Sur le plateau de Traffic, Steven Soderbergh avait accepté de donner suite à l'idée que lui avait lancée Benicio del Toro. Sept ans, plus tard, voici Che, un diptyque ambitieux qui s'attarde à l'ascension - et à la chute - d'Ernesto Guevara.

Quand, sur le plateau de Traffic, Benicio del Toro lui a soumis l'idée de faire un film sur le Che, Steven Soderbergh s'est tout de suite engagé dans le projet, sans trop réfléchir.

«Ce n'est qu'une fois après avoir mesuré l'ampleur du défi que je me suis demandé pourquoi je m'étais embarqué là-dedans! a confié le célèbre cinéaste américain au cours d'une interview accordée à La Presse au Festival de Toronto. Mais j'étais curieux. Cette curiosité s'est transformée en une réelle envie de comprendre pourquoi cet homme est devenu une icône. J'y voyais aussi une occasion de m'éduquer en tant que citoyen. Plus nous avancions dans le projet, plus j'étais fasciné par la force de caractère d'un homme qui a toujours maintenu ses idéaux, même dans les circonstances les plus extrêmes. C'est assez exceptionnel. Et anormal d'une certaine façon!»

Au départ, Steven Soderbergh avait surtout l'intention de raconter l'épisode bolivien de la vie d'Ernesto Guevara, beaucoup moins connu et beaucoup moins glorieux. Cet épisode constitue aujourd'hui la deuxième partie de son diptyque.

«Je me suis d'abord intéressé à Guevara parce que sa vie est un récit de cinéma, explique le cinéaste. D'ailleurs, nous n'avons strictement rien inventé. Peu importe ce qu'on pense du personnage, sa trajectoire demeure exceptionnelle. Or, pour mettre l'épisode bolivien en contexte, il fallait impérativement faire aussi écho à ce qui s'est passé 15 ans plus tôt à Cuba. Il fallait raconter l'ascension avant de montrer la chute.»

Ainsi est née l'idée d'un diptyque. Deux films, L'Argentin et Guérilla, différents de ton et de facture, entièrement tournés en langue espagnole, dans lesquels tout épanchement hollywoodien fut d'emblée proscrit.

Soderbergh aura mis sept ans pour que le projet se concrétise enfin. Une fois le feu vert obtenu, les tournages ont toutefois dû être réalisés très rapidement.

«C'est comme sept ans de préliminaires pour 30 secondes de sexe!» lance le cinéaste en riant. Nous ne disposions que de 39 jours de tournage pour chaque film. C'est difficile mais en même temps, je dirais que j'aime travailler à l'intérieur de paramètres aussi restrictifs. J'aime travailler beaucoup et vite. À cet égard, j'ai été bien servi. Il est difficile de céder à la prétention quand tu travailles aussi rapidement. Mais j'y arrive parfois quand même!»

Un personnage de son époque

Selon Soderbergh, la fascination qu'a exercée - et exerce encore - Che Guevara dans l'imaginaire collectif ne pourrait s'épanouir de la même façon aujourd'hui.

«Nous vivons dans un monde qui n'a plus rien à voir avec celui dans lequel nous vivions il y a 50 ans. La technologie a tout changé. La révolution cubaine est la dernière révolution de l'ère analogique. Si elle était survenue à notre époque, elle aurait été circonscrite en quelques semaines. Je crois que l'émergence d'un Che Guevara ne serait plus possible aujourd'hui. En revanche, ce chapitre de l'histoire cubaine est encore en train de s'écrire. Il s'écrira tant que Fidel sera là.»

Bien conscient de la sensibilité que la question cubaine soulève aux États-Unis, le cinéaste ne s'attend pas à ce que son diptyque obtienne un très grand succès populaire dans son pays. «Notre politique étrangère envers Cuba est dictée par le lobby de la communauté cubaine à Miami, dont l'influence est démesurée. Personnellement, j'estime que le meilleur moyen de changer les choses à Cuba serait de lever l'embargo. Rien de tel qu'une invasion de touristes américains pour contaminer une société au libéralisme!»

Quant aux voix qui s'élèvent contre le fait qu'on ait même pu oser songer à réaliser un film sur la vie du Che, Soderbergh prend les choses avec philosophie. «Même si nous avions présenté le Che en train de commettre des actes barbares, ceux-ci ne seraient jamais à la mesure de la haine que lui portent certaines personnes. En tant qu'étranger, je n'ai aucun lien émotif avec lui. Cela dit, je suis quand même intrigué par le fait que cet homme a abandonné sa vie de famille deux fois pour se mettre au service de ses idéaux.»

Avec Benicio del Toro, qui a obtenu le prix d'interprétation du Festival de Cannes grâce à sa remarquable prestation, le cinéaste a beaucoup discuté de la question.

«Je lui disais qu'à mon avis, Guevara était un homme juste, mais pas gentil. Benicio était bien d'accord. Ce qu'il y a de merveilleux dans sa performance, c'est qu'il n'essaie jamais de nous vendre le Che, ou de se vendre lui-même dans la peau du Che. Il a abordé le personnage d'une façon parfaitement organique. Sa performance est tellement intériorisée que tu ne peux pas ensuite aller la vendre en clips de 30 secondes. Vous remarquerez d'ailleurs que je n'isole jamais Benicio dans le cadre. D'abord, sa présence physique en impose tellement que je voulais qu'on puisse voir son corps le plus possible. Ensuite, il aurait tout simplement été illogique de cadrer en gros plans un type qui a mis sa vie au service de la collectivité!»

À Montréal, les deux parties de Che seront enchaînées dans un programme d'une durée de quatre heures et demie, entrecoupé d'un court entracte. Rappelons aussi que Marc-André Grondin fait une apparition dans la seconde partie (Guérilla), où il prête ses traits à Régis Debray, alors journaliste militant.

Che prend l'affiche en version originale avec sous-titres français le 20 février.