Dans ses films, le célèbre cinéaste marseillais a rarement fait écho à ses racines. Après Le voyage en Arménie, tourné il y a 10 ans, il propose aujourd'hui Une histoire de fou, une oeuvre qui accroche la grande histoire par le truchement d'un fait divers contemporain.

«Plus Robert avance en âge, plus il ressent le besoin d'évoquer ses racines.» Voilà comment Ariane Ascaride, actrice et conjointe de Robert Guédiguian, explique la démarche qu'a entreprise son complice pour aboutir à Une histoire de fou. «Son arménité est arrivée très tard, ajoute-t-elle. Elle a ressurgi le jour où Robert s'est retrouvé dans le pays de ses ancêtres, à l'invitation de jeunes Arméniens. Ça l'a beaucoup remué.»

Il est vrai qu'auparavant, celui qui s'est fait connaître du grand public grâce à Marius et Jeannette était davantage préoccupé par des causes sociales et politiques intimement liées à la France. Maintenant âgé de 62 ans, le cinéaste marseillais aborde aussi la question identitaire.

«Je ne sais pas pourquoi j'ai mis autant de temps à m'intéresser à mes origines, fait-il remarquer au cours d'un entretien accordé à La Presse. Il est vrai qu'il y a 30 ou 40 ans, cette question n'était pas mise de l'avant. On n'y pensait pas. Aujourd'hui, tous les rêves d'avenir sont brisés. C'est ce qui, je crois, provoque la situation de repli et de régression dans laquelle on se trouve présentement. Et qui est propice à tous les intégrismes.»

Lourd de conséquences

À travers Une histoire de fou, le cinéaste a surtout voulu évoquer les relents d'une tragédie historique dont les plaies restent toujours ouvertes, même un siècle après son déroulement. Un fait divers survenu au début des années 80, relaté dans un livre autobiographique de Jose Antonio Gurriaran, a servi d'élément déclencheur.

«Je cherchais un moyen de faire écho au génocide arménien sans tomber dans le drame historique, relate le cinéaste. Le ressort dramatique qu'on retrouve dans le bouquin est extrêmement fort.»

«Que veut dire être arménien aujourd'hui? Qu'est-ce que le fait arménien? J'ai voulu aborder la question comme le ferait un témoin étranger.»

Dans son scénario, qu'il a coécrit avec Gilles Taurand (Les roseaux sauvagesLes adieux à la reine), Robert Guédiguian a transposé à Paris un événement qui, dans la réalité, a eu lieu à Madrid. En 1981, un jeune journaliste a été grièvement blessé quand a explosé une bombe posée par des militants de l'Armée secrète arménienne de libération de l'Arménie. À partir de ce point de départ, les scénaristes ont développé l'histoire de la mère du jeune terroriste. Qui rend visite à la victime pour lui demander pardon au nom de son peuple.

«Les événements historiques sont toujours lourds de conséquences pour les générations qui suivent, indique le cinéaste. Avant que les plaies ne se referment, il faut des siècles. Il faudra probablement attendre mille ans avant qu'un Juif ne pense plus à la Shoah. Et on peut dire cela aussi de toutes les guerres, qu'elles aient été hier de nature coloniale ou qu'elles se déroulent aujourd'hui au Moyen-Orient. Le meilleur moyen pour entamer un processus de guérison est que le fautif reconnaisse au moins sa responsabilité. L'Allemagne a reconnu très vite son tort. On attend encore que la Turquie fasse de même à propos du génocide arménien.»

Toujours se battre

Issu de l'action militante communiste des années 70, Robert Guédiguian dit être aujourd'hui plutôt pessimiste quant à la tournure des événements en Europe. Il regarde en outre d'un oeil inquiet la montée de l'extrême droite un peu partout sur le continent.

«On doit s'inquiéter, mais il faut agir aussi. On ne peut pas laisser la moitié de la population sur le carreau, hors du monde. On fait de l'identité une question politique parce qu'on n'a rien à dire sur les autres questions. L'oligarchie financière qui mène le monde - et les gouvernements qui y sont liés - n'a strictement rien à proposer aux nombreux exclus. On leur donne un os à ronger à travers la question identitaire. J'aime bien la très belle formule d'Antonio Gramsci: "Il faut allier le pessimisme de l'intelligence à l'optimisme de la volonté." Je me bats tous les jours pour devenir optimiste. Le cinéma, c'est ma manière à moi d'intervenir dans le monde.»

Alors qu'il présidait l'an dernier le jury du 12e festival international du film d'Erevan, une projection spéciale d'Une histoire de fou a été organisée au profit du public de la capitale arménienne.

«Robert restera pudique à ce propos, mais nous avons vécu là une très grande émotion, confie Ariane Ascaride. C'était complètement dingue. Tout le monde pleurait. C'était un peu comme si, ce soir-là, les Arméniens avaient vraiment reconnu en Robert l'un des leurs. Dans une vie, c'est le genre de moment qui marque. Cela dépasse le cinéma.»

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Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.

PHOTO FOURNIE PAR AGAT FILMS

Grégoire Leprince-Ringuet et Ariane Ascaride dans Une histoire de fou, construit autour d'un fait divers: l'explosion d'une bombe posée par des militants de l'Armée secrète arménienne de libération de l'Arménie.