Amour et haine. Retenue et exubérance. Dépendance et indépendance. Les contrastes sont brutaux dans Sashinka, premier long métrage de la Montréalaise Kristina Wagenbauer dans lequel une relation mère-fille s'inverse. Quand une fille devient la mère de sa mère, l'orage gronde.

Source d'inspiration de Sashinka, la mère de Kristina Wagenbauer n'a pas mal réagi lorsqu'elle a pris connaissance du scénario. Bien au contraire, elle a même collaboré à son élaboration!

«Ma mère Alla est une femme excentrique, colorée et imprévisible comme le personnage d'Elena dans le film, raconte la cinéaste enjouée. Notre relation est spéciale. Elle est remplie d'amour, mais elle est en même temps complexe. J'ai raconté le scénario à ma mère, qui était super fière d'en être l'inspiration. Elle est capable de voir ses défauts et d'en rire. Pour le film, elle m'a donné des conseils que j'ai tantôt suivis, tantôt non.»

Cela dit, elle trace illico une ligne entre inspiration et autobiographie. «L'histoire du film est purement fictive. Et ma mère voit bien que le personnage d'Elena n'est pas elle.»

Sashinka raconte l'histoire de Sasha (Carla Turcotte), jeune musicienne cherchant à percer dans son domaine tout en luttant contre certains démons ataviques. Or, lorsque sa mère Elena (Natalia Dontcheva) débarque chez elle à la veille d'un concert où Sasha doit jouer devant des gens influents de l'industrie, l'auteure-compositrice-interprète n'est pas enchantée. Ces retrouvailles sont tissées de quelques moments de tendresse et de plusieurs échanges volcaniques.

Elena est une femme-enfant. Dépendante, manipulatrice, séductrice, accro aux jeux de loterie vidéo, incapable de s'occuper d'elle-même. Sans surprise, Sasha devient la mère de sa mère.

Est-ce acceptable? «Absolument pas, répond-elle. Ce n'est pas facile, ça peut être même très dur. Quand on est jeune et naïve, on ne se rend pas compte que ce n'est pas la norme.»

Chimie

L'interaction des deux actrices principales est un des éléments forts du film. Or, c'est d'autant plus appréciable que celles-ci ne se connaissaient pas.

«La période de casting a été très stressante, raconte Mme Wagenbauer. En audition, Carla m'a touchée avec son regard honnête et naturel. Mais je ne pouvais la confirmer sans avoir ma Elena.» 

«À Montréal, trouver une actrice francophone avec des origines russes ou qui vient d'Europe de l'Est et parle russe n'est pas facile.»

Elle est donc allée à Paris où elle a rencontré Mme Dontcheva, d'origine bulgare. «Le jour où j'ai rencontré Natalia, elle était libre pour la première fois depuis des mois, se souvient la cinéaste. Elle a adoré le personnage d'Elena et nous avons eu un coup de foudre artistique.»

Natalia et Carla ont auditionné ensemble par Skype. «Tout de suite, on a senti une chimie incroyable entre elles.» Cette chimie s'est poursuivie sur le plateau.

Musique

La musique occupe une place centrale dans le film. Pourquoi ? Kristina Wagenbauer répond que Montréal est une ville très musicale. «Il y a non seulement beaucoup de musiciens, mais énormément de talent, dit-elle. À n'importe quel petit concert auquel j'assiste dans un parc, un bar ou la rue, c'est à tomber par terre! Et dans mon film, Sasha arrive à exprimer ses émotions à travers la musique.»

Le conjoint de la cinéaste, Jean-Sébastien Williams, a écrit toute la musique ainsi que les chansons de Sasha. «Il a aidé Carla à pratiquer durant plusieurs mois, raconte Mme Wagenbauer. Toute la musique entendue dans le film vient de prises faites sur le plateau. Il n'y a pas de lip-synch. Je tenais à ce que ce soit authentique.»

Parlons-en de l'authenticité! Ce mot revient souvent dans les propos de Kristina Wagenbauer.

«On n'obtient pas d'authenticité si on fait les choses à la dernière minute. Avec les budgets disponibles, on n'a pas le temps de l'atteindre sur les plateaux de tournage. Il faut donc faire beaucoup de recherche avant de tourner.»

Et c'est ce qu'elle a fait avec beaucoup d'écriture, de réécriture et de répétitions dans les mois en amont du premier tour de manivelle. Comme le budget était très limité, les artisans ont même planifié leurs prises en fonction des heures et journées d'ensoleillement. Tout a été calculé.

«La profondeur d'un sujet vient avec le temps, dit Mme Wagenbauer. Quand on investit du temps, on peut aller en profondeur dans les personnages, le jeu, les émotions, les dialogues.»

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Sashinka est présentement à l'affiche.