Déjà palmé d'or en 2007, Cristian Mungiu est reparti de Cannes l'an dernier avec le Prix de la mise en scène, ex aequo, pour son très beau Baccalauréat. Son long métrage a une portée à la fois intime et universelle. Le brillant Roumain s'attarde à l'histoire d'un père prêt à tout pour aider sa fille et qui va sérieusement compromettre sa conscience et leur relation. Le Soleil a profité du passage du réalisateur au dernier Festival du film de Toronto (TIFF) pour discuter du poids des compromis et du désir d'offrir le meilleur à ses enfants.

Baccalauréat s'attarde aux problèmes de conscience de Romeo (Adrian Titieni), un médecin d'une petite ville roumaine. Sa fille (Maria-Victoria Dragus) est agressée à la veille des examens pour le bac, dont la réussite lui permettrait d'étudier en Angleterre. La mort dans l'âme, son père se résout à soudoyer un fonctionnaire.

Cette décision, qui va à l'encontre de ses valeurs, il la prend pour éviter à sa fille de prendre le même chemin que lui, en vue d'un meilleur avenir. «Il tente d'éviter à sa fille un premier compromis, souligne Mungiu. Le compromis est l'équivalent d'une chaîne. Le premier va entraîner le second et ainsi de suite. Vous perdez la liberté d'être vraiment honnête. Mais je ne suis pas sûr que ce soit vraiment possible. Le film s'interroge sur les doutes qu'il entretient à propos de ce sacrifice. Il a fait beaucoup de compromis dans sa vie et il tente de protéger sa fille. Mais il ne s'y résout pas vraiment. La question est: que peut-il faire? On ne peut pas éduquer un enfant sur la base du "fais ce que je dis, mais pas ce que je fais".»

D'autant que, dans Baccalauréat, le père est aussi en train de détruire, aux yeux de sa fille, le modèle de probité qu'il a mis des années à façonner. La fin justifie-t-elle les moyens? L'ado de 17 ans ne semble pas le croire et se révolte, tentant d'affronter son père sur ses actions et ses mensonges. «À cet âge, elle est plus proche de ses émotions que de la réflexion.»

Apprendre à survivre

Le père de famille ne cache pas qu'il s'est inspiré de ses propres doutes et interrogations sur l'éducation - en particulier dans un pays comme le sien, où il doit se demander si l'avenir de ses enfants est ailleurs plutôt qu'en Roumanie. «S'ils décident de rester ici, ils doivent apprendre à être des survivants en fonction de lois locales, qui ne sont pas toujours les plus éthiques. Si tu leur apprends à être honnêtes dans toutes les situations, peu importe le prix à payer, je ne crois pas que tu les prépares à cette société. Tu as déjà décidé qu'ils vivront avec cette philosophie dans un autre pays.»

Outre ses réflexions, Mungiu s'est inspiré d'articles avec des implications morales.

«J'ai combiné trois, quatre histoires différentes. Je voulais faire le portrait d'un homme à cet âge où tu n'es pas nécessairement heureux de toutes les décisions prises dans ta vie, mais où tu ne peux plus rien y changer. La vie de famille n'est pas nécessairement celle que tu imaginais à 20 ans.»

Sans appuyer le trait, Baccalauréat brosse également le portrait décapant d'une société gangrénée par la corruption et les retours d'ascenseur. Comment y voit-il son avenir et celui de ses enfants? «Je ne sais pas, c'est pour ça que j'ai fait ce film, pour exprimer mes doutes, explique Cristian Mungiu. Pour être honnête, j'espère que nous arriverons à une solution collective.

«Après 25 ans de sacrifices [le dictateur Nicolae Ceausescu est mort en 1989], nous sommes un peu désabusés parce que les choses ne sont pas comme nous l'aurions souhaité. La prochaine génération devra-t-elle aussi se sacrifier ? Pour changer la société, vous avez besoin d'un nombre significatif de gens. Mais quand il s'agit de tes enfants, la chose n'est pas simple. Comme tu veux le meilleur pour eux, tu as tendance à être égoïste. C'est une situation complexe. Et qui ne se déroule pas seulement en Roumanie, mais dans plusieurs pays.»

Même si le drame est profondément ancré dans la réalité roumaine, il a donc une portée universelle. «Le film ne parle pas tant de corruption que de nature humaine, de vérité, de culpabilité, de famille... Bref, de la complexité et de l'ambiguïté de la vie, ce qui peut être compris partout.» Même chose pour la question de la compromission. 

«C'est ce que j'aime du cinéma. Cette capacité de résonance. Je pense que ceux qui sont le plus interpellés par le film sont ceux qui ont une proximité avec les thèmes. Je puise à la vie de tous les jours.»

Une question d'éducation

Cristian Mungiu, Palme d'or pour 4 mois, 3 semaines, 2 jours, est bien placé pour constater que l'intérêt pour le cinéma d'auteur «a diminué» ces dernières années et qu'il devient plus difficile de trouver son public. Même en France, par exemple, pays de la cinéphilie, la période en salle fond comme neige au soleil et la compétition est rude. «C'est difficile de rendre notre film spécial.»

«Je constate, dans mon pays et dans beaucoup d'autres, que les gens envisagent le cinéma seulement comme un divertissement. » En Roumanie, dit-il, 90 % des films sont des productions américaines - comme au Québec. « Il y en a de très bons. Le problème, c'est le ratio. Ça prend une diversité. Mais pour ça, il faut une forme d'éducation, surtout avec les jeunes. C'est une responsabilité qui nous incombe à tous. Le cinéma est une forme d'art aussi, destinée à explorer et à comprendre la complexité de la vie.»

Le Prix de la mise en scène remporté à Cannes l'an dernier a réconforté le réalisateur de 48 ans. Grâce à sa réputation, Baccalauréat avait déjà trouvé preneur dans plus de 40 pays. Mais la récompense devient un argument supplémentaire. «Un trophée à Cannes est une recommandation aux spectateurs.» 

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Baccalauréat prend l'affiche le 28 avril.

Photo fournie par AZ Films

Adrian Titieni et Maria-Victoria Dragus dans Baccalauréat