Habitué des rôles de garçons plutôt réservés, l'acteur a eu envie d'un personnage plus excentrique, plus fou, qui lui permettrait de faire au cinéma ce qu'il ne fera jamais dans la vie. La requête n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd. Et lui vaut maintenant les plus belles accolades.

Une semaine avant de monter les fameuses marches menant au Théâtre Lumière, Antoine Olivier Pilon, comme n'importe quel ado, chillait encore avec ses chums dans un parc. Il n'aurait pas même pu alors seulement imaginer l'aventure qu'il allait vivre sur la Croisette quelques jours plus tard.

Mommy, le film de Xavier Dolan dans lequel il incarne un ado perturbé entretenant des relations explosives avec sa mère (Anne Dorval), a créé une véritable onde de choc au Festival de Cannes. Du coup, le cinéaste et les acteurs ont été emportés dans un tourbillon inimaginable. Plusieurs médias français et internationaux de référence ont fait du film de Dolan leur coup de coeur. Et établi que le jeune acteur québécois avait été la grande révélation du Festival.

Trois jours après la cérémonie du palmarès, assis devant un plat de frites dans un café parisien, Antoine Olivier Pilon essaie de décanter un peu tout ça. Et garde la tête bien froide.

«C'est incroyable, dit-il. Je suis allé à des endroits pas possibles, où avaient lieu des fêtes d'une ampleur dont je n'aurais jamais pu soupçonner l'existence. Je trouve ça dangereux. On peut facilement s'habituer à tout ça. Je regardais justement Justin Bieber - parce qu'il était là. Je sais que ça peut rendre fou, ce genre de choses. Au dîner officiel de Mommy, j'ai dû mettre 20 minutes pour me rendre aux toilettes parce que tout le monde m'arrêtait et voulait me parler et me féliciter! Vraiment, je n'aurais jamais pensé qu'une affaire pareille puisse m'arriver un jour.»

Une vocation précoce

Difficile à imaginer, en effet. Mais pas si surprenant, en fait. Antoine Olivier Pilon fait partie de ces êtres qui, très jeunes, trouvent leur vocation et tracent leur voie en conséquence.

«Personne n'exerce un métier artistique chez nous, précise-t-il. Mais mon père a toujours pris soin de filmer les moments importants que ma soeur aînée et moi vivions. Et on aimait ça. Je crois que mon envie de jouer devant une caméra vient de là.»

Né à Montréal en 1997, le petit Antoine Olivier, fils d'une mère graphiste et d'un père avocat et relationniste, devient gaspésien à l'âge de 3 ans. Près de 30 ans après le mouvement du «retour à la terre», maman Micheline et papa Benoît ont un gros coup de coeur pour une maison de Port-Daniel. Ils décident d'ouvrir un gîte là-bas en y installant toute la petite famille.

«Nous sommes restés là six ans, précise l'acteur. J'ai adoré ce temps-là. J'ai même pris l'accent! On s'est fait remarquer à l'époque, car il était plus rare de voir des familles quitter la ville pour aller s'installer en région. Quand est venu le moment pour ma soeur et moi d'entreprendre nos études secondaires, nous sommes rentrés à Montréal parce que c'était trop compliqué là-bas.»

Au retour de sa vie gaspésienne, Antoine Olivier est inscrit dans une agence artistique. À l'âge de 12 ans, il décroche un rôle dans une publicité du réseau RDS dans laquelle différentes générations d'admirateurs témoignent leur affection pour un joueur du Canadien. L'année suivante, il décroche son premier rôle au cinéma, celui de Frisson dans le film de Richard Roy Frisson des collines. Deux ans plus tard, il est la tête d'affiche du très bon film familial d'Éric Tessier Les pee-wee 3D.

Un plan B

Très sollicité, le jeune acteur poursuit parallèlement ses études secondaires. Au lendemain du Festival de Cannes, il compte en outre replonger dans ses examens en vue de terminer sa 5e secondaire.

«Je vais toujours à l'école, mais j'ai aussi un tuteur, explique-t-il. Les études, c'est important. Autant pour mes parents que pour moi. Je ne veux pas m'habituer à un mode de vie qui ressemblerait à ce que nous avons vécu à Cannes. C'est trop intense, trop festif, trop jet set, trop décadent. Ça peut vraiment changer une personne. Je veux poursuivre mes études et je compte aussi me garder un plan B. J'espère évidemment exercer ce métier longtemps, mais je sais que tout peut s'arrêter du jour au lendemain. Quand j'irai à l'université, j'étudierai probablement en administration. Pour l'instant, je tiens à perfectionner mon anglais et à m'exercer aussi à l'accent français.»

