Imprévisible, attachant et écorché, Joaquin Phoenix ne fait rien comme les autres. L'acteur ne verra même jamais à quel point il est stupéfiant dans Reservation Road, car il refuse de voir les films dans lesquels il joue.

«Vous devez commencer à être fatigué de me voir. Je suis profondément désolé.» Devant les journalistes, Joaquin Phoenix s'excusait du fait que deux des films dans lesquels il tient la vedette prennent l'affiche presque simultanément. Avec, à leur suite, la ronde promotionnelle obligatoire; l'une à Los Angeles pour We Own the Night, de James Gray (à l'affiche depuis le 12 octobre); l'autre à New York la semaine suivante pour Reservation Road, de Terry George.

Même s'il pratique l'auto dérision avec une grande maîtrise, Joaquin Phoenix affiche une sincérité désarmante quand vient le moment de parler un peu de sa personne. Notamment quand il s'exprime sur l'exercice de son métier. Pour lui ne compte en effet que le moment entre «moteur» et «coupez». Tout le reste revêt à ses yeux un caractère très fastidieux.

«Sur un plateau, Joaquin est toujours dans l'instant», précise d'ailleurs Jennifer Connelly, sa partenaire de jeu dans Reservation Road.

Celui qui a prêté ses traits à Johnny Cash dans Walk the Line dit en outre avoir bien du mal à composer avec tout ce qui entoure désormais la vie d'un acteur de cinéma: la notoriété, l'intrusion de la presse spécialisée dans la vie privée, les paparazzis, la promotion.

«Jusqu'à maintenant, je dois quand même dire que les bons aspects l'emportent largement sur les moins bons, concède Phoenix. Dieu merci, je ne suis pas une personnalité très prisée par la presse spécialisée. Mon pire cauchemar serait d'ailleurs de voir les photographes me suivre dans mes moindres déplacements comme ils le font pour certaines vedettes. Ça, je ne pourrais vraiment pas le supporter.»

L'acteur raconte éprouver même des symptômes physiques quand il se sent épié. «L'autre soir, je marchais dans la rue et quelques personnes m'ont suivi avec l'intention de me demander une autographe. Au lieu de m'arrêter et d'acquiescer gentiment à leur demande, je me suis mis à avoir des sueurs froides. Je n'aime pas du tout attirer l'attention. Cela dit, mon profil n'est quand même pas si intéressant. Je ne fais pas partie de ceux qu'on pourchasse. Chaque fois que je me fais prendre en photo, j'ai l'impression que Brad Pitt doit être caché quelque part derrière!»

Ligne de conduite

Joaquin Phoenix n'aime tellement pas voir la représentation de son image qu'il ne regarde jamais les films dans lesquels il joue. «Le tout dernier que j'ai vu est The Yards il y a sept ans!» précise-t-il. Il ne lit aucune critique non plus, pas plus que les articles qui lui sont consacrés. «Évidemment, je suis parfois curieux. Mais je me force pour suivre la ligne de conduite que je me suis dicté car au bout du compte, il n'y aurait rien de productif. Cela dit, cette approche est très personnelle et ne fonctionnerait pas nécessairement pour tous les acteurs. Certains nourrissent leur jeu de leur propre regard critique en revoyant leur travail. Moi, je ne peux pas.»

Et les récompenses?

«Je ne veux pas que ce genre de choses ait de l'importance dans ma vie, dit celui qui fut notamment sélectionné aux Oscars à deux reprises (Gladiator et Walk the Line). J'ai vu des acteurs et des cinéastes que j'admire être complètement obsédés par ce genre de reconnaissance. Évidemment quand cela arrive, ça fait quand même plaisir.»

Un drame intense

Dans Reservation Road, Joaquin Phoenix incarne un père de famille qui, à la suite d'un accident qui a coûté la vie à son fils, tente de retracer le chauffard (Mark Ruffalo) qui, pris de panique, a quitté précipitamment les lieux sans prévenir les autorités.

Cet homme, meurtri dans sa chair, rejoint ainsi la collection de personnages écorchés dans la peau desquels l'acteur aime se glisser. Phoenix met une telle intensité à traduire la douleur de ses personnages qu'on pourrait même parfois se demander s'il n'existerait pas un danger à devoir constamment plonger dans des zones aussi fragiles.

«Mais ces personnages sont tellement plus intéressants à jouer! fait valoir l'acteur. Pour préparer ce rôle, j'ai par exemple rencontré des familles qui ont eu le malheur de perdre un enfant dans de pareilles circonstances. Un homme, nommé David, m'a particulièrement touché tellement il était en train d'imploser de colère retenue. Pendant qu'il me parlait, je l'écoutais simplement respirer. Quand le corps exprime des émotions aussi douloureuses, il cherche désespérément son souffle. C'est le genre de travail qui m'intéresse.»

«Un film, poursuit-il, est une version plus concentrée de ce que nous vivons. J'estime plus intéressant de jouer un personnage qui vit de grands drames plutôt qu'un gars dont la vie est trop ordinaire!»

Joaquin Phoenix retrouvera bientôt James Gray, sous la direction de qui il a tourné The Yards et We Own the Night, pour un film dont l'intrigue tourne autour d'une histoire de couple. Gwyneth Paltrow est sa partenaire.

«James est un cas à part, signale l'acteur. Peu importe son projet, je serai toujours là s'il le souhaite.»

Reservation Road (Au bout de la route en version française) prend l'affiche le 26 octobre.