C'était un homme simple que Georges Guénette, mort pour la guerre, derrière chez lui, à Saint-Lambert-de-Lévis. Il était conscrit. Il a déserté. Le réalisateur Simon Lavoie auteur de plusieurs courts métrages remarqués ramène à la mémoire québécoise l'histoire d'un déserteur « mort en vain », servie par un trio de comédiens qui forme une famille dans la vie comme à l'écran : Danielle Proulx, Raymond Cloutier et Émile Proulx-Cloutier.

Sur Georges Guénette, Simon Lavoie en connaît beaucoup. Comment il a vécu : brièvement (il est mort à 24 ans) et simplement (il était cultivateur). Comment il est mort aussi: bêtement (sous les balles de la Gendarmerie royale en 1944). La tragédie, racontée dans la presse québécoise, a fait grand bruit, donnant des armes aux hommes politiques soucieux de capitaliser sur un sujet très porteur: la très impopulaire conscription des jeunes Canadiens français.

«Ce jeune homme est dans la fleur de l'âge, mais il passe les plus belles années de sa vie dans l'armée, puis dans la clandestinité, et meurt de manière vaine. Ce destin tragique m'a interpellé. Je me projetais beaucoup dans le personnage de Georges. J'avais le même âge que lui à ce moment. Je me demandais ce que j'aurais fait à sa place», dit Simon Lavoie.

Le réalisateur a passé plusieurs années à dépouiller les archives, lire sur l'époque et tenter de comprendre. «Je n'ai jamais réussi à déterminer ce qui avait mené à la mort de Guénette», admet Simon Lavoie. Le réalisateur a alors décidé de s'éloigner de la stricte réalité pour donner à l'histoire de son personnage une dimension humaine, et un volet amoureux à sa tragédie.

« J'en suis venu à broder une histoire chorale. Georges est le personnage principal. Je voulais qu'il soit présent dans l'histoire, qu'il soit défini par des témoignages, des visions des gens qui l'ont entouré», explique Simon Lavoie.

Ce faisant, le réalisateur ne craignait-il pas d'occulter l'aspect politique de la mort de Georges Guénette? «Je ne vois pas ça comme une limite au propos politique, dit-il. Ces événements sont vraisemblables, ils ont pu arriver à d'autres jeunes hommes. En plus, l'aspect politique implique de tourner des scènes coûteuses. On a préféré se ramener à une échelle familiale, humaine.»

À l'écran, en famille

La cellule familiale est interprétée à l'écran par les visages d'une même famille bien connue sur les écrans du Québec. Raymond Cloutier et Danielle Proulx incarnent Joseph et Léda, les parents de Georges Guénette, joué par nul autre que leur fils, Émile Proulx-Cloutier.

«On tentait de reconstituer une famille à l'écran. On avait envisagé Émile, Danielle et Raymond indépendamment les uns des autres. Puis on s'est aperçus qu'on avait une vraie famille. Cette famille était une réponse à tout ce que l'on voulait. J'avais peur que cela fasse gimmick, mais nous n'avons fait aucun compromis sur la distribution. Les acteurs ont tous l'âge de leurs personnages», note Simon Lavoie.

Simon Lavoie et Émile Proulx-Cloutier se connaissaient grâce à leurs courts métrages (Proulx-Cloutier a signé Papa, en 2005; Lavoie, Une chapelle blanche en 2005 et À l'ombre en 2006). Danielle Proulx et Raymond Cloutier ont rencontré le cinéaste quand il leur a proposé son scénario. « C'était alléchant de reconstituer notre famille au cinéma, mais c'était à double tranchant, car cela aurait pu être complètement cucul «, croit Danielle Proulx. De son côté, Raymond Cloutier aurait fait le film» même sans Danielle et Émile, tant c'est le type de cinéma (qu'il veut) faire.

«Le comédien, excellent orateur, se glisse pour ce film dans la peau d'un homme simple, de peu de mots, de peu de biens. Il a une stature. Ces gens ne sont pas dans le mélodrame. Malgré la maladie, malgré la tragédie, il peut rebondir. Nos grands-parents étaient comme ça, se souvient Raymond Cloutier. Je ne sais pas à quel moment le Québécois est devenu synonyme de bon gars, de pleutre, mais j'étais content qu'on montre autre chose.»

Danielle Proulx interprète une femme pieuse, elle aussi retranchée dans le silence et dans le travail. « Le rôle des femmes était extrêmement marqué et il était impossible d'en sortir, affirme-t-elle. Le grand défi, c'était de rester dans le dépouillement et dans l'action de ces femmes extrêmement fortes, pour qui chaque journée était consacrée à la survie.»

«Ce sont des gens simples, mais profondément humains, riches, estime de son côté Émile Proulx-Cloutier. Je pense que la première des choses est de ne pas se mettre ni au-dessus ni en dessous d'eux, mais d'être sincère.»

Une réalisation classique

La sobriété est par conséquent de mise dans le film de Simon Lavoie. Dès les premières images, le spectateur apprend la mort de Georges Guénette. « On ne voulait pas que cela soit racoleur. C'est intéressant narrativement que le spectateur sache que Georges Guénette est mort. Ce qui est important, c'est de savoir comment, et pourquoi «, dit Simon Lavoie.

Le déserteur favorise les longs plans séquences et les silences, mais ne choisit pas le récit chronologique. On vogue entre 1942 et 1944. Le film évite pourtant les aberrations narratives.
«J'ai signé des courts métrages assez radicaux. J'étais bien conscient que j'avais un sujet qui pouvait interpeller beaucoup de monde. Le public peut y avoir des points d'entrée. Je voulais une facture classique, élégante, soignée. Je ne voulais pas être opaque, difficile.»

« J'espère que les gens vont y aller, raconte Émile Proulx-Cloutier. Ce n'est pas raconté de façon habituelle, mais on comprend tout. J'ai hâte d'en parler avec les gens, car je crois que tous peuvent en retirer quelque chose.»

« C'est vraiment un film d'artiste et un film de citoyen. Simon est un artiste citoyen qui regarde l'histoire de ses grands-parents, et se demande pourquoi on n'a jamais voulu raconter ce moment difficile de notre histoire «, soutient Raymond Cloutier. Et de conclure : « Quand, dans une société, on est capables de faire des films de tragédie, on devient matures. On a besoin d'être un peu sérieux, en visitant des coins occultés de notre histoire.»

Le déserteur prend l'affiche le 24 octobre.

La crise de la conscription

Épisode « occulté» ou suscitant le « malaise», selon les mots du réalisateur et scénariste Simon Lavoie, la conscription des jeunes Canadiens français pendant la Seconde Guerre mondiale reste un épisode marquant de l'histoire récente du Québec.

En 1939, l'Europe s'embrase, faisant renaître dans l'esprit des Canadiens le spectre de la conscription. Pourtant, le gouvernement fédéral, mené par Mackenzie King, promet que seuls les volontaires participeront à la guerre.

Au Québec, les libéraux reprennent le pouvoir en 1940 notamment grâce à leur promesse de ne pas soumettre les jeunes hommes à la conscription. Après la chute de la France, le gouvernement de King organise toutefois un référendum demandant à la population canadienne de le libérer de ses engagements et d'autoriser la conscription.

Le « Oui» l'emporte largement au Canada anglais (à 83%). Les Canadiens français votent, eux, massivement pour le « Non » (à 76%). En juillet 1942, les modifications sont apportées à la loi sur la mobilisation des ressources nationales. La conscription est effective en 1944.