la signature indélibile de son auteur, Claude Meunier. Sur le plateau, techniciens et acteurs ont tous l'air relaxe, surtout l'éternel complice Marc Messier qui lance aux journalistes: «Exceptionnellement pour cette scène, je vais demeurer habillé.»

Nathalie (Hélène Bourgeois Leclerc), artiste peintre dans la vingtaine, voit arriver dans son atelier Céline (Guylaine Tremblay), l’ex de son amant Jean-Paul (Marc Messier), un médecin dans la cinquantaine. Le dialogue est du Meunier tout craché, pas clownesque comme dans La petite vie, mais drôle dans son réalisme absurde et sa banalité. Même quand la réplique est assassine – «Tes parents doivent être contents d’avoir un gendre de leur âge», dit Céline à Nathalie – on est davantage dans le malaise que dans le règlement de comptes.

Sur le plateau du Grand départ, l’ambiance est aussi très éclairante sur la manière du cinéaste Meunier, qui en est à son premier film. Le réalisateur a l’air décontracté, il fait quelques blagues, confère avec ses acteurs, donne le signal – «3-2-1, action!» – et observe. «Claude est comme un poisson dans l’eau. Je me dis que ça fait longtemps qu’il aurait dû faire ça», confirme Denise Robert, productrice de ce film de 5,7 millions tourné en 35 jours, et qu’on devrait voir sur nos écrans à la fin de 2008.

En entrevue, Meunier est égal à lui-même. À une journaliste qui cherche sa question, il dit : «J’ai une réponse, mais je ne sais pas si c’est la bonne.» Hélène Bourgeois Leclerc et Marc Messier parlent d’un cinéaste détendu, et Messier affirme même qu’il a rarement vu son ami «aussi heureux artistiquement».

Meunier a fait ses devoirs – «La préparation a été plus stressante que le tournage», dit-il – et toute son équipe dit qu’il sait exactement ce qu’il veut. Il définit son film comme une comédie dramatique qui pose la question suivante: «Est-ce qu’on peut tout balancer et recommencer sa vie après 40 ans ou est-ce qu’on est poignés avec notre vie pendant toute notre vie?»

Dans l’intimité des personnages

Au théâtre et à la télé, Meunier a toujours parlé de l’absurdité de la vie, de la solitude, du «non-synchronisme des rapports humains», mais le cinéma lui ouvre d’autres portes. «C’est comme si on voyait les personnages de La petite vie ou des Voisins à un pouce de leur visage, dit-il. Je ne te dis pas que c’est des gros plans tout le long, mais le cinéma permet de t’approcher du monde, de voir les malaises, les trous, d’entrer dans leur intimité. J’ai une scène de repas où il ne se dit rien pendant deux minutes, une scène assez drôle, assez absurde, tu ne peux pas faire ça au théâtre, t’es trop loin.»

Ce n’est pas d’hier que Denise Robert essaie de convaincre Meunier de réaliser son propre film. «Parce qu’il a un univers qui lui est propre et que la meilleure personne au monde pour porter cet univers au cinéma, c’est lui», dit-elle. Meunier avait d’abord en tête une télésérie sur trois ans dans l’univers d’une clinique, mais, comme il s’intéressait surtout au tracé d’un personnage, il a opté pour le cinéma. Il aurait pu se contenter d’en écrire le scénario, on l’a convaincu de le réaliser : «Dans mon film, la ligne est toujours très mince entre l’humour et le drame, et je me suis dit qu’en dirigeant les comédiens, j’atteindrais vraiment ce qui était dans le scénario.»

Meunier parle d’émotion plus que de drame. «Dans le film, il y a deux personnages qui sont vraiment proches des Voisins, Henri (Rémy Girard) et Pauline (Diane Lavallée), très campés dans l’absurde, mais c’est un absurde réaliste, il y a une espèce de vérité qui fait que c’est émouvant. C’est comme si tu prenais La petite vie et que t’enlevais le masque, le maquillage, la caricature. C’est ce que j’avais à dire, ça me ressemble beaucoup, ce film-là.» 

«Ça va plus loin que ce que Claude a écrit jusqu’à maintenant», affirme Marc Messier qui comprend «intuitivement» l’écriture de Meunier depuis l’époque de la série jeunesse culte La fricassée il y a 30 ans. «L’univers des Voisins était un peu figé, des personnages vraiment poignés dans l’ennui; à 32 ans, leur vie était tracée pour les 50 prochaines années. Là, les personnages sont plus dans l’action, c’est plus réaliste que La petite vie qui était au septième degré, mais l’humour est toujours là. Avec Diane Lavallée, on pensait qu’on avait tout vu dans le genre névrosé, mais là, on va encore plus loin, elle est absolument incroyable! Mais ça parle aussi de l’ennui, de l’usure, et beaucoup d’amour, d’une façon lucide, sans ironie. Même s’il y a des scènes qui peuvent avoir l’air téléromanesques, ça n’est jamais banal. Ça va être plus difficile pour les gens de ne pas se reconnaître là-dedans.»