Une femme a inspiré à John Keats le poème Bright Star. Jane Campion est devenue amoureuse de leur histoire d'amour. Elle en a fait un film. Elle en parle, en compagnie des interprètes de ce couple qui aurait pu devenir mythique.

John Keats a dit: «Les poètes ne sont pas poétiques.» Pour Jane Campion, rencontrée à Toronto lors de tables rondes organisées pendant le Festival international du film où elle présentait son nouveau film, Bright Star, cela signifie que «moins les poètes ont de personnalité, mieux ils peuvent être un conduit pour les choses, les êtres, les émotions. Un poète n'a donc pas le sens de lui-même, il est un messager».

Et c'est cette vision du poète par le poète qui, entre autres choses, a poussé la réalisatrice de The Piano a vouloir devenir... la messagère de l'homme de plume mort à Rome de la tuberculose, en février 1821. Il avait 25 ans. Il était persuadé que sa vie était un échec et que son oeuvre disparaîtrait avec lui. «Parce que quand vous êtes un pionnier, vous ne savez pas que vous l'êtes. Vous faites.»

Lui, a fait. Il est aujourd'hui considéré comme l'un des grands poètes romantiques anglais. Et, aussi, comme l'auteur des lettres d'amour parmi les plus belles qu'un homme ait écrites à une femme. La muse de John Keats s'appelait Fanny Brawne. C'est à travers ses yeux qui se déroulent les dernières années de vie de l'homme de plume.

Pour les incarner, Abbie Cornish et Ben Whishaw.

La première, que l'on connaît peu, possède «une qualité de rébellion et une ardeur qui collent au personnage de Fanny», assure Jane Campion. Qui, sans faire de la jeune femme un personnage empoussiéré par l'histoire, n'a pas non plus voulu la rendre contemporaine à outrance. La rébellion et l'ardeur de Fanny se vivent de l'intérieur, se cueillent en plongeant dans les yeux et le coeur de la comédienne.

«J'ai fait beaucoup de recherche pour mieux connaître Fanny et j'ai incorporé ce que j'ai trouvé, compris et appris à ma performance. Mais quand viennent les émotions, c'est moi», raconte Abbie Cornish, qui a été fascinée par cette jeune femme «qui cousait parce que toutes les femmes cousaient à l'époque. Mais, elle, utilisait ce talent pour se créer une image, pour inventer de nouveaux styles».

Ben Whishaw, lui, que l'on a vu en Jean-Baptiste Grenouille dans Perfume: The Story of a Murderer de Tom Tykwer, est «seulement» devenu un expert en John Keats, pour pouvoir l'incarner jusqu'à l'âme: «Jane (Campion) voulait que je puisse répondre à toutes les questions de tout le monde. J'ai lu des biographies, j'ai lu ses lettres, j'ai lu sa poésie et celle d'autres poètes du même temps, j'ai lu sur l'époque où il a vécu, j'ai visité sa maison et les lieux où il est allé», raconte celui qui n'a par contre pas appris à écrire de la poésie «mais, déjà, manier la plume, ce n'était pas rien».

Humanité

Des lettres de Keats, Ben Whishaw a compris combien le jeune homme était... «humain». Se distinguant de la personnalité du poète: lui, écrivait «dans une bulle de transe».

Et c'est cette humanité qui est allée le chercher, comme elle a rejoint Abbie Cornish: «Fanny et Keats vivaient en 1818, mais ça ne fait pour autant pas d'eux des représentants d'une espèce différente. L'évolution ne nous a pas changés à ce point. Donc pour moi, il était très important de rendre l'essence de l'humanité - qui était et est encore la vie, la mort, l'amour - et de la teinter de l'époque où ils vivaient».

C'était le souhait de Jane Campion qui, au dire de la comédienne et de son partenaire de jeu, a fait là «un film rare, un film très spécial pour nous tous, sans concession aux exigences «commerciales» «. D'où la lenteur de Bright Star. «Plusieurs l'ont soulignée, certains comme un reproche, admet la réalisatrice. Mais vous savez, quand on est jeune, on veut provoquer, on veut secouer. Et puis, un jour, on s'intéresse au rythme propre au projet.»

Celui de Bright Star est en un très intérieur. Il bat la mesure de l'intime. Pas un hasard: «L'intimité est quelque chose qui m'a toujours intéressée, poursuit Jane Campion. Pour moi, un film doit se sentir, pas seulement se voir avec la tête.» Un peu comme la poésie, qui se laisse apprivoiser par qui prend le temps.

Bright Star (Mon amour) prend l'affiche le 2 octobre.