Avec plus de 50 films à son actif, tant pour le grand que pour le petit écran, le cinéaste français Édouard Molinaro arrive à Montréal mercredi afin de participer au jury du 34e Festival des films du monde.

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En entretien avec La Presse, il raconte qu'il n'a eu que deux regrets au cours de sa longue carrière: ne pas avoir tourné avec Gérard Depardieu et avoir dû réaliser des comédies à succès pour nourrir ses femmes et ses enfants... plutôt que de tourner des films intimistes.

Aujourd'hui âgé de 82 ans, Édouard Molinaro n'est venu qu'une fois à Montréal, en 1996, pour présenter Beaumarchais, l'insolent, avec Fabrice Luchini. Disant mal connaître le cinéma québécois, il ajoute qu'il considère Les invasions barbares «comme un des meilleurs films que j'ai vus dans ma vie».

Q : Vous travaillez encore dans le milieu du cinéma?

R : J'ai écrit l'an dernier un livre de souvenirs, Intérieur soir, et je reste en contact avec le cinéma. Je viens de voir le dernier film d'Alain Corneau, Crime d'amour, et celui de Mathieu Amalric, Tournée. J'ai aussi beaucoup aimé Avatar, surtout l'invention graphique. Le travail sur les décors est digne des grands peintres. La forme m'a beaucoup intéressé. C'est un film important qui a marqué un tournant. Le relief n'est toutefois pas une garantie de qualité. Il faut toujours une bonne histoire.

Q : Vous avez réalisé des films qui ont eu beaucoup de succès: La cage aux folles, Hibernatus ou L'emmerdeur. Quel est celui dont vous êtes le plus fier?

R : Je suis un cinéaste réputé commercial. J'ai commencé par des polars puis des comédies. Dans les polars, un film a été oublié, La mort de Belle, d'après Simenon. La plupart de mes films que j'aime ne sont pas très connus, alors que les gros films, les vaudevilles, Oscar ou La cage aux folles, ont eu du succès. Mes trois films sur le XVIIIe siècle français, Mon oncle Benjamin, avec Brel, Le souper et Beaumarchais, l'insolent, sont proches de mes goûts de lecture.»

Q : Vous avez tourné avec de grands acteurs: Jeanne Moreau, Ventura, de Funès, Delon, Bardot, Serrault, Auteuil ou Emmanuelle Béart. Mais jamais avec Gérard Depardieu. le regrettez-vous?

R : Bien sûr! Mais c'est le hasard de la production. C'est un acteur qui a fait beaucoup de choses, le meilleur et le pire. Mais quand il est dans le meilleur, il est extraordinaire. Le Depardieu de Cyrano m'a entre autres beaucoup impressionné.

Q : Avec qui avez-vous eu le plus de plaisir à tourner?

R : Avec Jacques Brel. C'est ma plus belle expérience cinématographique. J'ai vu comment il travaillait, son intérêt pour la mise en scène. On parlait tout le temps ensemble. C'était un homme d'une fidélité absolue, des rapports d'une droiture extraordinaire. Quelqu'un que j'ai toujours dans mon coeur et à qui je pense tous les jours. Sinon, j'ai fait trois films pour la télévision avec Michel Piccoli, avec qui j'ai eu des relations très proches, amicalement et professionnellement. Et il y en a d'autres, comme Daniel Auteuil, Lino Ventura et même Serrault, avec qui j'ai eu des difficultés.

Q : Quelles difficultés?

R : Quand nous avons tourné La cage aux folles, on a essayé de le tourner avec un certain réalisme en ce qui a trait à la famille, car il y avait quand même une dimension douloureuse avec ce vieux couple d'homosexuels. Michel Serrault aimait bien faire la folle, pousser des cris, mais, dès qu'il s'agissait d'exprimer un peu de tendresse, il était très gêné. Je crois que ça tenait à son côté très religieux. Donc, ma vision des choses ne lui plaisait pas. Il y a eu aussi des rapports très difficiles avec Louis de Funès, un homme très angoissé. Il n'aimait pas ma façon de travailler. Comme je le dis dans mon livre, ç'a même été très violent dans Oscar. On s'était juré de ne plus retravailler ensemble, puis, deux ans après, on a fait Hibernatus.

Q : Pour votre premier film, Le dos au mur, 1957, vous avez tourné avec Jeanne Moreau. Quel début!

R : Je sortais de 10 ans de court métrage. Je n'avais pas d'expérience. J'étais très impressionné par son travail. On sentait qu'elle serait une grande actrice. Elle venait de faire Ascenceur pour l'échafaud, de Louis Malle. C'est Michèle Morgan qui devait jouer le rôle, mais Gérard Oury était l'acteur principal. Elle s'est désistée au dernier moment. J'ai appris plusieurs décennies après que c'était le début de la liaison de Morgan avec Oury et qu'elle ne voulait pas que ça se sache.

Q : La comédie a été votre image de marque mais un peu à contrecoeur...

R : Quand on fait une comédie qui marche, après, on ne vous demande plus que des comédies. J'étais catalogué comme le vaudevilliste de service. Ces projets ne venaient pas de moi, car ce n'était pas mon genre. Je regrette de n'avoir pas été assez courageux dans mes décisions. J'ai souvent fait des films que je qualifie de «films de tiers provisionnel», car j'avais des femmes et des enfants à nourrir! Mais je me suis toujours beaucoup amusé dans la vie. Par ailleurs, je travaille actuellement avec ma belle-fille, Axelle Laffont, sur un sujet. Et j'ai un projet sur Sacha Guitry. Je n'abandonne pas le métier, mais je vis de manière plus relax, ce qui me permet d'aller dans un de mes pays préférés qui est le vôtre.

Filmographie partielle

1958 Le dos au mur
1959 Un témoin dans la ville, avec Lino Ventura
1961 La mort de Belle
1962 Arsène Lupin contre Arsène Lupin, avec Jean-Claude Brialy et Jean-Pierre Cassel
1964 Une ravissante idiote, avec Brigitte Bardot
1964 La chasse à l'homme, avec Catherine Deneuve
1967 Oscar, avec Louis de Funès
1969 Hibernatus, avec Louis de Funès
1969 Mon oncle Benjamin, avec Jacques Brel
1971 Les aveux les plus doux, avec Philippe Noiret
1972 La Mandarine, avec Annie Girardot et Philippe Noiret
1973 L'emmerdeur, avec Lino Ventura et Jacques Brel
1975 Le téléphone rose, avec Mireille Darc
1977 L'homme pressé, avec Alain Delon et Mireille Darc
1978 La cage aux folles, avec Michel Serrault et Ugo Tognazzi
1979 Cause toujours... tu m'intéresses !, avec Annie Girardot et Jean-Pierre Marielle
1980 La cage aux folles 2, avec Michel Serrault et Ugo Tognazzi
1982 Pour 100 briques t'as plus rien..., avec Daniel Auteuil, Gérard Jugnot et Anémone
1985 Palace, avec Claude Brasseur et Daniel Auteuil
1985 L'Amour en douce, avec Daniel Auteuil, Emmanuelle Béart et Jean-Pierre Marielle
1988 À gauche en sortant de l'ascenseur, avec Pierre Richard, Emmanuelle Béart et Richard Bohringer
1992 Le souper, avec Claude Rich et Claude Brasseur
1996 Beaumarchais, l'insolent, avec Fabrice Luchini