Après le succès de Mommy à Cannes, des agences françaises s'intéressent maintenant à lui. Quelques offres sont déjà sur la table. Il ne veut rien bousculer. Le jeune homme préfère prendre son temps avant de signer quoi que ce soit. Et bien réfléchir. Rien ne presse.

Collaboration féconde

Sa collaboration avec Xavier Dolan, qu'il considère comme un grand frère et un mentor, se révèle féconde. Après l'avoir dirigé pour un petit rôle dans Laurence Anyways, le cinéaste fait appel à Antoine Olivier pour tenir le rôle d'un ado victime d'intimidation dans le clip d'Indochine - controversé en France - College Boy.

«Xavier m'avait prévenu que ça allait être dur, rappelle l'acteur. J'ai beaucoup aimé le sujet et le scénario. Le projet était pour le moins intense. Quatre grosses journées de tournage. J'ai été accroché sur une croix pendant des heures. Je suis resté très concentré pour garder mon énergie. Xavier pensait que je lui en voulais parce que je ne parlais pas!»

C'est d'ailleurs lors du tournage de College Boy que le cinéaste a l'idée de reprendre un scénario dont il avait déjà fait une ébauche quelques années auparavant. De là est né le projet de Mommy.

«J'avais dit à Xavier que j'avais envie d'un personnage complètement différent de moi, fait remarquer Antoine Olivier Pilon. Ça me tentait de jouer un fou, un malade mental, avec des passions violentes. Je souhaitais tenir un rôle vraiment excentrique, qui me permettrait de faire ce qu'on ne peut pas faire dans la vie: sauter sur un taxi, tasser les meubles. J'ai encouragé ça dans son écriture, je crois. Plus il m'en donnait, plus je capotais! Le scénario n'était pas écrit que, déjà, Xavier avait des scènes en tête et il me les décrivait. Puis, il est arrivé avec un scénario en me disant que je l'avais inspiré. J'ai lu ça et je me suis dit: ça va être malade!»

Dès son retour à Montréal (il y a quatre jours), Antoine Olivier a retrouvé sa vie normale et chillait de nouveau avec ses chums, qu'il avait hâte de retrouver. Il est toujours le même gars. À la différence qu'une carrière internationale fait désormais partie de son destin.

Dolan, le mentor

Antoine Olivier Pilon et Xavier Dolan se ressemblent sur au moins un aspect: ce sont deux hyperactifs qui carburent à de fortes poussées d'énergie. Huit ans d'âge les séparent.

«Sur le plateau de Mommy, nous étions les deux qui niaisaient le plus, explique l'acteur. Les deux clowns. On aime se taquiner, se tirailler. Notre énergie exaspère parfois un peu tout le monde. Le tout premier jour de tournage, on filmait une scène dans le stationnement d'un centre commercial dans laquelle je m'amuse avec un panier d'épicerie. Il y avait une butte de laquelle je pouvais voir Xavier de dos, collé sur son moniteur. Je me suis approché spontanément et je lui ai baissé les culottes. Sauf que tout s'est accroché et il s'est pratiquement retrouvé à poil devant tout le monde. J'étais «speedé», je n'ai pas pu m'empêcher. Je me suis senti mal, mais il a trouvé ça drôle, même s'il a été surpris et un peu humilié, je crois. Il a partagé l'incident sur sa page Facebook. Xavier est super cool avec moi.»

Aller plus loin

Au-delà de cette apparente complicité, Antoine Olivier Pilon apprécie aussi le fait de pouvoir aller plus loin en compagnie de gens de confiance.

«Nous avons souvent des coachs de jeu sur les plateaux, mais pour Mommy, mon coach de jeu, c'était Xavier, explique-t-il. Il est devenu mon mentor, le mentor de tout le monde, en fait. Sur le plateau, il mène tout de main de maître. Il travaille souvent avec les mêmes collaborateurs et l'équipe est très intime. Cela me plaît beaucoup. Quand je me sens proche des membres de l'équipe, je peux alors m'abandonner à des choses avec lesquelles je ne serais peut-être pas à l'aise sur un plateau où il n'y aurait que des inconnus.»

Antoine Olivier Pilon en quelques dates

1997 : Naissance à Montréal le 23 juin.

2009 : Tournage d'une publicité pour le hockey à RDS.

2010 : Cinéma: Frisson des collines (Richard Roy)

2012 : Cinéma: Laurence Anyways (Xavier Dolan), Les pee-wee 3D: L'hiver qui a changé ma vie (Éric Tessier); Télévision: Les Argonautes (Télé-Québec), Mémoires vives (Radio-Canada)

2013 : Clip: College Boy d'Indochine (Xavier Dolan)

2014 : Cinéma: Mommy (Xavier Dolan); Télévision: Subito texto (Télé-Québec)