Triangle amoureux, révolution et drogues douces. Le triptyque rappelle plus le Paris existentialiste des années 60 que le Toronto consumériste des années 2000. Le réalisateur canadien Reginald Harkema convoque pourtant ses comédiens à donner dans l'amour et la révolution plutôt que dans la fièvre acheteuse pour son dernier film, Monkey Warfare, une réflexion sur les activistes d'aujourd'hui.

Dan (Don McKellar) et Linda (Tracy Wright) vivent à Toronto, dans un quartier qui s'embourgeoise à vue d'oeil. Leur maison est un bric-à-brac envahi d'objets qu'ils retapent et revendent sur Internet. La vie de ces deux anciens révolutionnaires de Vancouver va être bouleversée quand surgit la jeune Susan (Nadia Litz).

Susan vend de l'herbe à Dan. En échange, Dan lui parle de l'extrême gauche, des guerillas urbaines, des activistes américains et européens. La présence de la jeune femme, un brin fougueuse, un brin rebelle, va réveiller chez Dan et Linda des sentiments qu'ils croyaient enfouis.

«L'arrivée de Susan ne change pas la vie de Linda et Dan. Elle va plutôt réveiller les sentiments romantiques qu'ils ont eus pour chacun d'entre eux, estime le réalisateur, joint au téléphone. Susan les pousse à réfléchir à leur vie. Ils prennent alors conscience de ce qu'ils sont devenus.»

Reginald Harkema ne cache pas son admiration pour les films français de la nouvelle vague, notamment La Chinoise , de Jean-Luc Godard, et La maman et la putain, de Jean Eustache. D'un côté, les jeunes maoïstes, de l'autre, le trio amoureux. «Monkey Warfare, c'est la rencontre de La Chinoise et de La maman et la putain», définit le cinéaste.

Côté politique, Reginald Harkema ( Better Off in Bed) s'inspire des héritages militants et musicaux américains. «Il y a une culture du militantisme très forte dans notre société. Mon film fait appel à ce segment de notre culture nord-américaine», dit-il.

Il y a quelques années, il écrit un script, Bad Chloe, sur une jeune militante. «À la fin des années 90, il y a eu beaucoup de manifestations, notamment pour les sommets de l'OMC de Seattle et de Québec, se souvient-il. Avec Chloe, je me suis demandé : jusqu'où est-ce que cela pourra aller? Jusqu'où une femme radicale est-elle prête à se rendre?»

Présenté à des producteurs un certain matin de septembre 2001, le projet est relégué aux oubliettes quand les attentats suicide deviennent très politiquement incorrects. Il renaît quelques années plus tard, quand le réalisateur quitte Vancouver pour Toronto et découvre comment ses voisins parviennent à vivre de la récupération et revente d'objets divers et variés.

Quant à l'intrigue amoureuse, elle lui a été inspirée par Last Night, réalisé par Don McKellar en 1998. «Il y a une scène où Don et Tracy sont confrontés à ce triangle amoureux. C'est quelque chose que je voulais développer», dit Reginald Harkema, qui a assuré le montage de Last Night et Childstar de Don McKellar.

Avec une économie de moyens évidente, Reginald Harkema signe un film efficace, porté et nourri par des extraits musicaux sur le thème de la révolution : The Black Poodle de Comets on fire, Nuclear War de Sun Ra, The Old Revolution de Leonard Cohen, Pow! To the people, de Make-Up. Reginald Harkema, DJ à ses heures, connaît bien la chanson. «La musique devient de plus en plus incontournable pour moi.»

Le thème et la facture du film ne sont pas exactement dans ce que l'on pourrait définir comme l'air du temps. «Si j'étais québécois et que je faisais le même film, cela aurait certainement au moins une résonance sur le box-office. Cela serait un plus grand succès qu'au Canada, note le réalisateur. Je me dis parfois que j'aimerais être québécois.»