitter le plateau, je me sentais vraiment mal d'avoir passé la journée à crier après elle. Moi, à son âge, je ne savais pas trop comment ce métier marchait et comment on devait faire. Je me demandais si je devais me pincer ou des trucs comme ça pour mieux ressentir et communiquer certaines émotions, alors que Kathryn sait tout ça d'avance», a raconté Julia Roberts.

Rouge de plaisir, la jeune actrice a évidemment rendu le compliment en disant de sa partenaire de jeu qu'elle avait été d'une grande générosité.

«Je me sentais tellement bien et en confiance avec Julia que je n'avais aucune difficulté à m'abandonner à la fragilité qu'exigeaient certaines scènes.»

Le drame des opioïdes

Pendant les 24 heures où le personnage de Julia Roberts tente de sauver son fils d'une rechute, une scène presque comique retient l'attention. Elle se passe dans un centre commercial où Roberts tombe sur un vieux médecin alzheimer et sa femme. Or ce médecin est en quelque sorte responsable de la toxicomanie de Ben, lui ayant prescrit trop d'antidouleurs. Prenant le vieux monsieur à partie d'abord poliment, elle finit par lui lancer méchamment: «I hope you fucking die

L'actrice raconte que le matin de la scène, elle s'attendait à la jouer avec deux acteurs de son âge. «Or ce sont deux vieux terriblement gentils qui sont arrivés sur le plateau... mais bon, le diable n'a pas toujours sa fourche. Cette scène parle de ces médecins qui prescrivent trop librement et qui sont responsables de terribles ravages.»

Julia Roberts n'a jamais expliqué pourquoi, parmi les dizaines de projets de films qu'on lui propose, elle avait choisi celui-là. Mais le fait que le film aborde une crise brûlante d'actualité qui continue à ce jour de faire des milliers de victimes a dû peser dans la balance.

Évoquant l'échec de l'Obamacare, elle s'est dite choquée qu'une telle occasion pour le système de santé américain ait été détruite par l'appât du gain. Et juste comme elle allait s'en prendre aux pharmaceutiques, elle a prudemment changé de propos. 

«La beauté d'un film comme celui-là et de la famille que nous avons créée, c'est que cela permet à l'épidémie des opioïdes de ne plus être qu'une statistique impersonnelle dont on entend parler aux nouvelles.»

«Ce film nous dit que la crise des opioïdes, ce n'est pas des millions de gens. C'est tout le monde et c'est une personne à la fois, poursuit-elle. C'est cette belle jeune fille qui est morte. C'est sa mère qui en arrache. Le film humanise la crise et nous dit que ce qui arrive ici arrive partout, tout le temps, à tout le monde.»

Sur ces belles paroles, Julia Roberts s'est levée et avec ses talons rouges et sa bouche un peu sèche, elle a quitté la pièce, sachant que ce qu'elle venait de dire, elle allait le répéter mille fois.

Ben is Back prend l'affiche le 21 décembre.

Photo Mark Schafer, fournie par Roadside Attractions

Julia Roberts et Lucas Hedges, qui incarne on fils dans le film Ben Is Back de Peter Hedges.