À l'instar de la comédie à succès Bienvenue chez les Ch'tis, c'est dans le nord de la France, plus précisément à Roubaix, son patelin d'origine, qu'Arnaud Desplechin est allé tourner son septième long métrage, Un conte de Noël.

«Lorsque j'étais jeune, je parlais comme les personnages du film de Danny Boon, mais j'ai fini par perdre l'accent. Je me souviens d'un film de Sacha Guitry où il disait à une secrétaire un peu acariâtre : Vous, si vous continuez comme ça, vous allez finir prof d'allemand à Roubaix. Pour un Français, c'était la menace absolue, le truc le plus terrible...»

Desplechin raconte cette anecdote presque en chuchotant. Le discret cinéaste de 48 ans n'a pas une voix qui porte, mais cela n'altère en rien la force du propos sur son art. Le Soleil a pu le constater, la semaine dernière, dans un hôtel montréalais, lors d'une entrevue tenue à l'occasion de l'avant-première québécoise de son film, au festival Cinémania.

 

 

À l'exception de la similitude géographique, Un conte de Noël a bien peu à voir avec Bienvenue chez les Ch'tis. Le ton n'est pas toujours à la rigolade, même si ce psychodrame flirte parfois avec le burlesque. Le réalisateur de Rois et reines et de Comment je me suis disputé... (ma vie sexuelle) s'amuse à radiographier une famille bourgeoise prise dans la tourmente, à l'occasion d'une réunion de trois jours, pendant les Fêtes, dans la demeure parentale cossue de Roubaix.

 

La maladie de la mère, Junon (Catherine Deneuve), atteinte d'une leucémie très rare, nécessite un donneur compatible qu'on cherchera chez ses proches. Le drame ravivera le souvenir d'un fils mort en bas âge du même cancer. Les parents avaient alors conçu un autre enfant, Henri (Mathieu Amalric), dans l'espoir de le sauver. En vain.

 

Ce Noël en sera un très particulier pour la famille Vuillard. Outre la maladie de la mère, le retour d'Henri, banni de la famille par sa soeur (Anne Consigny) en raison de ses multiples frasques, fera monter la tension d'un cran. Bonjour l'ambiance...

 

Greffe et dysfonctions psychologiques

 

C'est à la lecture d'un livre écrit par un psychiatre (un ami de son père) et un hématologue, La greffe, entre la psychanalyse et la biologie, que Desplechin a trouvé l'essence du scénario qu'il avait déjà commencé à écrire. Ce livre expliquait les problèmes psychologiques posés par la greffe de moelle osseuse.

 

«Sans qu'on ne sache pourquoi, c'est le type de greffe où il y a le plus de dysfonctions psychologiques, mentionne Desplechin, que ce soit chez celui qui reçoit, celui qui donne ou celui qui ne peut pas donner. Comme si on touchait à l'imaginaire profond, à quelque chose de fondamental. Pourtant, la moelle, c'est totalement abstrait, ce n'est pas comme le coeur ou le foie. Ce livre m'a passionné à bien des égards et, du coup, ouvrait plein de possibilités pour le récit.

 

«C'est vrai que dans cette famille, rien ne fonctionne, poursuit-il. Les catastrophes s'accumulent : le cancer, la faillite, le procès, le désamour... On dirait les contes et légendes de la Grèce antique.»

 

Mais ne comptez pas sur Desplechin pour raconter cette histoire atypique à la façon d'un Thanksgiving movie américain. «Dans ce genre de film, les personnages prennent une heure 20 pour arriver à dire : Maman, je suis ruiné; maman, je ne t'aime pas; maman, je suis gai. C'est souvent cette scène qui devrait nous passionner le plus, mais pour le spectateur, c'était entendu. Après avoir passé une heure 20 avec le personnage, il savait très bien qu'il était ruiné, qu'il n'aimait pas sa mère, qu'il était gai...

 

«Je préfère que ce climax arrive au début de la scène, poursuit-il. J'ai pensé que ce serait drôle que toutes ces répliques interdites, que les personnages très bien élevés ne disent pas, ne prennent pas une heure 20 à être dites. Ça change alors la dynamique. Les personnages sont moins prévisibles, plus singuliers, ça leur donne un sentiment de liberté très fort.»

 

Deneuve l'auteure

 

Pour Un conte de Noël, Desplechin renoue avec Catherine Deneuve, qu'il avait croisée sur le plateau de Rois et reines, en 2004. Son personnage de mère insaisissable est fait d'un tissu de paradoxes. «Malgré la maladie, elle demeure d'une coquetterie très morale. Elle s'intéresse plus au magasinage d'une robe qu'à sa propre maladie. Elle demeure toujours dans l'affaire amoureuse avec son mari, jamais dans la familiarité.» Sans oublier tous les rapports difficiles qu'elle entretient avec ses enfants.

 

Pour Desplechin, Catherine Deneuve est plus que l'une des plus grandes vedettes du cinéma français. «Je crois que c'est le plus grand auteur français. Si on met tous ses films bout à bout, on obtient un auteur au sens parfait du terme.»