Sylvie Léonard me retrouve à La Magia, rue Saint-Charles à Longueuil. La comédienne ne chôme pas ces jours-ci. Elle était à Cannes il y a un mois pour la première de L'âge des ténèbres de Denys Arcand. Elle sera en vedette dans Ma tante Aline, la nouvelle comédie de Gabriel Pelletier qui prend l'affiche le 20 juillet. Et elle tourne actuellement avec Isabel Richer et Julie Perreault dans Les soeurs Elliot, une série qui sera diffusée à TVÀ l'automne prochain. Discussion autour du métier d'acteur, du vedettariat et de la déresponsabilisation de l'individu...

Marc Cassivi: Je me suis dit qu'on pourrait parler du métier d'acteur dans un monde qui est dominé par le vedettariat.

Sylvie Léonard: Quand j'étais jeune et qu'on demandait aux jeunes ce qu'ils voulaient faire dans la vie, quelques-uns répondaient «comédien». À l'époque, on disait comédien, pas acteur ou actrice. Le mot comédien sous-entendait un travail, un labeur, une formation. Ce n'était pas une image. Quand un jeune répondait «comédien», il y avait dans le regard de l'adulte qui avait posé la question cette idée que le parcours allait être difficile. Il y avait une reconnaissance du défi lancé, du travail que cela impliquait et du risque aussi. Mais surtout pas l'appât du gain. On savait que les jeunes ne se lançaient pas dans le métier pour s'assurer un niveau de vie confortable. Bien sûr, il y en avait certains pour qui dire qu'on voulait devenir comédien, c'était comme dire qu'on voulait devenir saltimbanque. Mais ils étaient en minorité.

M.C.: Qu'est-ce qui a changé dans la perception des gens?

S.L.: Ce qui a changé, c'est que les jeunes ne répondent plus «comédien» mais «vedette» quand on leur pose la même question. Alors on leur demande «vedette de quoi?», parce qu'on n'ose pas leur dire qu'être une vedette, ce n'est pas un statut, mais une conséquence. Pour certains jeunes, ce n'est pas bien clair. Ce qu'ils veulent surtout, c'est passer à la télé.

M.C.: La télévision est vraiment le vecteur du vedettariat. C'est pour ça que tant de jeunes en rêvent.

S.L.: Les jeunes adultes d'aujourd'hui ont aussi ce rapport à la célébrité. Les jeunes qui sont candidats dans les téléréalités n'ont pas 16 ou 17 ans. Ils ont 25-30 ans. Ce sont de futurs parents, qui vont transmettre cette idée que le vedettariat est un métier comme un autre.

M.C.: Je me demande à quel moment ce rapport à la célébrité a changé. Depuis quand les gens se disent-ils qu'il n'y a rien comme devenir une vedette qui passe à la télé? Il me semble que c'est quelque chose d'assez récent...

S.L.: Pour moi, le changement a été drastique. Mais c'est peut-être que je ne voyais pas venir la dégringolade. C'est comme pour les jeunes filles. Il me semble qu'il n'y a pas si longtemps que les filles se maquillent à 7 ou 8 ans. C'est un peu la même chose pour la téléréalité. Elle est arrivée tout d'un coup. Est-ce que c'est la téléréalité qui a cristallisé le besoin des gens d'être connus ou le contraire? Est-ce que la téléréalité est devenue l'accomplissement de ce besoin-là?

M.C.: C'est lié, c'est clair. Il y a, dans la téléréalité, l'idée que n'importe qui peut passer du jour au lendemain du statut de quidam à celui de vedette adulée par toute la province parce qu'il participe à un concours de chant à la télé. Comme pour les acteurs, la perception du métier de chanteur a changé. Le travail, la formation, les tournées dans les petites boîtes qui mènent éventuellement à une petite place au soleil. Ce n'est plus ça qui est valorisé.

S.L.: Les concours sont nobles. Je pense au Festival de Granby. Il y a une démarche artistique, une passion, une création dans ces événements-là que l'on ne retrouve pas dans la téléréalité, qui n'offre strictement rien.

M.C.: Encore qu'on peut faire la distinction entre une téléréalité comme Star Académie qui a un côté artistique, et les émissions sidérantes comme Loft Story ou Occupation double, où les candidats n'ont besoin d'aucun talent particulier, sauf peut-être celui d'être musclé...

S.L.: Et bronzé.

M.C.: Ce que je trouve dramatique, c'est que certains jeunes ne font plus la distinction entre ces bronzés et les artistes. Ce sont tous des vedettes.

S.L.: Aujourd'hui, on est beaucoup dans l'immédiat. Le résultat, l'image sont les choses les plus importantes. Je ramène ça à mon métier, que je défends haut et fort. Qu'on soit autodidacte ou pas, ça prend une formation pour faire ce métier, même s'il est difficile d'encadrer l'art. Le talent, ce n'est que le début, pas l'aboutissement. Quand j'entends - et je ne nommerai pas de noms - des gens qui font tout d'un coup un cameo dans un film et qui se déclarent comédiens, c'est sûr que les bras me tombent, comme plusieurs de mes amis. On peut avoir envie de devenir comédien, et avoir un talent pour ça, mais il faut le travailler. On ne devient pas chanteur parce qu'on a chanté une chanson...

M.C.: La conséquence, c'est une espèce de dévaluation de la profession. On donne la perception que n'importe qui, du jour au lendemain, avec un minimum de talent, peut être un acteur ou un chanteur. La machine s'emballe parfois à un tel point, les forces du marketing et du vedettariat sont telles, qu'une personne sans grand talent peut avoir un grand succès, sinon d'estime, du moins populaire. On est dans la culture de l'éphémère.

S.L.: Il y a toutes sortes de parcours. Mais si une école de théâtre offre un cours de trois ou quatre ans, ce n'est pas pour rien. Jouer, interpréter et bâtir un personnage, ça ne vient pas seulement parce qu'on a le bon ton ou une facilité à s'exprimer. C'est plus que ça. C'est vrai pour plusieurs métiers. Comment renverse-t-on ça? Je crois que la première génération des enfants rois est actuellement sur le marché du travail. On ne peut pas revenir en arrière, mais il faut bâtir une société qui est responsable, et mature. On peut rester alerte, sans être infantile. J'entends déjà des jeunes dire: «Ne nous mettez pas tous dans le même sac!» C'est vrai. L'image du jeune dans les téléréalités n'est pas représentative de toute une génération. Mais c'est une image qui m'inquiète. L'image de la déresponsabilisation de l'individu.

M.C.: On est dans la culture du «tout m'est dû». Et les téléréalités sont une manifestation de cette culture-là, ou comme vous le disiez, une cristallisation du problème.

S.L.: Si le public-cible était plus restreint, je serais moins inquiète. Il y a des gens qui lisent des romans Harlequin, mais ils ne sont pas majoritaires. Lorsque je vois les résultats des cotes d'écoute, même s'ils sont contestés, je n'en reviens pas. Il y a tellement de choses à faire. On peut sans cesse être nourri culturellement ici.

M.C.: C'est la place de l'artiste qui à terme peut être menacée. À la télévision, il y a des quiz, il y a la téléréalité, il y a des talk-shows, des émissions américaines insipides traduites en français...

S.L.: On se demande bien ce que sera l'avenir des auteurs, des comédiens, des réalisateurs et de la culture. Ce n'est pas très rassurant.