Par un hasard des calendriers, La dernière fugue de Léa Pool sort au moment où la société québécoise s'interroge sur l'euthanasie. Condamné à mourir d'une maladie dégénérative, un homme choisit, accompagné de sa famille, de déterminer lui-même le moment où il tirera sa révérence. «Ce n'est pas un sujet facile», concède Léa Pool, qui espère «soulever la question» avec son dernier film.

Entourée de Jacques Godin, Andrée Lachapelle et Yves Jacques, Léa Pool signe avec La dernière fugue un film tourné sur une famille et ses névroses. Anatole (Jacques Godin) souffre de la maladie de Parkinson. Cet ancien mari et père violent n'accepte pas sa dégénérescence.

Alors que ses enfants s'entredéchirent autour du placement éventuel du patriarche dans un hôpital, son petit-fils, Sam (Aliocha Schneider), comprend l'ultime désir d'Anatole. Aidé d'André, son oncle comédien (Yves Jacques), encore brisé par ses rapports difficiles avec son père, Sam va convaincre sa famille d'écouter le souhait d'Anatole.

«Cette famille ressemble un peu à toutes les familles un peu nombreuses, croit Léa Pool. On sent que Sam a un regard aimant, un désir de bien faire. Mais peu à peu, les choses se dérèglent. Tous les contentieux s'éveillent. La famille devient alors un choeur grec.»

La réalisatrice d'Emporte-moi et de Maman est chez le coiffeur s'intéresse aussi au coeur du film: l'apaisement des conflits dans la relation d'un fils longtemps malmené par son père. «J'aime beaucoup la relation entre le père et le fils: c'est quelque chose qui me touche personnellement», dit Léa Pool.

La dernière fugue, adapté du roman du journaliste et écrivain Gil Courtemanche, Une belle mort, se déroule beaucoup en famille et à table. «Ce que j'aimais dans ce roman, c'est cette façon de parler d'un sujet tabou à travers toutes sortes de propositions farfelues. J'aimais aussi le décalage entre un sujet prenant et une approche dérisoire», explique Léa Pool.

«C'était un immense challenge d'essayer de faire un film autour des tables. Et le plus difficile, c'était de rendre ça intéressant», ajoute la cinéaste. Pour laisser place à la spontanéité, Léa Pool a proposé à ses acteurs d'improviser leurs tirades et engueulades.

Dans la peau de la mère de famille en retrait, Andrée Lachapelle a observé les échanges vifs des comédiens. «J'étais à table avec eux. Je les écoutais et j'ai vraiment été fascinée par leur capacité d'improviser», se souvient-elle.

Le film est ponctué de flash-back: films de super 8 ou souvenirs enjolivés, ils sont, d'après Léa Pool, un point de tension entre «le moment présent et cette nostalgie un peu fausse». «En Super 8, on ne filme que des moments heureux: cela peut être trompeur. Mais quand on vieillit, on se crée un monde heureux, même si on peut comprendre que tout n'a pas été aussi beau.»

Des acteurs de haut calibre

Pour la première fois, Léa Pool a dirigé Yves Jacques. Le comédien incarne un personnage finalement assez près de lui. «C'est rare que l'on m'offre un rôle où je n'ai pas à composer, dit celui que l'on a vu chez Claude Miller, Denys Arcand ou Robert Lepage. Il fallait que je me laisse aller. J'avais la permission d'être moi-même.»

«Je n'ai pas fait grand-chose: j'avais quelques acteurs magistraux, relativise Léa Pool, modeste. Mon travail consiste à donner une ligne directrice et à la garder.» Tout de même: Jacques Godin, octogénaire végétalien, a dû étudier les symptômes de la maladie de Parkinson pour se glisser dans la peau d'Anatole Lévesque, amateur de bonne chère devant l'Éternel.

«Léa m'avait suggéré de regarder sur l'internet des photos et vidéos sur cette maladie: j'ai regardé comment les gens se déplacent, raconte Jacques Godin. Je voyais dans le scénario que ce personnage avait eu une autre vie, qu'il avait été actif et colérique avant de se retrouver comme ça. Ça doit être terrible de devenir dépendant à ce point.»

Contrairement à beaucoup d'acteurs, Jacques Godin n'a pas été effrayé par ce rôle très vieillissant: «Les acteurs ont souvent peur d'être catalogués. Moi, j'ai déjà joué des rôles d'attardés mentaux et je n'ai jamais été catalogué, ou alors je ne le sais pas!» plaisante le comédien.

Avec La dernière fugue, Léa Pool espère sensibiliser les spectateurs à une épineuse question de société: le droit de décider du moment de sa mort. «Plus je parle de ce film, plus je me dis que si ça peut créer un débat, ce serait bien... Il y a peut-être quelque chose à trouver, donner un peu plus de souplesse ou de dignité à ceux qui sont diminués ou en souffrance.»