D'abord présenté au Festival de Sundance au début de l'année, An Education bénéficie aujourd'hui d'une réputation formidable chez nos voisins du Sud. On y traite pourtant d'une relation sentimentale entre un adulte et une adolescente, sujet hautement délicat.

Au moment où La Presse l'a jointe, la réalisatrice danoise Lone Scherfig était à Chicago afin d'assurer le «service après-vente» de An Education, un film produit et tourné en Angleterre.

«Je suis à la fois étonnée et honorée de toute l'attention qu'obtient ce film, lance la cinéaste au bout du fil. Je suis surtout heureuse pour Carey Mulligan, une actrice tout à fait remarquable, pour qui ce rôle marquera un tournant, je crois.»

La presse américaine fait en effet grand cas de la performance de l'actrice britannique dans le rôle de la jeune héroïne. Plusieurs observateurs lui prédisent même une nomination aux Oscars.

Écrit par Nick Hornby (High Fidelity, About a Boy) d'après un récit autobiographique de la journaliste Lynn Barber, le scénario de An Education décrit le parcours d'une adolescente douée pour les études, dont le trajet prendra toutefois une direction plus inattendue. En ce début des années 60, Jenny (Mulligan), une jeune fille de 16 ans, tombe en effet amoureuse de David (Peter Sarsgaard), un homme d'au moins deux fois son âge, auprès de qui elle découvre les mystères - et les joies - du monde adulte.

À une époque où la sexualité engendre parfois des débats passionnés dans la société américaine, il est tout à l'honneur de la réalisatrice d'avoir su faire preuve de délicatesse dans la peinture de cette relation entre un adulte et une adolescente.

«Depuis que je suis en tournée aux États-Unis, on ne me parle pratiquement que de cet aspect du récit, observe la cinéaste. Il y a vraiment une grande différence entre l'Europe et l'Amérique sur ce plan. Si cette liaison avait lieu aujourd'hui, David serait probablement traité en criminel.»

Sans condamner ni approuver le type de relation qu'entretiennent les deux protagonistes, Lone Scherfig a quand même tenu à montrer comment la jeune fille tirait elle-même les ficelles du jeu sentimental entre cet homme plus mûr et elle.

«En aucun cas, Jenny n'est une victime, explique la réalisatrice. Au contraire. Elle établit elle-même les règles de la relation et décide du moment où ils feront l'amour pour une première fois. Elle aura alors atteint l'âge de 17 ans.»

Révélée par Italian for Beginners, cinquième film du célèbre Dogme, Lone Scherfig fut aussi remarquée grâce à Wilbur Wants to Kill Himself, son premier film tourné en anglais. Partageant le même agent que l'un des producteurs impliqués dans ce projet d'adaptation cinématographique du récit de Lynn Barber, la réalisatrice a eu l'occasion de lire le scénario de Nick Hornby en amont, avant même qu'elle ne soit elle-même pressentie pour mener le projet à terme.

«Dès que j'ai lu, j'ai fait des démarches afin qu'on m'en confie la réalisation! dit-elle. Je trouvais le portrait de cette jeune femme très juste. Aussi, j'étais complètement fascinée par le personnage de David. Il est assez rare que les histoires initiatiques soient aussi racontées de ce point de vue.»

Une reconstitution fidèle

Autre particularité, le récit est campé à Londres quelques années avant que la capitale britannique n'amorce ses années «swing». Les Beatles n'existent pas encore à cette époque, mais l'on sent poindre néanmoins au loin les échos d'un bouleversement social.

«Étant danoise, j'ai évidemment dû beaucoup me fier à mes collaborateurs anglais pour reconstituer l'époque. D'autant plus que l'esprit qui régnait alors en Angleterre était très différent de celui de l'Amérique. Les États-Unis étaient en pleine expansion économique tandis que la Grande-Bretagne pataugeait encore dans la grisaille de l'après-guerre et dans un climat de grande austérité. Mon travail consiste alors à faire en sorte que toute l'équipe soit au service d'une même vision, du même film. Je dois avouer que j'ai été particulièrement choyée à cet égard.»

Le Danemark étant un petit pays, ses cinéastes doivent souvent s'expatrier pour trouver du travail. Lone Scherfig tient toutefois à demeurer chez elle, malgré les sirènes qui se font entendre ailleurs. Son bureau est d'ailleurs situé dans les quartiers de Zentropa, ce vaste domaine de production, fondé notamment par Lars Von Trier.

«Il est clair que le cinéma danois - et les cinéastes qui le font - ne pourrait rayonner autant sur la scène mondiale si Zentropa n'existait pas, fait remarquer la réalisatrice. Il s'agit d'un endroit unique où le sens de la communauté artistique est mis en valeur, et où les créateurs peuvent s'exprimer en toute liberté. Ce que Lars a accompli est extraordinaire.»

L'entretien tire à sa fin. Lone Scherfig éclate de rire.

«En vous parlant, je n'ai pu faire autrement que de griffonner une tour Eiffel sur mon papier! Je sais que vous êtes de Montréal, mais votre accent m'a néanmoins rappelé l'épisode français du film, l'amour de Jenny pour la culture française, son voyage à Paris avec David. Ce sont de beaux souvenirs!»

An Education prend l'affiche le 23 octobre en version originale anglaise seulement.