Trois ans se sont écoulés depuis la sortie de L'armoire magique d'Andrew Adamson au grand écran. Pour les enfants Pevensie, héros de cette première adaptation cinématographique des «Chroniques de Narnia» de C.S. Lewis, une année a passé depuis le retour à Londres. Et... 1300 au royaume d'Aslan, découvre-t-on dans Le prince Caspian. Le temps s'y est enfui. De même que la magie. Histoire de retours.

Au départ, Andrew Adamson avait refusé de prendre la barre des Chroniques de Narnia - L'armoire magique. «Je ne voulais pas m'atteler à quelque chose d'aussi complexe», a raconté le réalisateur d'origine néo-zélandaise qui a rencontré La Presse en tête-à-tête dans un hôtel de New York.

Mais, bon, les producteurs ont insisté. Et celui qui venait de passer six ans en compagnie d'un ogre vert (il a réalisé les deux premiers Shrek) a accepté de les rencontrer. Avec, dans sa manche, un tas de conditions «inacceptables»: «Je ne voulais pas changer d'époque, je voulais être fidèle à l'esprit et aux messages du livre, je voulais tourner avec des enfants anglais et inconnus. Ils hochaient la tête en m'écoutant. J'attendais qu'ils me montrent la porte.» Ils lui ont plutôt tendu un contrat.

Ainsi a commencé une aventure qu'Andrew Adamson a tellement appréciée qu'il n'a pas envisagé une seconde ne pas prendre les rênes du Prince Caspian. D'autant plus qu'il a ressenti un lien très intime avec cette histoire où les enfants Pevensie retournent à Narnia. Un Narnia où 1300 ans se sont écoulés. Où la magie a pour ainsi dire disparu. «J'ai grandi en Papouasie Nouvelle-Guinée, raconte ici le réalisateur. Or, ce pays tel que je l'ai connu, où à 13 ans j'avais ma moto et je pouvais rouler pendant des heures en toute liberté, n'existe plus. La violence et l'instabilité ont pris le pas sur la sécurité. Je comprends donc fort bien ce que ressentent les Pevensie.»

Un lien essentiel pour celui qui, quand il accepte un projet, doit «y voir un angle personnel». Il a rencontré sa femme quand il planchait sur le premier Shrek et elle est tombée enceinte pendant qu'il accouchait du deuxième (ceux qui connaissent les aventures de l'ogre vert feront les rapprochements qui s'imposent). Quant à L'armoire magique, cette quête dans un monde qui représente l'enfance, c'est, justement, un de beaux souvenirs d'enfance d'Andrew Adamson.

Il a donc retrouvé devant sa caméra plantée en Nouvelle-Zélande, en République tchèque, en Pologne et en Slovénie, les quatre jeunes découverts dans le premier film: William Moseley, Anne Popplewell, Skandar Keynes et Georgie Henley en Peter, Susan, Edmund et Lucy. Là où il a cherché fort et longtemps, ç'a été pour mettre la main sur Caspian. Il a finalement trouvé son prince en la personne de Ben Barnes.

Liberté d'adaptation

L'autre difficulté de l'adaptation du Prince Caspian résidait dans... l'adaptation du roman: «Nous pouvions nous permettre plus de liberté avec le livre parce qu'il est moins connu que L'armoire magique avec lequel les fans ont trouvé que nous avions fait du beau travail», raconte le producteur Mark Johnson. «Et heureusement que nous avions cette liberté parce que la structure du roman n'est pas cinématographique, souligne le scénariste Stephen McFeely. Il s'ouvre par un très long retour en arrière où un nain raconte aux enfants ce qui s'est passé à Narnia pendant le dernier millénaire.» «Visuellement et dramatiquement, ce n'est pas intéressant, ajoute son collègue Christopher Markus. Nous avons donc complètement remanié le récit.» Auquel il y a aussi eu des extrapolations.

Par exemple, C.S. Lewis n'a jamais flirté du côté romantique. «Or, une attirance entre le prince Caspian et Susan était possible et plausible dans le contexte», note Andrew Adamson, qui a lui aussi travaillé au scénario. Telle relation existe donc dans le film, en filigrane. Juste assez.

De plus, l'auteur des «Chroniques» ne s'est jamais attardé sur l'état d'esprit des Pevensie qui, après avoir régné pendant des années sur Narnia, retournent à Londres et à l'âge qu'ils avaient au début de l'aventure. «Ils ont été rois et reines, ils ont livré des batailles... et là, ils rentrent à l'école et se font imposer des devoirs!? Il était impossible que ce soit un ajustement facile!» pouffe Andrew Adamson qui, avec ses collaborateurs, a vu à ce que ce filon pertinent soit exploré. Ce, avant de tourner la page: il n'agira qu'à titre de producteur de L'odyssée du Passeur d'aurore, le prochain volet des «Chroniques» qui sera réalisé par Michael Apted.

«Il était temps pour moi de passer à autre chose, comme Peter et Susan qui ne retourneront plus à Narnia parce que le temps est venu pour eux d'aller ailleurs dans leur vie. Dans la mienne, le moment est venu de prendre une pause, de passer du temps avec mes enfants et mon épouse.» Avant d'aller explorer un autre monde.

Il était une... foi

Sacrifice, sauveur, combat entre le Bien et le Mal... la littérature fantastique regorge de références religieuses et «Les chroniques de Narnia» n'y échappent pas. Au contraire, certains des personnages de l'auteur C.S. Lewis semblent directement inspirés des Saintes Écritures. Mais des mythes celtiques et moyen-orientaux se sont aussi taillé une place de choix dans le récit.

«L'armoire magique parlait du sacrifice et de la foi. Dans Le prince Caspian, il est question de la perte de la foi et de la route qui permet de la regagner», a indiqué le producteur Mark Johnson, rencontré à New York avant la sortie des Chroniques de Narnia - Le prince Caspian d'Andrew Adamson.

Il est en effet possible de lire les romans de C.S. Lewis à travers ce filtre chrétien. D'autant que C.S. Lewis, né à Belfast en 1898, s'est affiché athée pendant ses jeunes années avant de se dire «théiste» au début de la trentaine. Et de se convertir au christianisme... à 33 ans. Diverses lectures et l'influence de son ami J.R.R. Tolkien sont liées à ce parcours.

Ainsi, le lion Aslan, créateur de Narnia, est le «fils de l'empereur au-delà des mers». Il est amour, justice et sagesse. Il est omniscient et omnipotent. Il se sacrifie et ressuscite dans L'armoire magique. Dans Le prince Caspian, il n'apparaît d'abord qu'à Lucy, la seule des Pevensie qui croit encore en lui. Difficile de ne pas voir là une figure christique.

Mais les «Chroniques» peuvent aussi être lues comme différentes quêtes inspirées par les mythes celtiques et moyen-orientaux que C.S. Lewis connaissait, aimait. C'est ainsi, en fait, que beaucoup d'enfants les reçoivent. Ben Barnes, qui incarne le prince Caspian, a été de ceux-là: «Je les ai lues quand j'avais 8 ans. J'y ai vu l'importance de la magie, l'importance de croire en soi et en des choses plus grandes que soi. Et je pense que c'est pour cela que ces livres sont encore populaires aujourd'hui.»

Populaires? Depuis presque 60 ans, «Les chroniques de Narnia» ont été traduites en 35 langues et se sont vendues à plus de 100 millions d'exemplaires. Dire que J.R.R. Tolkien («Le seigneur des anneaux») ne les a jamais appréciées et que Philip Pullman («À la croisée des monde») les déteste!