Le cinéaste Denis Côté avoue qu'il possède «un souci juvénile de provocation». Ses films sont fabriqués pour «faire travailler» le spectateur et le sortir de sa zone de confort. Et à ses yeux, la seule provocation encore disponible dans son métier, davantage que le sexe ou la violence, demeure la narration et la façon de raconter une histoire.

L'auteur des États nordiques et de Nos vies privées n'aime pas la facilité et donner tout cuit dans le bec au public. Son troisième long métrage, Elle veut le chaos (en salle la semaine prochaine), fait encore ce pari, avec un scénario qui ne livre pas facilement ses clés.

«Même si je crois que c'est mon film le plus accessible, il demeure quand même très exigeant pour le spectateur», explique-t-il en entrevue téléphonique au Soleil. «Le spectateur doit être actif, car l'histoire de mes personnages est filmée au présent. Il doit alors remplir les trous pour comprendre leur passé. J'essaie ainsi de redonner au spectateur son véritable rôle.»

Elle veut le chaos campe son action dans un rang de campagne, où s'affrontent deux clans voisins qui s'entendent comme chiens et chats. D'un côté, un trio de trafiquants de drogue et proxénètes (Nicolas Canuel, Réjean Lefrançois et Olivier Aubin); de l'autre, des paumés sans le sou qui essuient leurs constantes intimidations (Ève Duranceau, Normand Lévesque et Laurent Lucas).

Malgré son aspect glauque, Côté estime qu'il faut éviter de prendre son film au premier degré. «J'ai utilisé de gros clichés pour m'amuser. Comme ces deux putes russes qui arrivent dans le décor. Mais elles n'ont pas de clients, alors elles tuent le temps à regarder la médiocrité des autres.»

Dans cet univers de grisaille, le choix du noir et blanc permet d'amplifier les antagonismes du récit, estime Côté. «Ça n'aurait pas été le même film en couleurs. Quelque part, ça accentue l'isolement de ces gens et ce sentiment de no man's land. Il y a aussi derrière ce choix une expérience esthétique, avec le danger d'être trop esthétisant.»

Budget plus important

Pour la première fois de sa carrière, l'ex-critique de cinéma à l'hebdo montréalais Ici a pu bénéficier de l'appui des institutions gouvernementales, à hauteur de 1 million $, le montant maximum pour un long métrage dit «indépendant». Une véritable fortune pour Côté après Les états nordiques, tourné avec 60 000 $, et Nos vies privées, avec un budget trois fois moindre.

Tout cet argent lui a fait un peu peur, avoue-t-il, puisqu'il devait travailler avec une équipe plus imposante sur le plateau et répondre aux exigences de l'Union des artistes, où les horaires de travail sont soumis à un cadre financier très strict. N'empêche, Côté garde un souvenir positif de cette première incursion dans la cour des grands, d'autant plus qu'il n'avait jamais touché auparavant, comme la plupart des autres réalisateurs, à l'univers de la télé, du clip ou de la publicité. «Je suis arrivé dans un autre monde, la marche était plus haute, mais je suis assez content de ne pas avoir vécu tout cela de façon trop heavy

Les festivals comme façon d'exister

Présenté au Festival de Locarno, cet été, Elle veut le chaos s'est distingué avec le prix de la mise en scène. Un endroit qui porte chance à Côté, trois ans après y avoir raflé le Léopard d'or de la compétition vidéo avec Les états nordiques.

Pour l'instant, Elle veut le chaos a été présenté dans une quinzaine de festivals de cinéma en Europe, mais dans seulement trois au Canada. Une situation qui l'agace. «J'essaie de comprendre, mais je ne trouve pas de pistes d'explication. Je connais des succès d'estime dans les festivals, même si mes films fonctionnent moins au plan commercial. Les festivals sont ma façon d'exister. Quelque part, j'existe en voyageant...»