Depuis 35 ans, sans exception, notre collègue Marc-André Lussier dresse la liste de ses 10 meilleurs films de l'année. Il publie ces jours-ci une édition enrichie de son livre paru en 2013, Mon cinéma - 350 films à voir ou à revoir, qui rassemble tous ses top 10, accompagnés d'analyses et de portraits d'artistes - de quoi nous faire voyager dans le temps. Entrevue avec un fou de cinéma - mais qui garde les pieds sur terre dans son métier.

Ce livre rassemble 35 ans de listes de films, alors on doit te demander si tu es toi-même un adepte des listes?

Il faut croire que oui. Je les consulte peut-être moins maintenant, parce qu'il y en a tellement, mais pendant longtemps, à chaque fin d'année, j'allais acheter mes revues de cinéma préférées et je regardais les listes de tout le monde, parce que c'est un exercice auquel je me suis en plus prêté sans jamais sauter une année. 

Ce qui est intéressant dans ton livre, c'est qu'il y a toujours un bon équilibre entre le cinéma d'auteur et le cinéma populaire.

Oui, et ç'a toujours été mon approche. Je n'ai jamais fait partie de chapelles ni des critiques purs et durs comme on peut en trouver dans certaines publications que je ne nommerai pas... Quand les gens disent beaucoup de mal du cinéma d'auteur, j'ai tendance à le défendre, et quand les gens disent beaucoup de mal du cinéma populaire, j'ai tendance à le défendre aussi.

On redécouvre ton affection pour le cinéma français, qui est de plus en plus mal distribué au Québec. Jusque dans les années 90, on regardait beaucoup plus de cinéma français qu'aujourd'hui, non?

À l'époque, on avait accès pratiquement à la totalité du cinéma français. Mais la France produit beaucoup plus de films qu'auparavant, aussi, presque 250 longs métrages par année, ce ne serait pas possible de tous les voir. Mais, effectivement, je fais partie d'une génération pour qui la culture française voulait encore dire quelque chose. J'ai été nourri au cinéma français pendant ma jeunesse et ça m'est resté.

Il y a beaucoup d'anecdotes dans tes portraits. Quelle est ta préférée?

Il y a déjà plusieurs années, j'ai rencontré Monica Bellucci en entrevue individuelle à New York lors d'un junket pour un film américain. On a fait l'entrevue en français. L'armée de relationnistes qui assistait à la scène se demandait bien ce qui se passait et ce qu'on était en train de se raconter. D'autant que, parfois, on riait. Et puis, oui, il me semble qu'on a un petit peu ri d'eux autres en constatant à quel point ces gens-là se prennent au sérieux...

Qu'est-ce qui te fait garder la flamme?

Les bons films. À un moment donné, tu regardes des films et tu es moins enthousiaste, tu commences à te demander si c'est toi, si tu deviens blasé, et puis un film comme Call Me By Your Name arrive et te chavire complètement.

Deux choses se démarquent dans ton livre: la multiplication des plateformes de diffusion et la percée des réalisateurs québécois aux États-Unis.

C'est vrai, et sur le plan international aussi. On peut mettre Xavier Dolan là-dedans. Il n'a pas encore percé aux États-Unis auprès du public, mais en France, c'est une vraie rock star qui attire les gens dans les salles. On est rendu avec des cinéastes québécois qui travaillent dans les plus hautes sphères de l'industrie. Denis Villeneuve est l'exemple le plus criant, il fait partie des réalisateurs de catégorie A à Hollywood, mais il y a aussi Jean-Marc Vallée. Son plus récent film destiné au cinéma, Demolition, n'a pas été un grand succès, mais il s'est refait complètement et est revenu à l'avant-scène rapidement avec des séries comme Big Little Lies et Sharp Objects maintenant. C'est un autre élément, ça, la télé et le cinéma sont devenus des vases communicants maintenant.

En plus du cinéma, tu regardes beaucoup la télé. Comme cinéphile, as-tu peur que le cinéma soit déclassé par le petit écran?

Surtout dans la façon dont on consomme le cinéma. Qu'est-ce qu'un film de cinéma? Un film comme Roma d'Alfonso Cuarón, qui a gagné le Lion d'or à Venise, s'apprécie vraiment sur un grand écran, mais c'est Netflix qui va le diffuser. Bien sûr, il sera accessible au plus grand nombre, mais en même temps, est-ce que ça ne remet pas en cause et en danger la façon même qu'on a de consommer le cinéma en salle ? On est vraiment là-dedans, je trouve.

Tu es encore un amoureux des salles de cinéma?

Oui. Quand j'ai participé à la rétrospective Les films de notre vie au Cinéma Outremont, où j'ai eu l'honneur d'être invité par Roland Smith, ça commençait avec Une femme sous influence de John Cassavetes, présenté par Théodore Pellerin. J'ai ce film en DVD, en Blu-ray, en Blu-ray européen, sur tous les supports, mais là, je l'ai revu sur grand écran et ce n'est tellement pas pareil! C'est une expérience unique, et il y a la communion avec les autres spectateurs. Même si tu ne dis pas un mot, tu sens la vibe d'une salle, je trouve ça extrêmement agréable. 

Qu'est-ce qui te donne espoir et qu'est-ce qui te désespère pour l'avenir du cinéma?

Ce qui me donne espoir, c'est l'extraordinaire force qui émerge de la nouvelle génération de cinéastes. Elle a quelque chose de neuf à offrir, une vision des choses différente de celle de ses prédécesseurs, des thèmes différents aussi, avec des démarches artistiques très affirmées. Je trouve ça très prometteur. Ce qui me désespère, c'est justement l'hégémonie culturelle qui s'installe. La part du marché qu'occupe le cinéma américain au Québec, c'est aberrant. L'arrivée des grands géants sur les plateformes m'inquiète beaucoup aussi pour ça. Non seulement ça met en péril le cinéma en salle, mais aussi la diversité culturelle à laquelle on a accès.

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Mon cinéma - 350 films à voir ou à revoir. Marc-André Lussier. Éditions La Presse. 368 pages. En librairie le 8 octobre.

Image fournie par Les Éditions La Presse

Mon cinéma - 350 films à voir ou à revoir